A Ivry, l’architecte Jean Renaudie a conçu et construit un ensemble de 80 logements sociaux dans lequel il habite, fait rarissime pour un architecte. [...]
- Je pense qu’il est impossible de reproduire avec des techniques de construction rapides ce que les siècles ont réussi à faire. En revanche, je récuse la simplicité. En architecture, il ne peut y avoir de réponse trop simple. Une solution qui tient compte de multiples éléments a plus de chances de réussir qu’une solution univoque. Je ne cherche pas à recréer le passé, mais à créer des espaces publics nouveaux. Un exemple : l’urbanisme moderne a foutu la rue en l’air. Pourtant, c’était l’espace de référence pour les habitants, l’endroit où l’on descendait les chaises sur le trottoir les soirs de beau temps... ce n’est pas si vieux. Mais la circulation intense a détruit cet espace relationnel. Mon ambition est d’en créer d’autres, capables d’engendrer des relations aussi riches que celles qui naissaient dans la rue. On ne peut réussir cela avec une vision fonctionnelle des choses : centre commercial, centre culturel... Des espaces non définis, non évidents, qui exigent d’être découverts, favorisent, je crois, l’éclosion de la vie.
Trois combats en trois phrases, preuve s’il en était besoin de cette lutte de tous les instants que devient l’urbanisme moderne, obligé de guerroyer sur deux fronts. Éviter de se dévorer lui-même, et exorciser les démons qu’il a lui-même engendrés, solitude, ennui et ségrégation mi-raciale mi-sociale. Exorcisme de carton-pâte, à l’aide de placebos dispensés suivant le schéma éprouvé :
Constatation du problème ;
Analyse des causes ;
Application d’un remède sans rapport avec la cause.
Exemples :
Les citadins absorbent de plus en plus de café pour tenir le coup et de tranquillisants pour dormir, ce qui nuit à leur santé.
Causes : angoisses face à l’avenir, stress, mauvaises conditions de vie et de travail.
Remède : commercialiser des somnifères compatibles avec l’absorption de café sans effets secondaires trop importants.
Le rapport Peyrefitte sur la violence constate l’augmentation de la délinquance juvénile.
Causes : entre autres causes, cette délinquance est directement liée à la hauteur des tours, à la concentration des grands ensembles et au manque d’équipements.
Remède : augmenter les effectifs du ministère de l’Intérieur et les postes de police à l’intérieur des grands ensembles.
Les habitants des tours ont le vertige quand ils regardent par la fenêtre de leur immeuble.
Cause : la hauteur excessive des bâtiments.
Remède : réduire la surface des fenêtres.
Etc.
L’ennui, c’est qu’on a une impression d’étouffement.
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