Il est notoire que, même parmi les premiers disciples de
Freud, surtout ceux qui exerçaient leur clinique au profit des classes populaires et/ou qui en étaient issus, embrassèrent le communisme et opérèrent une synthèse connue comme freudo-marxisme. Ainsi Adler – dont la vie fut courte – et surtout
Wilhelm Reich, qui vécut plus longtemps, mais de manière tourmentée à cause des excommunications, en rapide succession, de l'École psychanalytique et des partis communistes de plusieurs pays d'Europe, ainsi qu'à cause des exils contraints par ces exclusions, puis par le nazisme, enfin par le maccarthysme états-unien qui l'emprisonna et le fit carrément passer pour fou. Il faut dire que Reich, connu pour la radicalité de ses analyses sur la portée politique de la répression sexuelle, fut très critique de
Freud à partir de la seconde théorie des pulsions de celui-ci (1920) restant fidèle à la première, et il reprocha tout autant à Staline dans les années 1930 son revirement réactionnaire de
la révolution sexuelle opérée en Union Soviétique en 1918, ainsi que la dérive bureaucratique et l'éloignement du peuple qu'il y observait. Cette attitude le conduisit à un isolement bien prévisible, et même à une « correction » dans les rééditions de certains de ses ouvrages, laquelle en supprimait tout le langage marxiste (sinon les contenus), avant même que Reich s'établit aux États-Unis.
Cette révision se répercute également sur l'essai de Sinelnikoff, qui n'analyse que les travaux de la période européenne de l'auteur : une ombre de dérive paranoïde, ou bien un soupçon de manque de pertinence voire de « bizarrerie » planent sur les recherches du laboratoire « Orgonon » installé dans le Maine, doté de ses « accumulateurs d'orgone » destinés à « augmenter la puissance sexuelle » et à tenter de soigner le cancer... matériaux et documents ayant par ailleurs subi la destruction (le bûcher!) de même que son auteur l'emprisonnement (par l'Inquisition) dans le Pays des « hommes libres » entre 1954 et 1957 ! À noter également que l'essai le plus célèbre mais aussi le plus sulfureux de Reich,
La Fonction de l'orgasme, semble être encore de nos jours plutôt confidentiel, en France aussi...
L'idée fondamentale de
Wilhelm Reich semble pouvoir ainsi se résumer : les symptômes névrotiques mais aussi la construction du « caractère » tout entier de l'individu résultent d'une répression sexuelle construite dès l'enfance et l'adolescence par des institutions telles la famille, l'école et l'Église qui, par le truchement d'un carcan moral, exercent une domination sexuelle. Celle-ci correspond aux injonctions et aux nécessités de l'État qui reflète, conformément aux enseignements du matérialisme dialectique, les intérêts et les normes du système productif en vigueur. Par conséquent, la lutte contre la répression sexuelle possède, notamment chez les jeunes, un énorme potentiel révolutionnaire, et réciproquement tout mouvement révolutionnaire se doit d'opérer une révolution de « l'économie sexuelle » visant à répondre aux besoins sexuels de l'individu et contribuant à la longue à transformer son caractère névrotique en caractère génital. Cette révolution possède des implications morales, religieuses et politiques d'énorme envergure.
Du vivant des freudo-marxistes, et de nouveau dans l'actualité de Mai 68 où une certaine partie de la contestation étudiante les avait redécouverts, cette épithète était une insulte. Aujourd'hui où l'on observe facilement que le communisme a « trahi »
la révolution sexuelle alors même que le capitalisme semble l'avoir accomplie comme jamais auparavant, jusqu'au paroxysme de « l'amour liquide » théorisé par
Zygmunt Bauman et de la « Cité perverse » de
Dany-Robert Dufour, y a-t-il encore un caractère d'actualité dans cette pensée qui partait de l'évidence de la répression sexuelle exercée par la société bourgeoise, patriarcale, capitaliste ? Il me semble que oui, à condition de bien comprendre les fondements d'un cadre interprétatif qui inclut la perversion en son sein et la répression sous les formes d'une complexification du contrôle et surtout d'une injonction contradictoire : l'injonction à jouir tout en étant privé des moyens de le faire.
J'avoue que, conformément à l'indication de la Préface par J-M. Brohm, « Relire Reich aujourd'hui », dans ma lecture tout comme dans les cit. sélectionnées, parfois longues, j'ai été surtout intéressé par la recherche des conditions de cette actualité, au-delà de synthèse de l'oeuvre de Reich, ou plutôt de sa partie sus-délimitée.
Par contre, l'ouvrage, qui fait un usage abondant de cit. indiquées en italiques outre les guillemets pour plus de clarté, répartit les chapitres grosso modo chronologiquement, un par oeuvre de Reich, et on peut lui reprocher de n'être presque qu'une anthologie, avec très peu d'élaboration personnelle sur une démonstration ou une thématique quelconques. Son plan s'organise donc de la manière suivante :
Introduction : « La vie militante de
Wilhelm Reich » [basée notamment sur : Les Hommes dans l'État]
I. « Premières thèses sur la génitalité et la dynamique psychique » [basé surtout sur : « Quellen der neurotische Angst » (1926) et sur der Triebhafte Charakter (1925)].
II. «
La fonction de l'orgasme » [titre éponyme (1927-1942)]
III. « Développements complémentaires » [ex : Character Analysis et
La Révolution sexuelle]
IV. « Matérialisme dialectique et psychanalyse » [titre éponyme (1929)]
V. « Fonction de la famille et politisation du problème sexuel » [ex :
La Révolution sexuelle]
VI. « L'intrusion de la morale sexuelle » [titre éponyme (1932)]
VII. « Psychologie collective du fascisme » [ex :
La Psychologie de masse du fascisme (1946)]
VIII. « Problèmes d'organisation révolutionnaire » [ex : « Was ist Klassenbewusstsein ? » (1934)]
IX. « Évolution vers un anarchisme métapolitique » [ex varia].