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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Troisième roman traduit de Rivers Solomon après les remarqués « L'incivilité des fantômes » et « Les abysses », « Sorrowland » reprend une partie des thématiques déjà évoquées dans les précédentes oeuvres de l'auteur mais avec un cadre très différent. Pas de vaisseau spatial ni de cité sous-marine, donc, mais une petite communauté américaine vivant en autarcie et dont les membres appartiennent à la même secte : le Domaine béni de Caïn. Fondée sous l'impulsion d'un groupe nationaliste noir, celle-ci prône la séparation avec la civilisation des blancs et la nécessité de se reconnecter avec la nature et des savoirs-faire concrets dans le but de maximiser les chances des noirs de survivre. La religion y occupe une place omniprésente, aussi le soin de la communauté est-il placé entre les mains du révérend Sherman qui commande à l'ensemble des habitants du domaine. Parmi eux figure Vern, une jeune femme qu'on a justement marié au révérend mais qui, depuis toujours, refuse de se soumettre et de se plier aux règles de la communauté malgré les nombreux rappels à l'ordre. N'y tenant plus, Vern, enceinte et presque à terme, va finalement se décider à fuir le domaine pour trouver refuge dans la forêt environnante. Elle y mettra au monde deux petits, des jumeaux, qu'elle va tout faire pour garder en vie tout en tâchant de les maintenir à l'écart de l'influence grandissante de la secte qui l'a vu naître. Si « Les abysses » m'avait laissée un sentiment mitigé, « Sorrowland », lui, m'a totalement conquise. L'auteur nous plonge dès les premières pages au coeur de l'action, avec cette jeune femme fuyant un prédateur invisible tout en mettant au monde ses petits, et cette angoisse qui nous étreint dès les premières pages ne nous quittera plus jusqu'à la conclusion de l'histoire. La tension est permanente, ravivée en permanence par l'attitude constamment sur le qui-vive de l'héroïne ou par des scènes brutales qui font voler en éclat le sentiment de sécurité éprouvé brièvement par les personnages. Difficile par conséquent de lâcher le livre une fois entamé, celui-ci ne souffrant que de peu de temps morts qui sont finalement bienvenus tant certains passages s'avèrent émotionnellement chargés.

L'auteur va rajouter à son récit un soupçon de fantastique et de SF qui va donner un peu de sel à l'intrigue. Vern subit en effet de profondes transformations physiques au fur et à mesure de son périple. Transformations qui lui causent des douleurs insupportables mais décuplent sa force et sa capacité à se régénérer. La nécessité vitale pour la jeune femme de comprendre ce phénomène constitue, au-delà de la simple survie, le vrai fil conducteur du récit puisque c'est cela qui va l'obliger à renouer avec son passé. L'histoire du Domaine béni de Caïn est en effet trouble, de même que certains usages rythmant le quotidien des habitants et avec lesquels Vern a toujours été en opposition. L'auteur laisse fuiter ses révélations au compte-goutte, et celles-ci vont souvent de paire avec la survenue de scènes d'action spectaculaires que ne renierait pas un blockbuster. Mais là où le roman est le plus intéressant, c'est en ce qui concerne les thématiques qu'il choisit de mettre en avant. L'auteur aborde ici un grand nombre de sujets, certains plus frontalement que d'autres qui, bien que traversant tout le roman, ne sont évoqués qu'en sous-texte. C'est le cas par exemple de la violence de la colonisation envers les populations autochtones aux États-Unis, un sujet qui n'est abordé que marginalement mais qui imprègne pourtant le récit à travers l'image qu'on se fait de ce pays qui n'est jamais vraiment nommé mais qu'on identifie pourtant immédiatement. le racisme, et le sort infligé aux millions d'Africains réduits en esclavage en Amérique, est évidemment omniprésent, comme c'était déjà le cas dans les deux précédents romans de l'auteur, puisque la métamorphose de l'héroïne s'accompagne de visions sanglantes liées au sort réservé aux populations noires aux États-Unis, et ce à différentes époques. Certaines scènes sont par conséquent difficiles à lire par la violence qui s'en dégage, qu'elle soit physique ou morale. D'autres, en revanche, sont pleines de tendresse et permettent un relâchement bienvenus sans qu'on ne puisse pour autant taxer l'auteur de la moindre mièvrerie. J'ai pour ma part été assez sensible aux références littéraires (Ursula le Guin, par exemple, dont on retrouve ici de jolis extraits) de même qu'à la subtilité avec laquelle l'auteur tente de déconstruire certaines de nos représentations. C'est le cas, entre autre, avec le genre, puisque le sexe des jumeaux (jumelles ?) est volontairement passé sous silence, ce qui permet de se représenter les personnages sans qu'aucun stéréotype ne vienne interférer.

La relation entre Vern et ses jumeaux étant au coeur de l'intrigue, la question de la maternité apparaît également comme centrale et est abordée avec beaucoup de sensibilité. L'amour que porte l'héroïne à ses enfants et sa conscience aiguë que leur survie repose, dans un premier temps, sur ses seules épaules sont communicatifs. On passe ainsi une grande partie du roman avec au creux du ventre un sentiment d'urgence, le même que celui ressenti par Vern lorsqu'elle se voit contrainte de laisser momentanément ses petits. L'auteur livre d'ailleurs une réflexion intéressante sur la construction du rapport entre parent et enfant, les valeurs qu'on veut leur transmettre, le poids de l'éducation qu'on leur donne… Vern est en effet une mère atypique qui, parce que totalement seule et avec pour seule représentation un modèle qu'elle ne veut pas reproduire, se sent libre d'élever ses enfants de la manière qui lui semble la plus appropriée, sans aucune pression sociale d'aucune sorte. La relation qu'elle tisse avec ses enfants est par conséquent un peu déstabilisante mais surtout très touchante dans la mesure où, au-delà de toutes considérations d'ordre éducatif, l'auteur parvient à décrire avec justesse et délicatesse la profondeur du lien qui peut unir un parent et ses petits. Les autres relations que l'héroïne tisse avec les personnages sont également très intenses, y compris avec ses adversaires. L'auteur fait d'ailleurs le choix de mettre presque exclusivement en scène des femmes, principalement noires, ce qui lui permet évidemment d'aborder de façon plus intimiste l'ensemble des thématiques dont j'ai déjà fait mention. Toutes font l'objet d'un traitement soigné et parviennent, à un moment ou un autre du récit, à nous toucher, que ce soit par leur force, leur bienveillance, ou la tristesse de leur sort.

Rivers Solomon signe avec « Sorrowland » un très bon roman qui, à travers la lutte d'une femme pour sa liberté et celle de ses enfants, met en lumière des aspects sombres de l'histoire des États-Unis. L'auteur alterne avec succès entre scènes d'action spectaculaires et moments intimes bouleversants, une combinaison qui rend difficile pour le lecteur de se résigner à reposer l'ouvrage une fois celui-ci entamé. Une très belle découverte, donc, que je vous recommande chaudement.
Lien : https://lebibliocosme.fr/202..
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Depuis quelques temps, j'ai l'impression d'avoir trouvé un nouveau motif qui me plaît dans mes lectures d'imaginaire : celui des destins de femmes bafouées par les hommes qui luttent avec force contre le patriarcat mais au travers la plume poétique et imagée de leurs autrices et auteurs. Sorrowland est dans cette veine aux côtés de Rouge ou encore du Dieu dans l'ombre et je les adore !

Avec dans chacune de ses éditions des couvertures toujours percutantes, Sorrowland me permet de découvrir Rivers Solomon, un-e écrivain-e américain-e non binaire, qui s'est déjà fait remarquer pour deux textes forts évoquant racisme et ségrégation : L'incivilité des fantômes et Les Abysses, qu'il va me falloir découvrir de toute urgence, tant j'ai aimé celui-ci. Avec sa plume simple mais tranchante, rude mais poétique, iel m'a fait vivre une sacrée expérience de lecture dans l'Amérique inventée qu'iel a mis en scène qu'on ne peut malheureusement que trop rapprocher de celle qu'on connaît. Malgré quelques maladresses finales, j'ai été frappée par sa facilité à instaurer une ambiance étrange et inquiétante, et moi, j'adore ça !

C'est avec une belle finesse qu'iel nous plonge dans un univers qui semble au départ sortir d'un vieux livre d'histoire ou d'un vieux conte de fée, où l'héroïne Vern, s'est enfuie de là où elle vivait pour trouver refuge dans la forêt et y donner naissance à des jumeaux. le lecteur est d'abord saisi par la rudesse de sa vie, puis par la force de caractère de cette toute jeune femme et par le lieu singulier où elle évolue. Il peut alors s'attendre, peut-être, à une lecture du domaine de la fantasy, mais petit à petit, un récit encore plus riche se dévoile.

Sorrowland est un texte qui porte à merveille son nom tant l'univers où évolue l'histoire est gris, dangereux et étrange. On pourrait facilement se laisser aller à la morosité mais ce n'est pas le choix de Vern, qui va se battre pour ses enfants, afin qu'ils ne connaissent pas le même destin qu'elle. Et quel destin ! Elle vivait jusqu'alors au sein d'une communauté noire raciste, patriarcale et homophobe où son mari, une sorte de pasteur, avait la main mise spirituelle sur tous les habitants, mari qui l'a épousée à même pas 14 ans et qui n'a que des réflexions archaïques sur la vie et les femmes ! Mais Vern est un personnage comme je les aime. Malgré son handicap, elle est albinos de naissance et voit très mal, la révolte a toujours couvé en elle et aussi bien son âme que ses désirs dérangent. Son choix de s'enfuir m'a donc semblé parfaitement logique et le récit de sa survie fut lumineux car exemplaire !

Bien que dans un univers très sombre, j'ai aimé voir le récit porté par le positif courage de l'héroïne qui lutte envers et contre tous pour le futur de ses enfants et le sien, et ce malgré son jeune âge. Alors que d'habitude ce n'est pas mon truc, j'ai aimé me retrouver face à un récit de survie où Rivers Solomon écrit magnifiquement la vie en forêt, entre rudesse et source de vie. C'est beau et dangereux à la fois, fascinant et proche également. C'est un très bel exemple de nature writing. J'ai adoré y voir évoluer Vern et ses jumeaux : Hurlant et Farouche, dont elle taie le sexe, voulant les élever dans la non-binarité, une trouvaille fabuleuse ! Et des pages superbes sur la protection et l'éducation d'enfant en milieu naturel + milieu hostile. ❤

Cependant Rivers ne se contente pas de cela, même si ça aurait déjà fait une superbe histoire. Iel imagine une intrigue plus complexe autour de l'ancien foyer de Vern et de ce qu'elle y a vécu ainsi que les autres habitants, l'occasion de revenir sur les sectes et leurs ravages, mais aussi de virer de bord et de partir vers un très beau récit entre fantastique, thriller et body horror. Fascinant ! Rivers nous amène avec beaucoup de subtilité vers ces points de bascule qui vont tendre son récit à deux reprises et le faire évoluer, passant d'un récit de survie dans la nature, à un fantastique tendance body horror, pour finir par un thriller vengeresque. Que d'ambiances différentes et que de réussites à chaque fois ! le récit est donc plein de surprises et à part un petit coup de mou au milieu quand Vern et ses enfants trouvent un nouveau refuge où se poser, j'ai tout aimé et pardonné, même les grosses ficelles et raccourcis finaux.

Il faut dire que Sorrowland est un récit puissant, qui marque, ravage et fait réfléchir. Il montre comment on peut dévoyer une utopie. Il raconte le courage incommensurable d'une mère pour ses enfants. Il dénonce le racisme, l'homophobie et le patriarcat et appelle à la non-binarité, à la liberté de ressentir et assouvir ses désirs, à l'ouverture à l'autre. Rivers Solomon fait preuve de pages et de pages puissantes pour mettre cela en scène dans des lieux qu'on ne peut oublier et des situations perturbantes qui restent en tête, comme la transformation qui se produit chez Vern au fil des pages. C'est très singulier.

Même son écriture des personnages est réussie. Comment résister à cette jeune mère courage, perdue, handicapée et pourtant toujours là pour ses enfants et ceux qu'elle aime, même s'ils l'ont parfois trahie. Impossible de résister également à ses chers chérubins tellement attachants, aux noms si parlant. J'ai adoré la sagacité de Hurlant, et la force de Farouche, qui bien que plus fragile, suit toujours son jumeau. La rencontre avec un duo de femmes non-jugeantes au milieu de l'histoire m'a fait un bien fou. Elles furent l'ancre et notre jeune famille et ont tellement apporté à chacun pour se trouver, s'instruire et avancer. Je suis juste un peu déçue par les antagonistes de cette histoire, ma foi, très manichéens mais c'est le cadre aussi de cette utopie manquée qui veut ça, je pense. Il faut des antagonistes en tout point détestables pour dénoncer ce que dénoncer l'auteur-trice.

Sorrowland entre donc à son tour dans la courte liste (pour le moment) de ces titres revendicateurs pour la femme et les minorités avec une plume puissante, étrange et poétique, qui prend aux tripes. Ici, c'est à l'aide d'éléments de nature writing et de body horror fascinants et glaçants que Rivers Solomon aura su me convaincre et me marquer. Je me souviendrai longtemps de cette petite famille prête à tout pour survivre au milieu des racistes, des homophobes et des patriarches d'un autre âge. Force et courage à ceux luttant contre l'oppression alors même qu'on veut leur faire croire qu'ils vivent dans un paradis. Ça devrait nous interroger sur notre propre réalité.
Lien : https://lesblablasdetachan.w..
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Un bon roman, pris seul, à mes yeux : un regard nécessaire et mordant sur la condition queer et racisée, vibrant d'émotions humaines magnifiques, y compris dans ses moments les plus sombres.
Mais à un niveau plus personnel, je n'y pas autant trouvé mon compte que dans mes autres lectures de l'auteurice, la faute à une certaine redondance thématique et allégorique au sein du roman, et par ricochet, de son oeuvre globale.
Au final, on a quand même un excellent roman pour qui ne connaît pas bien Rivers Solomon ou n'a pas mes obsessions analytiques.
Lien : https://syndromequickson.com..
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Du body horror sur fond de paranoïa et d'hallucinations, mais aussi d'une critique acerbe tant du patriarcat que de l'impérialisme interne des États-Unis. L'évolution de l'histoire est assez inattendue et malgré quelques passages un peu plus en-deçà, le roman se laisse lire avec plaisir – entrecoupé de frissons.

Rivers Solomon s'est fait une place dans les littératures de l'Imaginaire avec ses deux premiers romans, et tout en continuant d'explorer les thèmes qui lui sont chers, signe un nouveau texte plein de tripes, de colères mais aussi d'espoirs.

Critique complète :
https://blog.belial.fr/post/2022/10/26/Pour-quelques-runes-de-plus-Bifrost-108
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Un thriller fantastique endiablé pour un troisième roman de résistances mythologiques foisonnantes et convergentes.


Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2022/07/16/note-de-lecture-sorrowland-rivers-solomon/

Pas de note de lecture pour ce « Sorrowland », troisième roman de Rivers Solomon, publié en 2021 et traduit en français en 2022, toujours par Francis Guévremont et toujours chez Aux Forges de Vulcain : l'article que je lui consacre est à lire dans le Monde des Livres daté du vendredi 15 juillet 2022, ici. Si je n'ai pas résisté au plaisir de reproduire ci-dessus la citation illustrant l'article dans le quotidien du soir, et d'en proposer quelques autres ci-dessous, le reste des commentaires sur cette page de blog sont donc plutôt à considérer comme des notes de bas de page vis-à-vis de l'article principal, incluant éventuellement quelques bribes (n'ayant pas été utilisées telles quelles) de mon entretien à Paris avec Rivers Solomon il y a quelques semaines.

L'un des traits saillants de ces 500 pages, qui empruntent cette fois davantage les codes de l'horreur gothique et du thriller d'espionnage (en un cocktail particulièrement réjouissant, la composante thriller proposant un mix redoutable de classique Robert Ludlum – les super-héros solitaires ne sont pas toujours où l'on croit – et de minutieuse fiction documentaire à la Dana Spiotta – lisez « Eat the Document ») plutôt que ceux de la science-fiction interstellaire ou de la fantasy mythologique, est leur foisonnement thématique, appuyé dans certains chapitres, beaucoup plus discret dans d'autres. Si l'on ose un glissement stylistique (mais oui !) du côté de ce que les universitaires anglo-saxons appellent, pour le meilleur et pour le pire, la « French Theory », particulièrement familière à Rivers Solomon, avec son master de Stanford en études comparatives raciales et ethniques, « L'incivilité des fantômes » et davantage encore « Les abysses », regardent vers Jacques Derrida et ses flèches métaphoriques acérées, là où « Sorrowland » lorgne beaucoup plus manifestement vers les rhizomes de Gilles Deleuze et Félix Guattari (et pas uniquement par la présence officielle dans le texte, le moment venu, de mycélium).

La notion même de « sensitivity reader » demeure controversée aujourd'hui, tout particulièrement en France, alors qu'il semble plutôt normal et logique de s'assurer d'un minimum de respect et de vérisimilitude lors du traitement de sujets sensibles du point de vue des personnes directement concernées – sans préjuger naturellement des choix artistiques qui seront faits, en toute connaissance de cause, par les autrices et les auteurs in fine. On pourra noter ainsi que si Rivers Solomon réalise à l'occasion des consultations pour des collègues sur les sujets d'afro-américanisme et de troubles du spectre de l'autisme, pour lesquels sa légitimité semble indéniable, il ne lui a pas fallu un instant d'hésitation pour s'assurer à son tour d'une lecture sensible extérieure sur les questions amérindiennes et de troubles de la vision liés à l'albinisme, qui jouent un rôle essentiel dans « Sorrowland ».

D'une manière qui ne faisait pas jusqu'ici partie de son ADN observé, Rivers Solomon est aussi capable d'une belle dose d'humour (même s'il s'agit souvent d'humour noir), jouant soit des étrangetés de point de vue que lui permet son personnage principal, soit d'une forme d'anachronisme de tonalité que ne renieraient peut-être pas les Wu Ming (avec lesquels se partage de facto ici une certaine conception du lien combattant entre le politique et le littéraire) de « L'Oeil de Carafa » ou la Marie-Fleur Albecker de « Et j'abattrai l'arrogance des tyrans ».

Comme dans les deux romans précédents, l'enjeu principal ici, au service duquel les moyens littéraires, aussi malléables que possible, doivent se mobiliser, est bien l'élaboration de contre-narrations au sens de John Keene, comme l'illustrent ailleurs un Colson Whitehead et un George Saunders (que je cite logiquement, après échange avec Rivers Solomon – qui apprécie tout particulièrement l'auteur de « Grandeur et décadence d'un parc d'attractions » -, dans l'article du Monde des Livres cité en introduction de cette « note »), ou encore une Nalo Hopkinson (également l'une des autrices favorites de Rivers Solomon, et dont on ne peut que regretter à nouveau qu'elle soit aussi peu traduite en France) et, bien entendu, une Octavia Butler, dont la stature de pionnière d'un afro-futurisme résolument littéraire ne cesse désormais de s'affirmer.

On notera également que par rapport aux deux romans précédents, « Sorrowland » marque certainement un point d'inflexion dans le nombre d'ambiguïtés dialectiques proposées à la sagacité de la lectrice ou du lecteur, du couple réassurance /endormissement (ou pire) de la religion (surtout dans sa déclinaison nord-américaine évoluant si souvent à la limite de la secte) à celui émancipation individuelle / lutte collective (si joliment incarné ici au sein du duo formé par l'Afro-Américaine Vern et l'Amérindienne Gogo), en passant par l'opposition ville-civilisation / forêt-sauvagerie qui, tout en jouant autour des figures mythiques de l'esclave en fuite et de l'enfant sauvage, force la question-clé : « qu'est-ce qu'être sauvage de nos jours ? », pour ne citer que quelques-unes des mécaniques de réflexion par opposition mises ici en oeuvre par Rivers Solomon.

Assumant pleinement ses visées et ses ambitions politiques dans un contexte marqué par l'urgence à laquelle est désormais confronté « Black Lives Matter », parmi d'autres mouvements de défense des minorités bafouées ou menacées, « Sorrowland », tout en gardant les aspects joueurs et efficaces que lui permet le recours habile à l'arsenal des « mauvais genres », marque une nouvelle étape décisive dans le développement littéraire de Rivers Solomon, pour notre plus grand plaisir complice – et notre soutien un peu plus qu'implicite à tous ces éveils et travaux mémoriels si nécessaires.

Lien : https://charybde2.wordpress...
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Je me suis laissée complètement emportée dans l'imaginaire violent et engagé de Rivers Solomon, à la suite du magnifique personnage de Vern, l'insoumise et de sa métamorphose puissante. Réflexion intense sur l'identité, le fanatisme, la domination, pour un voyage qui détone et bouleverse. Une expérience de lecture inouïe et adorée.
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Le résumé est une belle introduction du début du livre.
Il s'avère que les sujets de cette oeuvre sont multiples : la nature, la discrimination, les communautés religieuses, le patriarcat, les préjugés, les peuples autochtones, l'image de soi, la différence, la liberté sexuelle,...
Difficile de tout exploiter et pourtant cette lecture nous prouve que le contexte créé tient la route. Cependant, on aurait aimé en savoir plus sur certains domaines.
Vern doit se sortir de tous les enseignements qu'elle a reçu et se faire sa propre idée, tracer son propre chemin à travers ce qui lui a été enseigné et qui lui paraît anormal. le chemin est ardu pour celui qui a vécu toute sa vie dans un certain contexte et qui tente de se faire sa propre opinion.
Le roman est résolument engagé, il aborde de multiples facettes de notre société, des sujets qui me passionnent vraiment mais qui ont été survolés pour la plupart car trop dense et trop nombreux pour une seule histoire. Il reste qu'il est super de lire ce type de livre qui, sans rentrer trop dans les détails, met en avant des thématiques peu exploitées et très intéressantes.
Ça me donne envie d'en savoir plus et de me renseigner sur certaines choses.
Je n'en dis pas plus pour ne pas trop en dévoiler, mais cette lecture a été très plaisante, avec un côté sombre et cynique qui m'a beaucoup plus.
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