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322 pages
Félix Brossier, Editeur (12/06/1889)
5/5   1 notes
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Il est fort rare de croiser au XIXème siècle des romans consacrés à l'homosexualité, même sous la plume d'écrivains ouvertement homosexuels. Considérée comme une perversion maladive dénuée de sens, puisque allant à rebours des lois de la nature, l'homosexualité était cruellement jugée comme un dérèglement cérébral. Mais plus encore que l'homosexualité masculine, au moins explicable par le rapport décomplexé des hommes avec le sexe, l'homosexualité féminine était excessivement taboue, tant la morale chrétienne imposait à la femme de ne pas s'abandonner au plaisir charnel autrement que dans un cadre amoureux et marital. D'ailleurs, pour la société, une bonne épouse, appelée à devenir une bonne mère, n'avait pas à être sensuelle. Il était tacitement admis que les maris, eux, avaient bien le droit de défouler leurs pulsions dans les maisons de tolérance ou, pour les plus fortunés et les plus influents, dans les bras d'une "cocotte", d'une courtisane entretenue par un ou plusieurs protecteurs, à l'image de la célèbre « Dame aux Camélias » d'Alexandre Dumas Fils.
Cependant, les temps changèrent ; les années 1880 virent le monde des lettres, et particulièrement l'école symboliste, afficher quelques personnalités littéraires ouvertement lesbiennes et, sous prétexte de sensibilité littéraire, se travestissant publiquement en hommes. La première fut l'inévitable Rachilde, épouse d'Alfred Vallette, éditeur de la maison d'édition symboliste le Mercure de France. Elle ouvre la porte à un militantisme lesbien alors fondé sur le travestissement, et où s'engouffrera son ex-amante Gisèle d'Estoc, elle aussi écrivain.
C'est donc dans la continuité de ces deux pionnières que s'inscrit la femme de lettres rémoises Clémence Durieux (1858-1906), en publiant en 1887 son premier roman, « Ze'boïm » sous le pseudonyme de Maurice de Souillac.
Ce titre étrange est la romanisation discutable du mot hébreu צְבֹויִים ("Tsvoyim"), plus volontiers transcrit aujourd'hui en "Séboïm", nom d'une des cinq villes pécheresses de l'Ancien Testament, dont Sodome et Gomorrhe, détruites par une pluie de feu envoyées par Dieu.
« Ze'boïm » peut être considéré comme le premier roman lesbien de l'ère moderne, même si c'est un récit qui s'inscrit totalement dans le style tourmenté symboliste de son temps.
Publié chez un petit éditeur, Alphonse Piaget, « Ze'boïm » ne fut guère remarqué à sa sortie que par une élite très parisienne. C'est lors de sa réédition en 1889 par un autre éditeur, Félix Brossier, que le roman fit scandale, principalement parce que cet éditeur avait joint à cette réimpression une illustration très érotique (pour l'époque) sur une jaquette volante, dont à priori tous les exemplaires ont été saisis par la Justice et détruits. Curieusement, l'éditeur ne fut pas attaqué, mais l'auteur du roman le fut. Condamnée à une forte amende et à un mois de prison, Clémence Durieux préféra fuir la France et s'installa en Belgique, avant de revenir à Paris, bien des années plus tard, comme salonnière philanthrope et mystérieusement enrichie, sous la fausse identité de la Marquise de Souillac.
Néanmoins, si « Ze'boïm » est son unique chef d'oeuvre, c'est en tout cas un livre remarquable, merveilleusement écrit, intense et scandaleux.
le roman s'attache à la destinée de Madeleine, une jeune bourgeoise alors aux portes de l'adolescence, ayant passé, depuis la mort accidentelle de ses parents, la dernière partie de son enfance dans un pensionnat religieux. D'une grande beauté et tout à fait innocente, l'évolution hormonale de Madeleine lui confère une séduction pulpeuse qui fait une grande impression sur ses camarades de dortoir. Madeleine est adorée par ses consoeurs, qui ne manquent jamais une occasion de la caresser, et de l'embrasser, de plus en plus souvent, avec des mains qui s'égarent volontiers sur ses seins et sur ses fesses. Sa voisine de dortoir, Hermance, déjà un peu délurée, lui sert volontiers de garde du corps, mais au fond, elle voudrait bien en faire autant que les jeunes filles qu'elle jalouse. Cependant elle comprend que Madeleine, absolument innocente et d'autant plus érotique par cette candeur naturelle, ne voit aucune malice à toutes ces caresses, tant le pensionnat lui est un cocon familial précieux qui lui fait oublier la mort prématurée de ses parents. Folle amoureuse, Hermance craint d'être rejetée par Madeleine si elle se déclare, mais chaque jour qui passe la rend plus frustrée et plus malheureuse. Aussi prend-elle le prétexte d'une dépression pour quitter le pensionnat, mais comme on le verra plus loin, elle chérira toute sa vie le souvenir de Madeleine.
Si ses autres camarades n'osent pas aller plus loin avec Madeleine, l'une des soeurs chargées de la garde du dortoir ne manque pas de remarquer cette délicieuse adolescente, si tolérante envers les caresses d'autrui. Un soir, la soeur entraine avec elle Madeleine, et l'agresse sexuellement dans sa chambre, en la masturbant frénétiquement. Surprise par la sensation, Madeleine ne la trouve pas désagréable, mais elle est effrayée par le regard fiévreux et la respiration saccadée de la soeur, et se laisse passivement violer pour ne pas se montrer contrariante. Une fois que la soeur a tiré son plaisir de son acte, cette dernière mesure enfin la gravité de son acte, d'autant plus qu'elle se rend compte qu'elle n'a rien éveillé de sensuel chez Madeleine. Face à tant de pureté, la religieuse se sent terriblement écoeurée d'elle-même, et elle renvoie Madeleine dans son lit.
Cependant, Madeleine parvient à l'âge fatidique de 16 ans, et il lui faut désormais quitter le pensionnat. Elle s'installe à Trilport, dans la banlieue de Meaux, chez une tante qui gère l'héritage de ses parents et qui l'encourage à se trouver un mari. Madeleine hésite. Elle aimerait bien profiter un peu d'une solitude qu'elle n'a jamais vraiment connu. Mais surtout, au fur et à mesure que sa tante la fait rentrer dans le beau monde, et lui désigne de possibles prétendants, Madeleine réalise qu'elle inspire aux hommes la même frénésie qu'elle inspire aux femmes, mais sous une forme encore plus animale, et plus brutale.
Lors d'une promenade en forêt, elle manque de se faire violer par un jeune blanc-bec local, auquel elle ne parvient à échapper que grâce à un brutal orage, et à la foudre qui s'abat sur l'arbre au-dessus d'eux. Assistant ensuite au mariage de sa cousine Cécile, qu'elle n'avait pas vu depuis l'enfance, Madeleine tombe sous le charme de ce jeune couple sincèrement amoureux, et dont elle envie le bonheur simple. Comme ils sont riches et habitent une très grande propriété, nantie de plusieurs chambres, Cécile et Pierre invitent Madeleine à s'installer chez eux. Comme par ailleurs, Madeleine commence à être fatiguée des intrigues matrimoniales de sa tante, elle accepte avec joie de partager à nouveau un quotidien avec des jeunes gens de son âge.
Mais Madeleine ignore encore le pouvoir immense et incontrôlable de son "sex appeal". Très vite, Pierre, se retrouve obsédé par elle, et tente ponctuellement de la coincer entre deux portes. Pour le fuir, Madeleine s'efforce de coller le plus souvent aux basques de sa cousine. Mais hélas pour elle, Cécile nourrit envers Madeleine les mêmes désirs que son mari. Elle aussi a grandi au pensionnat, et elle n'a pas manqué de goûter avec une grande complaisance aux amours féminines. Elle finit par s'enfermer dans une chambre avec Madeleine, et la viole à son tour.
Comme Cécile est experte en la matière et que Madeleine est déjà plus âgée, ce deuxième viol féminin lui est considérablement plus agréable que celui de la bonne soeur du pensionnat. Mais pour autant, même si Madeleine sait désormais ce que tout le monde rêve de faire avec elle, la situation ne la satisfait pas, d'autant plus qu'elle est consciente que tôt ou tard, Cécile va exiger de Madeleine qu'elle partage le lit conjugal avec Pierre. Et ça, Madeleine s'y refuse...
Elle quitte donc le manoir de sa cousine, retourne chez sa tante et la supplie de lui trouver un mari. En ce temps-là, le meilleur candidat au mariage n'était pas le plus irrésistible mais celui qu'il était proprement impossible de refuser. Pour Madeleine, il s'agit d'Albert de Lauret, baron converti à la députation, homme riche, influent, mondain, plus très jeune mais pas trop décati, qui offre à Madeleine un titre de baronne, et une existence luxueuse et festive à Castel-Ginestras (vraisemblablement Castelginest, près de Toulouse), sous le climat merveilleux des Landes. Mais au lit, hélas, le baron est sommaire et expéditif, et Madeleine ne ressent rien avec lui qui soit comparable à l'étreinte de Cécile. Aussi quand cette coquine cousine débarque en visite chez madame la Baronne, Madeleine la ramène bien vite dans son lit.
Rapidement, Albert de Lauret soupçonne quelque chose, tant désormais son épouse repousse presque avec dégoût ses envies de tendresse. Il finit par surprendre Madeleine et Cécile ensemble, et chasse la perverse cousine de sa maison. Néanmoins, percevant le saphisme de sa femme comme une maladie mentale, il suppose qu'elle peut en guérir en changeant d'air. Il décide donc de s'installer avec elle à Oran, en Algérie, alors département colonial de la France, où Cécile ne sera pas en mesure de retrouver Madeleine. Albert, hélas, se leurre s'il croit sa femme à l'abri de la tentation.
Car Oran est alors une ville où l'on trouve plus de riches colons que d'indigènes, et l'on mène une vie mondaine et volontiers décadente. Albert de Lauret, régulièrement appelé à Paris pour ses affaires politiques, laisse souvent sa femme seule au coeur de ces mondanités. Madeleine y fait alors la rencontre de la comtesse de Terville, jeune veuve précédée d'une solide réputation de moeurs saphiques. Madeleine tombe sous le charme et prend même, pour la première fois, l'initiative de séduire une autre femme.
La baronne et la comtesse entament une relation passionnée et d'une rare intensité charnelle. Elles se cachent à peine, et s'offrent, durant les absences d'Albert de Lauret, des escapades romantiques dans le Sud-Oranais, dont l'une d'elles manque de tourner au drame : les deux jeunes femmes sont enlevées par les sbires de "Bou Amama", un rebelle antifrançais qui les enferme dans son harem avec l'intention manifeste de les violer. Présenté comme un pervers sexuel sadique à la tête d'un harem d'une cinquantaine de femmes, le cheikh Bou Hamama était en réalité un résistant prônant un Islam rigoriste, qui semble avoir sacrifié toute vie sexuelle ou familiale à sa cause. L'image fantasmatique qu'en donne Clémence Durieux ne repose donc sur aucune réalité historique.
Néanmoins, dans ce harem, la sensualité magnétique de Madeleine fait une forte impression sur les odalisques algériennes. L'une d'elles, prise de compassion, fait évader, au péril de sa vie, Madeleine et son amante, qui reviennent à Oran plus mortes que vives. L'émotion a été forte, et Madeleine décide de quitter son époux sans un mot d'adieu, et regagne l'Europe avec la comtesse de Terville.
Les deux femmes finissent par s'installer à Venise, où elles font alors une rencontre inattendue : Cécile y séjourne, désormais célibataire, exclusivement lesbienne, et travestie en homme. Déterminée à reconquérir Madeleine, elle se présente chez elle, et provoque en duel la comtesse de Terville. Les deux femmes se dépoitraillent, et se livrent à un véritable duel de mousquetaires sous le regard quelque peu excité de Madeleine. C'est finalement Cécile qui blesse grièvement son adversaire, et s'enfuit avec Madeleine.
Cette scène, qui semble l'une des plus loufoques du roman, est cependant la seule dont on peut affirmer qu'elle est inspirée par un fait authentique : ce duel a bien eu lieu, tel que décrit, mais à Paris, entre Giselle d'Estoc et une rivale.
Cécile et Madeleine s'installent enfin à Paris, dans une maison récemment mise en vente après le suicide de sa propriétaire. Les deux jeunes femmes vivent là une romance sincère qui les fait connaître du tout Paris, jusqu'au jour où, dans le tiroir d'une commode, Madeleine décèle un emplacement secret où est caché le journal intime de l'ancienne propriétaire suicidée. En le lisant, Madeleine découvre qu'il s'agit d'Hermance, son ancienne voisine de dortoir, qui durant toutes ces années, a constamment chéri le souvenir de Madeleine et a longuement écrit à son sujet dans son journal intime, avec des mots d'amour qui bouleversent totalement la jeune femme, et lui font prendre conscience que sa relation avec Cécile est purement charnelle. Elle se sent le désir de connaître un extraordinaire amour de femme, et sur un coup de tête, elle quitte Cécile en lui laissant sur sa table de nuit une lettre brève et sans espoir.
Cécile sombre dans une profonde dépression, s'enferme dans la maison, et y reste toute la journée à pleurer. Une nuit, croyant la demeure inhabitée, une bande de cambrioleurs s'y introduit et surprend Cécile. Ils la violent, puis la tuent...
On retrouve Madeleine dix ans plus tard, errant sur les quais de la Garonne. Madeleine a bien vécu et beaucoup aimé de femmes, mais sans plus de ressources financières, elle est vite tombée dans la prostitution. Par ailleurs, sa beauté commence à se dégrader, autant usée par le temps que par son mode de vie. Elle a finalement décidé de mettre fin à ses jours. Prenant son courage à deux mains, elle se jette dans la Garonne pour s'y noyer. Elle est sauvée in extrémis par un promeneur nocturne qui l'a vue sauter et a plongé pour la secourir. Mais une fois la belle inconnue sauvée des os, il regrette amèrement son geste. Ce sauveteur, en effet, n'est autre qu'Albert de Lauret, qui reconnaît là l'épouse indigne qui l'a abandonné. Madeleine, elle, y voit un signe du destin. Elle supplie Albert de la reprendre, promet de ne plus jamais retomber dans son vice. Tiraillé entre son amour et sa colère, Albert n'arrive cependant pas à faire confiance à Madeleine. Il refuse, mais elle le harcèle. Il revend sur un coup de tête sa maison de Castel-Ginestras, et s'enfuit comme un voleur sur l'ile de la Réunion. Quelques mois plus tard, Madeleine débarque elle aussi à Trois Bassins, sur les bords de la Grande Ravine, où Albert s'est acaheté une maison tout en haut d'une colline. Madeleine supplie à nouveau Albert de la reprendre avec lui. Comme le baron refuse énergiquement et l'enjoint de rentrer en métropole, elle menace alors de se suicider en se jetant d'une falaise. La mort dans l'âme, Albert accepte de lui accorder une dernière chance…
Contre toute attente, ces retrouvailles débouchent sur un bonheur sans nuages. Sur cette île qui est encore très peu habitée à la fin du XIXème siècle, Madeleine se retrouve préservée de la tentation des femmes et du regard lubrique de la société, et devient ce à quoi elle a toujours aspiré : une bonne épouse, puis, très rapidement, la mère comblée d'un petit garçon qui devient sa nouvelle raison de vivre….
Présenté comme une "étude de moeurs" inspirée de faits réels, « Ze'boïm » évolue rapidement en un roman initiatique symboliste, puis en véritable roman d'aventures. Pour un lectorat lesbien moderne, ce roman semblera sans doute trop frileux. Il est vrai que le saphisme est moins présenté ici comme une sexualité à part que comme une sorte d'addiction charnelle, comme une drogue à laquelle Madeleine ne peut échapper. Pour autant, rien de ce que cette drogue peut avoir de voluptueux ne sera dissimulé au lecteur et à la lectrice, en dépit de réprobations morales ponctuellement exprimées.
Véritable "junkie" du saphisme, Madeleine semble ne vivre que pour la quête perpétuelle de jouissance, au point que la sexualité avec les hommes n'a rien à ses yeux de sexuel - mais sans doute Clémence Durieux souligne par ce biais le sentiment de bien des femmes envers leur peu attentionnés compagnons.
On ne sait pas grand-chose du coeur de Madeleine : elle passe de bras en bras, sans regretter ceux qu'elle quitte, sans même jamais songer à ce que deviennent les femmes qu'elle laisse derrière elle, qui meurent plus ou moins directement de son abandon. Cette froideur narcissique, par ailleurs, n'est jamais condamnée par l'auteur, et contribue de beaucoup à ce sentiment d'addiction charnelle d'où est exclu tout sentiment amoureux. Même la reconquête de son mari semble davantage répondre au besoin que ressent Madeleine d'une vie "normale" et apaisée qu'à un réel attachement pour cet homme. Son enfant seul, en toute fin d'ouvrage, semble parvenir à faire enfin battre son coeur.
Néanmoins, le personnage est attendrissant et follement désirable, puisque Clémence Durieux/Maurice de Souillac la désire ainsi. L'originalité de l'intrigue et du sujet, le soin extrême apporté à une écriture raffinée et subtilement décadente, suffisent à faire de « Ze'boïm » une perle littéraire insolite, scabreuse et fascinante, qui fait aisément oublier tout ce que ce roman peut avoir de très primairement pornographique dans son essence.
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