Avril 1989, quelque part dans le sud-est de la Roumanie, derrière les grilles d'une bâtisse délabrée est regroupée une curieuse population. Des vieux, une Russe et un Hongrois, des plus jeunes, Polonais, Roumains et même un Américain, en tout treize humains qui vivent là à l'écart du monde sous l'oeil vigilant de l'immense portrait de Nicolae Ceauşescu qui orne le mur de l'usine d'engrais chimiques qui leur fait face
Ils sont-là depuis des années et le resteront. Personne n'osent s'approcher d'eux, pourtant on pourvoit à leur alimentation et à leur trousseau et de réguliers colis en provenance de la Croix Rouge Internationale améliorent leur ordinaire, colis qui contenaient encore à une époque certaines préparations pharmaceutiques. Car ces hommes et cette femme sont tous atteints de la lèpre. Peu à peu, parallèlement au délabrement du pays, leurs conditions de vie se dégradent.
Si on ne sait ni comment le narrateur a été contaminé, ni avec précision à quelle date il arrive à la léproserie, on en sait plus sur Robert W. Duncan, cet ancien officier de renseignements américain, "pensionnaire" depuis 1969. Une étrange amitié va se nouer entre ces deux-là jusqu'à cet hiver 1989 qui verra la chute de Ceauşescu. A l'unisson de leurs uniques voisins, les ouvriers chez lesquels monte la révolte contre le pouvoir, des velléités de liberté naissent dans l'esprit des deux hommes. Mais, c'est sans compter sur le reste de la communauté qui voit peu à peu son quotidien chamboulé.
A l'image du bacille de Hansen, que voilà un livre corrosif ! Ne chercher ni humour, ni ironie, le ton est plutôt brut, acide et sans fioritures, juste le quotidien auquel se mêlent des va et vient chronologiques, les rêves et les cauchemars de quelques exclus parmis les exclus. Un microcosme où, comme toujours, se reproduit le jeu de l'amour et de la haine avec ses grandeurs et ses bassesses. Sous le vernis, entre la couche de vie et celle de mort, un reste d'humanité subsiste et l'espoir, même s'il est mince, réussit cependant à s'y faufiler. La dignité, elle, est immense.
Un thème inhabituel pour un texte qui bouscule et qui forcément vous farfouille les tripes (qui réveillera aussi de bien douloureux souvenirs si on pense au sort réservé aux premières victimes du sida dans ces mêmes années 80). Se fondant naturellement dans le récit, s'insèrent çà et là des éléments historiques concernant la maladie à travers les âges et la peur qu'elle généra de tout temps.
Au-delà d' "une superbe métaphore de la dictature de la Roumanie communiste" (Corriere della Sera), et je ne le dirai jamais assez, y voir l'originalité du talent des jeunes auteurs des Balkans - Ognjen Spahić est Monténégrin - n'est pas superflu.
Je savais qu'il existait encore des léproseries en Afrique, en Inde et en Asie mais, l'éditeur ne le précisant pas, j'ai quand même voulu vérifier que ce roman ne s'étayait pas sur une certaine réalité. Si en Europe une léproserie est encore en activité à côté de Valence, en Espagne, il en existe bel et bien une également en Roumanie à Tichileşti, ouverte comme celle du livre en 1928. Les articles ne révèlent pas si des faits similaires s'y sont produits...
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