Cela fait longtemps que je veux lire ce livre, depuis que je l'ai repéré dans la première collection de ce qu'étaient alors les livres à 10 francs des éditions des mille et unes nuits, mais il a été vite épuisé et je suis donc contente de l'avoir enfin trouvé d'occasion. Il s'agit en fait d'articles que Steinbeck a fait paraître dans un journal, le San Francisco News, en 1936. Fruit d'une enquête en Californie auprès des paysans jetés sur les routes après la grande sécheresse de 1934 dans le Middle West américain, connue sous le nom de Dust Bowl à cause de la poussière soulevée par les vents incessants parcourant les terres desséchées et nues des exploitations agricoles ruinées.
Ce que Steinbeck a vu pendant ce reportage lui donnera l'idée et la matière pour écrire [
Les Raisins de la colère], publié quelques années plus tard, en 1939 (et qu'il va maintenant falloir que je lise, enfin !). Ces paysans qui ont migré parce qu'ils ont tout perdu et qui, arrivés en Californie, perdent encore plus. Steinbeck décrit la mécanique de la perte de la dignité, de la déchéance inéluctable, à cause de la façon dont le secteur est organisé et dont les aides sociales (ou leur absence) sont dispensées. Steinbeck n'hésite pas à plaider pour un état mieux organisé, pour une meilleure prise en compte de la réalité, par de l'humanité et un peu plus de bon sens et de bonne volonté.
Ce qui est décrit fait parfois penser à ce qu'on lit sur le système latifundiste d'Amérique du Sud, et on n'en est effectivement pas loin, les mêmes mécanismes sont à l'oeuvre. C'est intéressant de voir que les mêmes causes aboutissent aux mêmes conséquences, c'est le système qui est pourri, pas les hommes qui le subissent.
Un livre qui parle d'un autre temps, donc, mais qui montre la plume efficace de Steinbeck et son oeil qui sait donner du sens à ce qu'il observe, et qui décrit des mécanismes économiques et sociaux qui ne diffèrent pas de ceux que l'on peut voir à l'oeuvre aujourd'hui. Intéressant, et triste aussi quand on se dit que, si la forme a changé, le fond, lui est toujours là presque cent ans plus tard. Un livre à conseiller principalement aux inconditionnels de Steinbeck, les autres pourront commencer par ses ouvrages plus connus avant de devenir des inconditionnels à leur tour.