La carte et le territoire.... (comme un clin d'oeil)
La ligne
noire de la carte IGN symbole du chemin et du sentier ;
La ligne
noire faite d'oscillations comme celle d'un électrocardiogramme synonyme de murs en pierre sèche ou en ruine, de soutènement ou en maçonnerie ;
Une référence au titre du roman de
René Frégni ;
Les chemins parcourus par l'auteur avec ces crises, ou ses crises, surnommées "mon mal
noir"...
Dès l'exergue, le ton est donné :
« Je vais sortir. Il faut oublier aujourd'hui les vieux chagrins, car l'air est frais et les montagnes sont élevées. Les forêts sont tranquilles comme le cimetière. Cela va m'ôter la fièvre et je ne serai plus malheureux dorénavant ».
Thomas de Quincey
Avec la lucidité qui est sienne,
Sylvain Tesson nous emmène sur ces chemins
noirs à moins que ça ne soit sur ses chemins
noirs.
Une lettre qui fait toute la différence ou toute la convergence.
Un accident qui le transformera, mais sur lequel sa vision est, comme à son habitude, d'une terrible réalité : "J'étais tombé du rebord de la nuit, m'étais écrasé sur la Terre. Il avait suffi de huit mètres pour me briser les côtes, les vertèbres, le crâne. J'étais tombé sur un tas d'os."
Une rémission comme un défi : « Si je m'en sors, je traverse la France à pied. »
Et nous voilà partis avec lui, à traverser la France à pieds de Tende, dans les Alpes-Maritimes au point le plus septentrional du Cotentin : le sémaphore de la Hague..
Un peu à l'instar de ce qu'il fera dans ce livre plus récent intitulé sobrement
Blanc.
En parallèle de ces chemins
noirs les voies ferrées et leurs TGV, les voies routières et leurs autoroutes, les voies câblées et leur haut-débit, les voies des ondes et leurs fréquences 4G ou 5G. Là où tout va vite, trop vite...
Sur ces chemins
noirs, nous voilà au coeur du pays perdu, dans les zones grises de « l'hyper-ruralité », dans les zones
blanches de « l'hyper-connectivite », à moins que... Car ceux que l'on appelle ces néo ruraux qui cherchent le déconnexion et pour qui la première question avant de savoir si il y a une école est de savoir si il y a du haut débit.
Cet itinéraire est aussi pour lui source de reconstruction, de réflexion comme dans cette maison d'hôtes d'Azay-sur-Indre, où l'auteur tombe "sur une histoire du bagne de Cayenne. J'y découvris l'antienne des condamnés : « Le passé m'a trahi, le présent me tourmente, l'avenir m'épouvante. » La marche dans les bois balayait ces effrois. J'aurais pu recomposer la ritournelle : « Le passé m'oblige, le présent me guérit, je me fous de l'avenir. »".
Et pour nous lecteurs, c'est un bien plus qu'un simple voyage, c'est partager bien plus qu'un chemin, c'est se glisser dans ce que Tesson appelle ces interstices, c'est partager un rêve :
" Un rêve m'obsédait. J'imaginais la naissance d'un mouvement baptisé confrérie des chemins
noirs. Non contents de tracer un réseau de traverse,
les chemins noirs pouvaient aussi définir les cheminements mentaux que nous emprunterions pour nous soustraire à l'époque. Dessinés sur la carte et serpentant au sol ils se prolongeraient ainsi en nous-mêmes, composeraient une cartographie mentale de l'esquive. Il ne s'agirait pas de mépriser le monde, ni de manifester l'outrecuidance de le changer. Non ! Il suffirait de ne rien avoir de commun avec lui. L'évitement me paraissait le mariage de la force avec l'élégance. Orchestrer le repli me semblait une urgence. Les règles de cette dissimulation existentielle se réduisaient à de menus impératifs : ne pas tressaillir aux soubresauts de l'actualité, réserver ses colères, choisir ses levées d'armes, ses goûts, ses écoeurements, demeurer entre les murs de livres, les haies forestières, les tables d'amis, se souvenir des morts chéris, s'entourer des siens, prêter secours aux êtres dont on avait connu le visage et pas uniquement étudié l'existence statistique. En somme, se détourner. Mieux encore ! disparaître. « Dissimule ta vie », disait Épicure dans l'une de ses maximes (en l'occurrence c'était peu réussi car on se souvenait de lui deux millénaires après sa mort). Il avait donné là une devise pour
les chemins noirs."
En voilà une idée merveilleuse, cette idée de confrérie.... Tel le Petit Poucet il dépose des cailloux au fil de ses livres que chacun est libre ou non de suivre, ou de ramasser tels des souvenirs de promenades littéraires.
Pour conclure cette critique de ce livre qui a tout de l'ADN de Tesson, le mieux est de lui laisser la parole, la page ou l'écran :
" J'avais rêvé cette balade de France dans un lit, je m'étais levé pour l'accomplir, elle s'achevait. C'était un voyage né d'une chute. Certains chemins avaient été suffisamment labyrinthiques et solitaires pour mon goût. Y flottait encore l'odeur des aubépines et des écorces fraîches. J'avais assorti ma balade de quelques trébuchements. Mon arrivée consistait à m'approcher des parapets pour y solder mes comptes et oublier les infortunes. Désormais, s'ouvraient de nouveaux chemins
noirs : ceux que je devais inventer, hors du 25 000e. Des fuites, des replis, des pas de côté, de longues absences lardées de silence et nourries de visions. Une stratégie de la rétractation."