Ce livre ! Admirez le graphisme de la couverture de Gabrielle Ambrym. Comment douter alors de ce temps de conception intuitif et aux traits révélateurs d'une histoire à venir résolument perfectionniste. Quel charme et quelle prouesse !
Olympien, merveilleux de délicatesse et de justesse, «
Gugubarra » est un roman sensible, profondément humain.
Ce kaléidoscope sociétal, écologique, étire ses rais de lumière jusqu'au tremblant de l'antre d'Antoine, le narrateur. Il vit seul et pour cause. Il a en lui des blessures infinies, insondables et les regrets vifs. Remords-braises, ses regards se perdent sur Paris, sa ville.
Il ne travaille pas. Il vit avec l'héritage de son grand-père, ethnologue, pour un an de ressources en faisant très attention. Il cherche sa voie. Pas de côté.
L'écriture est un arc-en-ciel. À elle seule, elle déploie la force intrinsèque de ce récit bleu-nuit dont l'intimité est Antoine lui-même. Ce dernier observe une manifestation de sa fenêtre. Combat d'une jeunesse contre les fléaux inégalitaires, la terre blessée dans sa chair. Sans se sentir véritablement concerné, il va se fondre en elle, observer les mailles se refermer immanquablement. Essayer le mimétisme, survivre. Effet dominos, grand-écart, Antoine cherche les compensations, les moindres indices qui l'aideront à exaucer ses repentances.
Son grand-père était pour lui le socle. Orphelin de ses parents à dix-sept ans, un drame qui n'en finit pas. Tout se bouscule et la trame est un papillon de nuit sur une ampoule qui vacille.
« Moi, le spectateur attentif de ses récits j'admirais l'homme qui avait vécu sa vie. Une vie pleine, riche, forte. Une vie à l'opposé de celle que j'entamais. »
Un grand-père érudit, épris des tribus Aborigènes, les périples en Australie, sciences-humaines et connivence. de fil en aiguille Antoine va à Notre Dame des Landes. Il n'a pas le profil, pas encore.
« Je raconte à Glen que mon grand-père avait écrit un ouvrage sur le « temps de rêve » des Aborigènes de la région de Weemol, dans le Territoire du Nord. »
Glen est son opposé. Convaincu, engagé, petit-bourgeois, il prend son rôle à coeur. Il va entraîner Antoine jusqu'en Australie à Brisbane, sa terre natale.
« Alors j'observe ces gens. Impossible de douter de leur bonne foi, de leur sincérité. Mais cette pensée unique de groupe me rebute, c'est plus fort que moi. »
On ressent l'idiosyncrasie et les habitus de l'Australie. Manichéenne, dualité, les Aborigènes « tous connectés, tous reliés par un fil invisible. Invisible surtout pour nous les occidentaux. »
Le récit est souffle et quintessence. La capacité hors norme de
Jacques-Olivier Trompas de mêler une fiction au réalisme fou, sentimentale, existentialiste, politique et engagée. Et la gravité d'une renaissance à la vie pour Antoine. Dans les entrelacs de «
Gugubarra » Kookaburra, le plus gros martin-pêcheur du monde. Symbole quand tu nous tiens ! de ce peuple Aborigène broyé par les blancs. Les coutumes et rites écrasés du pied. le travail dans les mines, poussières noires au profond des yeux, corruption et soumission.
« Faire société, c'est être capable de comprendre l'autre, l'empathie, Antoine...et c'est accepter des règles communes. Pour les Aborigènes, les règles australiennes ne sont pas communes, elles ont été plaquées sur eux comme de la peinture sur de la poussière... »
Ce livre de salut, extraordinaire, est un hommage mémoriel pour les Arborigènes. Une ode générationnelle. Pétri de compassions, loyal et initiatique, ce livre à tiroirs, visages et altruisme est un voyage dont on revient métamorphosé. Après « Au pays des borgnes » et «
Blackbird », «
Gugubarra » signe la consécration d'un grand écrivain. En lice pour le prix Hors Concours des Éditions Indépendantes 2022. Publié par les majeures éditions Au Vent des îles.