Je n'aime pas la vie en tant que telle, pour moi, elle commence à signifier, je veux dire - elle prend du sens et du poids - seulement lorsqu'elle est transfigurée, c'est-à-dire - dans l'art. Si l'on m'emportait par-delà l'océan - au paradis - et qu'on m'interdisait d'écrire, je refuserais et l'océan et le paradis. La chose en tant que telle, je n'en ai pas besoin.
Hotel innova, 23 janvier 1939
[…] Je vois souvent Prague au cinéma, et toujours – comme ma ville, plus souvent encore je l’entends à la T.S.F. (la radio) – et toujours comme ma langue et ma musique. C’est l’endroit qui, de toute la carte, - m’émeut le plus. J’ai relu récemment « Le Golem », et aussitôt j’ai été happée par ce monde de brouillards et de visions qu’est resté pour moi Prague. (La campagne, je me rappelle – radieuse, Prague – rêveuse : couleur du rêve.)
Par hasard, récemment – j’ai rencontré un ami – de cette époque : tout de suite, je me suis sentie – sur un pont, à regarder l’eau.
Avez-vous lu Rosamond Lehmann ? Moi, j’ai lu deux choses : « Intempéries » - et « poussière ». il y a dans « Poussière » (dans « Intempéries » aussi) quelque chose de celle que j’étais à cette époque. Ces deux livres (et tous ses livres – sans doute) semblent n’avoir pas été écrits – avec des mots : pas été écrits du tout – mais rêvés. J’aimerais beaucoup que vous les lisiez, surtout « Poussière » : il tient de l’arc-en-ciel – de la toile d’araignée – de la fontaine (moins que tout, de la poussière !), et – finalement – au creux de la main – une poignée de cendres. […]
Vanves, 26 octobre 1936
Chère Anna Antonovna,
Juste quelques mots : qu’en ces jours pénibles et le désert advenu de vos journées – je suis constamment avec vous, que si je n’ai pas écrit – c’était seulement en vertu de ma peur innée, ici légitimée, d’être de trop – qui, en effet à cette heure, n’est pas de trop ? tous, sauf celui qui n’est plus – je n’ai pas écrit parce que je n’ai rien à raconter, parce qu’en ces circonstances on ne doit pas écrire mais être là – en silence (aller au cimetière ensemble, comme je l’ai fait avec la mère du jeune Gronsky, dans ce vaste et merveilleux cimetière pareil à une forêt, le long duquel nous avions si souvent marché, lui et moi – en notre temps…) – parce qu’en ces circonstances, impossible de parler de soi et terrible – de l’autre.
Ne considérez donc pas ceci, chère Anna Antonovna, comme une lettre et de toutes ces lignes ne retenez que ces mots : je vous aime et pense à vous.
Pardonnez-moi de vous répondre si tard, le coeur l'avait fait plus tôt.
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