Ce roman a obtenu deux Prix Littéraire en 2019 : le Prix Interallié et le Prix Goncourt des Lycéens. Lu à l'automne dernier pendant le confinement, il était temps que je vous le présente sur ce blog...
Jean Farel a 70 ans ; c'est un célèbre journaliste politique français, habitué à signer des autographes et au succès de son émission qui remporte tous les suffrages. Egoïste et narcissique, il se soucie peu de ceux qui l'entourent que ce soit en famille ou au travail.
Sa femme, Claire de 27 ans sa cadette, est essayiste. C'est une féministe convaincue qui se bat pour faire passer ses idées.
Ils ont eu un fils, Alexandre, qui fait de brillantes études outre-Atlantique mais ne se relève pas d'une séparation. Fragile, il a déjà fait une tentative de suicide et ses parents sont inquiets pour lui.
Jean et Claire Farel ont des difficultés dans leur couple. Claire en a assez de son mari volage qui mène une double vie et ne peut pas s'empêcher de draguer toutes les jeunes femmes de la production. de plus, il ne pense qu'à son travail et au risque qu'il prend tous les jours, s'il vieillit, de voir son émission être retirée de la programmation.
Un jour, Claire rencontre Adam. Il enseigne dans une école juive où elle a été invitée à participer à un débat avec les élèves. Il la séduit aussitôt. Il est juif, il en a assez de la vie étriquée que lui impose sa religion, il se rebelle et décide de quitter sa femme pour vivre avec Claire. La plus jeune fille d'Adam, Mila vient vivre avec eux, car elle se querelle avec sa mère sans cesse.
Un soir où Alexandre, exceptionnellement de retour en France, s'apprête à sortir avec des amis, Claire le persuade d'emmener Mila avec lui pour faire connaissance. le lendemain matin la jeune fille porte plainte pour viol contre lui.
Le couple formé par Adam et Claire explose, tandis que le monde doré des Farel s'écroule.
Mon avis
Depuis l'année dernière, j'hésitais beaucoup à lire ce roman, pourtant j'aime en principe toujours le choix des Lycéens. le sujet ne m'inspirait pas. Mais comme je n'avais jamais lu de romans de
Karine Tuil, j'ai pensé que c'était une bonne occasion de découvrir son écriture.
Je l'avoue, j'ai été agréablement surprise par la manière avec laquelle l'auteur traite ce sujet délicat. Elle nous livre une analyse fine, précise et tout à fait intéressante des différents personnages, de leurs psychologies, des traumatismes de leur enfance qui expliquent mais n'excusent pas bien entendu, leurs attitudes d'aujourd'hui. Elle donne de nombreux détails de ce qu'ils font ou pensent, détails qui permettent au lecteur de les imaginer dans le contexte de leur vie quotidienne. C'est très journalistique finalement.
Beaucoup ont dit que l'auteur avait surfé sur la vague et qu'elle avait voulu traiter de ce sujet d'actualité suite aux mouvements féministes, #MeToo et autres. C'est possible, mais ce livre n'est en rien un soutien ni une dénonciation de ces mouvements. Les seuls excès mis en avant sont ceux des réseaux sociaux qui dans le roman, comme dans la vie, s'emparent bien évidemment aussitôt de l'affaire.
Je trouve que le début du roman qui dresse le tableau familial est bien construit puisque le lecteur fait connaissance avec chacun des protagonistes, certes un peu rapidement et de manière un peu caricaturale, mais c'est une étape incontournable pour comprendre leurs envies, leurs déceptions, leur façon de concevoir la vie et le travail. Je ne connaissais pas ce milieu mais je n'ai rien appris dont je ne me doute déjà et cela est tout à fait intéressant.
La partie la plus aboutie reste cependant celle du déroulement du procès, la mise en place des plaidoiries, et toutes les réflexions autour de la notion de viol, de consentement, de cette fameuse "zone grise" (je n'aime pas ce terme mais il explique bien que le ressenti des deux personnes peut être différent, que l'un pense que la jeune fille est consentante, alors que c'est sa peur qui la paralyse et l'empêche de se défendre). Où est la limite selon le point du vue de la jeune femme et du jeune homme ?
Ce roman est un portrait sans concession de notre société, de la violence faite aux femmes, des gens de pouvoirs qui pensent sortir toujours gagnants de toutes les situations et une véritable réflexion autour de la sexualité d'aujourd'hui. L'auteur dit s'être largement inspirée d'un fait divers de 2015 dans lequel un étudiant de Stanford, venant d'un milieu aisé, sportif, "bien sous tous rapports", avait été accusé de viol par une jeune fille...déroutant toutes ses connaissances et sa famille.
Encore une fois les lycéens ne se sont pas trompés. Ils ont montré leur capacité à devenir des adultes responsables, à s'engager en votant pour ce roman à lutter contre la violence faite aux femmes.
Je suis persuadée que ce livre continuera à provoquer des débats passionnés et des réflexions intéressantes sur le ressenti de chacun. Car l'auteur a ce talent : à aucun moment, elle ne porte de jugement ni ne prend partie et elle laisse donc le lecteur seul devant son ressenti, écouter les plaidoiries des deux parties et se faire son propre avis. La toute fin est pour moi surprenante et sans espoir ce que je trouve dommage pour les jeunes qui auront à lire ce livre un jour.
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