Ce livre, c'est un peu « La Politique Etrangère US Pour Les Nuls ».
L'auteur y analyse la politique américaine dite anticommuniste des années de l'immédiat après-guerre.
L'action se déroule dans le Guatemala où L'United Fruit, qui domine sans partage toute l'activité fruitière du pays et aussi d'autres pays d'Amérique Centrale. L'UF fut créé au XIXe et est notamment à l'origine de la commercialisation à échelle mondiale de la banane. Il s'agit donc d'une entreprise phénoménale, un poids lourd dans l'économie d'un petit pays pauvre, grégaire et agraire. Evidemment, ce commerce est chapeauté par les Etats-Unis, un des gros clients de la firme et donc grand souteneur d'un régime guatémaltèque peu regardant.
En 1945, les élections placent à la tête du pays le Président Arèvalo, qui instaure quelques mesures sociales, dont la reconnaissance des syndicats. La PC du pays prend du gallon et devient un pion incontournable dans la politique du Guatemala. United Fruit et USA font le gros dos, tout en espérant un président différent après les élections de 54. Mais le nouveau président, Jacobo Arbenz pousse plus loin les réformes et entend faire évoluer son pays vers une vraie démocratie sur le modèle américain... Vous me direz « Les USA doivent être ravis avec cela ? ». Bin non, car une démocratie digne de ce nom reconnaît les syndicats et le PC, accorde le droit de grève, instaure l'école pour tout le monde... C'est ici que la CIA, par le truchement des frères Dulles, entrent en scène.
La recette est connue. En pleine Guerre Froide, il suffit de dénoncer Arbenz comme pro-communiste et le tour est joué. Arbenz est déposé, exilé. le nouveau dirigeant est issu de la junte et s'appelle Carlos Castillo Armas. Lui-même fera plus tard les frais d'adversaires aux dents longues...
Le dictateur dominicain, Trujillo, participa activement à ce coup d'état en fournissant hommes de main et soutien logistique & financier. La présence de Trujillo fait que ce livre est proche de
la Fête au Bouc, autre très bon livre de MVL.
Les premiers chapitres sont plutôt ardus à lire, car
Vargas-Llosa y expose tous les acteurs du jeu politique et de la mécanique du coup d'état. Donc beaucoup de personnages (aux noms hispaniques pas toujours évidents à distinguer), de pays (Salvador, Mexique, Honduras, République Dominicaine).
Une fois ce décor mis en place, on respire et la magnifique plume de
Vargas Llosa peut éclater. La plupart des personnages sont réels, mais MVL y a aussi incorporé quelques fictifs, comme Martita « Miss Guatemala », qui traverse ces périodes troubles en filigrane, en se dorant à la lumière du pouvoir tout en jouant les Mata Hari. C'est un personnage féminin riche, touchant, énervant parfois, séducteur et ambigu à souhait. Un des très beaux caractères de l'oeuvre de l'auteur...
Dans le tableau épique qu'est «
Temps Sauvages », aucun des personnages ne ressort indemne. Comme dans les meilleur
Ellroy,
Vargas Llosa les présente tous tantôt cupides, couards ou ignobles.
Ce pan de l'histoire du Guatemala est une sorte de modus operandi qui servira plus tard ailleurs dans le monde et contre l'expansion communiste... La politique US s'y révèle vorace et dominatrice, ne reculant devant aucune ignominie (voir l'ambassadeur Peurifoy). le modèle s'est répandu jusqu'en Asie et le Viet-Nâm.
Voilà, un nouveau très bon
Vargas Llosa, procurant un très grand plaisir de lecture. Comme si souvent avec
Mario Vargas Llosa.