Un touriste italien attend dans un bordel le retour de son compagnon de route perdu dans le Mojave. Deux jeunes filles partent à l'aventure, pour se retrouver coincées par quatre étudiants dans une chambre de motel de Las Vegas. Une femme dans sa baignoire contemple ses maigres chances d'être une bonne mère, tout en chérissant le souvenir de son amant perdu. Un vieux solitaire recueille une adolescente fugueuse dans le silence et les cailloux du désert. And so on… Dans les nouvelles de Claire Watkins, les désemparés sont aussi les chercheurs d'or, réels ou métaphoriques, les rejetons de parents diaboliques qui enfanteront d'autres désemparés. Au coeur du coeur du mythe américain, le désert souffle un vent aride et n'offre d'autre réponse que son immensité.
Ce que j'aime et recherche dans la littérature US, ce n'est pas le folklore, c'est sa capacité à contempler sa propre légende, à devenir en se disant. Dans plusieurs sens du terme : comme si le pays, par la voix de ses auteurs, conscient d'être un mythe moderne, sociologique, économique (quoique), littéraire, et se regarde être un mythe. Bon, mauvais, porteur d'espoir ou de misère, ce n'est pas la question – encore que la moralité, la morale tout court soit souvent en question. En particulier et parce que j'ai tendance à me dire que l'Europe, ou l'Inde ou n'importe quelle nation assise sur 4000 ou 2000 ans d'histoire, a un rapport au temps particulier, je suis attirée, en tant que lectrice, par le rapport de la littérature américaine à l'espace américain. C'est un poncif, j'en conviens.
Recueil cohérent, déjà, centré sur le thème certes peu nouveau de la vie individuelle au contact de l'espace collectif. Les personnages de CVW ont une histoire personnelle, souvent douloureuse d'ailleurs, qui s'entremêle sans cesse à l'immensité vide du
Nevada, se dissout en elle, se barre dans la perspective. de sorte que l'un et l'autre respirent de concert, formant une sorte de poumon géant où l'on s'étouffe vaguement. On respire mal dans le désert, on s'y engloutit, mais il existe néanmoins un rapport organique, pas forcément très sain, entre le personnage et son espace. Contrepoint : le
Nevada, c'est aussi Las Vegas et Reno, les fausses villes historiques, le sexe à des prix défiant toute concurrence, les paillettes cheap, les trailers parks, la pauvreté et une sorte d'indigence des sentiments. Évidemment, le contraste est brutal et cultivé comme tel.
il existe quand même des liens sous-jacents entre tous ces personnages. Ils sont tous paumés, leurs parents étaient tous aussi paumés et cela laisse des traces (au moins deux nouvelles explorent le rapport à la maternité sous l'angle « comment devenir mère quand la vôtre était un très mauvais modèle ». Ils ont une peur panique des relations humaines, mieux, ils ne les comprennent pas et les envisagent comme sans cesse perdues, à l'image de ces trois étudiants partis en vadrouille à Virginia City et qui regardent leur amitié s'envoler au vent mauvais. Il y a peu d'histoires d'amour dans ces nouvelles, aucune qui soit heureuse, mais plusieurs histoires d'amitié ou de fraternité, envisagées comme plus fiables, de meilleurs bastions. En fait, c'est tout aussi périlleux, tout aussi triste. Tout cela sous-tendu par une petite voix froide et sarcastique, avec une prédilection pour les narrateurs passifs et peu bavards, un peu gauche.
j'ai fini le recueil il y a quelques temps et surnagent des images de cailloux et de poussière de route, de ranch en vrac et de putes en solde. À quelques exceptions près, je trouve qu'on est très vite happé dans les textes de
Claire Vaye Watkins.