« Je m'accompagne », quelle jolie expression . Comment s'accompagner soi-même ?
« S'accompagner », avoir ses rituels, trouver ses repères même en terrain inconnu, ici se place dans le contexte de personnes qui doivent changer de pays, de vies dû à des circonstances dont à l'origine ils n'en sont pas responsables . « S'accompagner », essayer de conserver une identité dans laquelle on se sent vivre, exister dans des contextes qui changent perpétuellement..
C'est Marko qui s'accompagne et Marija qui lui pose la question.
Deux personnages originaire de Belgrade, dont les destins vont se croiser dans la file d'attente devant le consulat hongrois à Belgrade. On les retrouve six ans après à Budapest….
Il y a aussi Kristina, l'amie de Marija partie définitivement aux États Unis six ans auparavant , originaire aussi de Belgrade…..et le papa de Marko, Miljan exilé à Vienne, bien avant la guerre de Yougoslavie . Quatre personnages en transit, « Une fois déplacés, ces gens ne se sont plus jamais installés. le voyage est devenu leur adresse permanente. »
C'est le troisième livre de l'auteur serbe
Dragan Velikic, que je viens de lire . Difficile d'écrire un billet sur un de ses livres, tellement cette voix raffinée qui nous parle de quête d'identité et d'exil , thèmes récurrents chez lui, et de lacération au coeur de la vieille Europe, est insolite dans son mode d'expression. Dans une construction vertigineuse construite sur des dichotomies floues, présence/abscence, stagnation/ mouvement , choix/ résignation, qui ne garantissent ni frontières stables, ni points de référence, il nous invite à lire une histoire sans frontières, afin de comprendre à travers la vie de quatre personnes , ce que fut son/ leur pays qui n'existe plus et dont il/ eux éprouvent de la nostalgie comme si ce qui s'est passé n'avait pas ses racines dans un contexte antérieur, dans ses mythes, comme dans ses échecs. « C'est ainsi qu'une personne jusqu'à hier normale se dédouble; elle se dilue dans des existences possibles qui sont si réelles que sa vie présente se brouille …. », cette confusion des sentiments est renforcée par une forme elliptique qui rend la lecture assez ardue.
Ce texte est aussi une critique farouche de nos modes d'existences, où souvent on oublie l'essentiel , le vrai, l'important pour s'attarder sur le futil, ici l'apparence, « Informer l'opinion publique sur son propre bonheur. Être content et comblé parce que les autres croient que tu es heureux. », la fausse sécurité, « Faiblesse de rester avec quelqu'un par sécurité, par peur de la solitude », bref sur le faux qui fragilise encore plus nos existences.
À nouveau un grand roman d'un grand auteur contemporain serbe dont la recherche d'identité passe également par sa propre histoire qui fera son apparition à la fin du roman, étant lui-même également protagoniste du même sort que ses personnages , et d'où découle le titre du livre. Poignant !
« La vie n'existe pas sans la poésie.
Cimetières retournés.
Pleurs sur une tombe.
L'oeuvre est la seule mémoire.
Le dessin d'un bison dans la grotte d'Altamira.
Un puits au milieu du désert.
Murmure des civilisations disparues.
Sans la trace de la beauté, tout est vide et dénué de sens. »
« Les hôtels sont aussi des vies non réalisées. »