°°° Rentrée littéraire 2022 # 23 °°°
« J'ai déjà passé trop de temps dans ce dilemme à la con de devoir choisir entre être bandit et être esclave. J'ai déjà ramé trop de temps à contre-courant. Basta ! C'est le moment de kiffer un peu les bonnes choses, moi aussi je suis un enfant de Dieu. »
Comment survivre et sortir de la misère quand on vit dans une favela, qu'on aime lire Marx et qu'on n'a plus rien à perdre ? Pedro et Marques, habitants des favelas du Sud de Porto Alegre, sont rayonnistes dans un supermarché. Ils veulent devenir riches, à tout prix. Alors se lancent dans un trafic de marijuana, histoire de briser définitivement le cycle de pauvreté à laquelle leur famille est condamné en respectant la loi. Pedro a lu tout Marx dans les trains bondés qui le mène chaque jour de sa favela jusqu'au taf et vice versa. Oo la lecture comme porte d'entrée à la non-aliénation par le travail.
Dès les premières pages, on sent qu'on va passer un bon moment en compagnie de ce duo à la Don Quichotte / Sancho Pancha.
José Falero a l'art des dialogues, vifs, drôles, bavards comme dans un
Tarantino, notamment grâce au formidable personnage qu'est Pedro : cultivé et éloquent, il a mis au point toute une rhétorique pour expliquer son plan à ses comparses à coup d'explications très didactiques actualisant le concept marxiste de lutte des classes dont il est fan, sous le regard admiratif de Marques qui voit sa propre révolte intérieure ainsi fabuleusement décrites. On se marre encore plus lorsqu'il applique les théories communistes au fonctionnement de sa start-up de deal.
José Falero, né dans les favelas, une trajectoire d'écrivain particulière puisqu'il a arrêté l'école à quatorze ans, sait de quoi il parle. Tout sonne juste mais sans les clichés même si la violence, les gangs et la drogue sont des curseurs stéréotypés des favelas. Derrière la fantaisie des dialogues et du plan pour s'enrichir, c'est toute la violence sociale du Brésil qui est surgit, avec ses inégalités abyssales qui voient des travailleurs pauvres éternellement assujettis et désespérés de voir toute possibilité d'amélioration honnête leur être interdite.
Non, nous dit Falero, au Brésil, on ne peut devenir riche sans commettre un crime ou gagner au loto. Et ça fait du bien de lire un bouquin avec du fond, drôle et provocateur pour parler du Brésil contemporain, sans langue de bois ni moralisation lourdingue. Vraiment très réussi !