CASTA PIANA
Tes cheveux bleus aux dessous roux,
Tes yeux très durs qui sont trop doux,
Ta beauté qui n'en est pas une,
Tes seins que busqua, que musqua
Un diable cruel et jusqu'à
Ta pâleur volée à la lune,
Nous ont mis dans tous nos états,
Notre-Dame du galetas
Que l'on vénère avec des cierges
Non bénits, les Ave non plus
Récités lors des angélus
Que sonnent tant d'heures peu vierges.
Et vraiment tu sens le fagot :
Tu tournes un homme en nigaud,
En chiffre, en symbole, en un souffle,
Le temps de dire ou de faire oui,
Le temps d'un bonjour ébloui,
Le temps de baiser ta pantoufle.
Terrible lieu, ton galetas !
On t'y prend toujours sur le tas
A démolir quelque maroufle,
Et, décanillés, ces amants,
Munis de tous les sacrements,
T'y penses moins qu'à ta pantoufle !
T'as raison ! Aime-moi donc mieux
Que tous ces jeunes et ces vieux
Qui ne savent pas la manière,
Moi qui suis dans ton mouvement,
Moi qui connais le boniment
Et te voue une cour plénière !
Ne fronce plus ces sourcils-ci,
Casta, ni cette bouche-ci,
Laisse-moi puiser tous tes baumes,
Piana, sucrés, salés, poivrés,
Et laisse-moi boire, poivrés,
Salés, sucrés, tes sacrés baumes !
REVEIL (p.253)
Je reviens à la poésie !
La richesse décidément
Ne veut pas de mon dénûment,
Et c'est un triste dénoûment.
A moi la provende choisie,
L'eau claire et pure et ce pain sec
Quotidien non sans, avec,
Un gent petit air de rebec !
A moi le lit problématique
Aux nuits blanches, aux rêves noirs,
A moi les éternels espoirs
Pavanés des matins aux soirs !
A moi l'éthique et l'esthétique !
Je suis le poète fameux
Rimant des vers pharamineux
A l'ombre d'un quinquet fumeux !
Je suis l'âme par Dieu choisie
Pour charmer mes contemporains
Par tels rares et fins refrains
Chantés à jeun, ô cieux sereins !
Je reviens à la poésie.
REVE
Je renonce à la poésie !
Je vais être riche demain.
A d'autres je passe la main :
Qui veut, qui veut m'être un Sosie ?
Bel emploi ! j'en prends à témoin
Les bonnes heures de balade,
Où, rimaillant quelque ballade,
Je passais mes nuits tard et loin.
Sous la lune lucide et claire
Les ponts luisaient, insidieux,
L'eau baignait de flots gracieux
Paris gai comme un cimetière.
Je renonce à tout ce bonheur
Et je lègue aux jeunes ma lyre !
Enfants, héritez mon délire,
Moi j'hérite un sac suborneur.
TANTALIZED
L'aile où je suis donnant juste sur une gare,
J'entends de nuit (mes nuits sont blanches) la bagarre
Des machines qu'on chauffe et des trains ajustés,
Et vraiment c'est des bruits de nids répercutés
A des cieux de fonte et de verre et gras de houille.
Vous n'imaginez pas comme cela gazouille
Et comme l'on dirait des efforts d'oiselets
Vers des vols tout prochains à des cieux violets
Encore et que le point du jour éclaire à peine.
O ces wagons qui vont dévaler dans la plaine !
IMPRESSION FAUSSE
Dame souris trotte,
Noire dans le gris du soir,
Dame souris trotte,
Grise dans le noir.
*
*
*
Dame souris trotte,
Rose dans les rayons bleus,
Dame souris trotte :
Debout, paresseux !
Poésie - La lune blanche ... - Paul VERLAINE