Ah la lune !
Depuis le temps qu'on la voit plantée dans notre ciel, bienveillante ou mystérieuse, inspiratrice des poètes du monde entier…
« C'était dans la nuit brune
Sur le clocher jauni
La Lune
Comme un point sur un i «
(
Alfred de Musset)
C'est aussi un astre qui a intéressé les scientifiques de tous les pays civilisés : des astronomes de l'ancienne Mésopotamie aux ingénieurs de la Nasa, les hommes ont regardé, étudié sous toutes ses formes, et cherché à rejoindre d'une façon ou d'une autre l'astre de la nuit. On sait que c'est chose faite depuis le 21 juillet 1969.
Mais les écrivains, depuis longtemps, avaient déjà imaginé mille et un moyens de partir à la conquête de notre satellite :
Cyrano de Bergerac, dès 1650, proposait une «
Histoire comique des Etats et Empires de la Lune »,
Edgar Poe, en 1835, « L'Aventure sans pareille d'un certain Hans Pfäll »,
Jules Verne le diptyque «
de la Terre à la Lune »(1865) et «
Autour de la Lune » (1869) et
H.G. Wells «
Les Premiers Hommes dans la Lune » (1901). Depuis les auteurs et autrices de science-fiction ont occupé abondamment le créneau. Et n'oublions pas la BD avec les impérissables albums de Tintin « Objectif Lune » (1953) et « On a marché sur la Lune » (1954).
Jules Verne, écrivain doublé d'un vulgarisateur scientifique, ne pouvait pas passer à côté d'un tel sujet.
"
De la Terre à la Lune, trajet direct en 97 heures 20 minutes" (la précision est savoureuse), est la première partie d'un diptyque qui se poursuivra avec "
Autour de la Lune" (1869). Quelques-uns des personnages figureront aussi dans "Sens dessus-dessous" , sans lien direct avec les deux précédents romans.
Nous sommes à Baltimore (Etats-Unis) en 1865. Un club d'artilleurs, le Gun Club, se propose, par la voix de son président Impey Barbicane, d'envoyer un boulet de canon sur la Lune. le projet est déjà bien engagé, malgré l'opposition de certains, dont l'impétueux capitaine Nicholl. C'est alors qu'un astronaute français, Michel Ardan, propose de creuser le boulet, d'en faire un habitacle et de transformer l'opération en un vol habité, dont il serait lui, l'unique occupant. le projet est donc aménagé, mais, pour ménager la susceptibilité des deux artilleurs, il y aura trois voyageurs de l'espace, Michel Ardan, Impey Barbicane et le capitaine Nicholl... le "décollage" est réussi, mais très vite, on perd de vue le boulet qui est caché par les nuages . La suite est racontée dans "
Autour de la Lune".
Ce roman est intéressant au moins par deux côtés.
Les plus scientifiques argumenteront sur l'aspect "anticipation" du projet du Gun Club. Il s'agit en effet du premier voyage hors de la terre, présenté de façon "technique", sinon "technologique".
Jules Verne, bien documenté, apporte des éléments constructifs et non dénués d'intérêt, scientifiquement parlant. Il convient d'apporter cependant deux petits bémols à ceux qui verraient dans "
De la Terre à la Lune" l'ancêtre des missions "Apollo" : primo, ici ce sont des artilleurs qui sont à l'origine du projet, et non des aviateurs (l'avion ne verra le jour que quarante ans plus tard); secundo, il faut se rappeler que
Jules Verne est un homme de théâtre. le boulet fait partie de ce que nous appellerions aujourd'hui "les effets spéciaux"...
Le deuxième intérêt de ce roman réside en la présentation des personnages : c'est un roman où on ne voit pas l'
ombre d'une femme, de plus c'est un roman à haut "potentiel technique" (ces deux éléments nous rappellent un peu "
Vingt mille lieues sous les mers"), il fallait donc, pour compenser cet aspect rébarbatif, faire des portraits hauts en couleurs, assortis de dialogues percutants :
Jules Verne a pris comme héros un français, Michel Ardan (dont le nom est un anagramme du photographe et aérostier Nadar, ami personnel de l'auteur) aux particularités typiquement "françaises" (intelligence, esprit, générosité, etc.) (je parle du point de vue de l'auteur, bien sûr : il n'y a pas que les français qui soient intelligents, spirituels et généreux, il y a aussi les..., mais ce n'est pas le sujet) Les deux Américains sont absolument le contraire l'un de l'autre : l'un, Barbicane, est froid, méticuleux, peu communicatif et imperméable aux sentiments (un vrai Philéas Fogg), l'autre (coléreux, irascible soupe au lait, et au fond pas si mauvais que ça (un vrai Professeur Challenger, ou pour rester chez
Jules Verne un vrai
Kéraban le têtu)
"
De la Terre à la Lune" et sa suite "
Autour de la Lune" forment un des romans les plus populaires de
Jules Verne. A juste titre, parce qu'on y retrouve à la fois le souci d'objectivité et de rigueur scientifique (rapporté à l'époque, bien entendu) et en même temps ce style alerte et attachant qui n'appartient qu'à lui.