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Il faut relire Vialatte

Mes activités professionnelles m'amènent de plus en plus à voyager. Ceci m'expose régulièrement au dilemme du choix du moyen de transport : mon engagement contre le changement climatique me conduit souvent à préférer les longs voyages en train aux petits déplacements en avion. Au cours de ces interminables trajets, je travaille un peu. Malheureusement, le logiciel de billetterie de la SNCF me choisit quasi-systématiquement pour voisine une charmante vieille dame, toujours un peu curieuse et surtout très bavarde, ce qui aide à passer le temps, mais nuit à la concentration.

Je ne m'en plains pas : j'en profite pour relire Vialatte. Les chroniques qu'il écrivit jadis pour le journal « La Montagne » sont un véritable régal pour le voyageur. Des textes courts et plaisants, témoignage d'un temps où le charme d'une vie paisible s'écoulant paisiblement dans la belle province d'Auvergne cédait peu à peu la place au rythme de la vie moderne et citadine. Vialatte s'en étonne et feint de s'en amuser. C'est ainsi qu'il joue sur le contraste qui existe entre les conseils d'un vieil almanach du jardinier du dix-neuvième siècle, probablement trouvé dans son grenier, et les contraintes de la vie moderne : « on peut creuser des fosses de dix-huit pouces de profondeur pour les asperges si on veut les forcer sur place, et leur faire faire de grands nivellements tant que la main d'oeuvre est abordable. En dehors des heures de bureau, bien entendu. »

C'est dit sur un ton amusé, mais on perçoit en permanence le désabusement, voire le désarroi d'un homme cultivé, qui sait comment arrivent les guerres et où elles mènent : germaniste - c'est lui qui a traduit et fait découvrir en France l'oeuvre de Kafka – il a raconté dans les « bananes de Königsberg » sa vision de l'histoire « folle, tragique, invraisemblable et d'un comique ahurissant » de l'Allemagne entre 1922 et 1949. C'est pourquoi Vialatte est un humoriste triste, tout comme le fut Desproges vingt ans plus tard. Ses chroniques sont celles d'un homme de culture qui voit un monde disparaître, et ne se réjouit guère de celui qui naît sous ses yeux. Revenant aux conseils de son vieil almanach, il conclut : « Voilà la civilisation. Elle est faite de cent mille recettes et ne se bâtit pas en un mois. Elle peut, en revanche, disparaître en deux semaines. Chaque jour, depuis vingt ans, elle s'en va un peu plus ».

Qu'importe le sujet de la chronique (comme celui de ses romans, d'ailleurs) : ce n'est qu'un prétexte pour exprimer cette nostalgie. Mais l'intérêt de la chronique, c'est qu'il faut faire court, et donc travailler le texte. Vialatte y excelle, sauf quand il nous prévient : « N'ayant pas le temps d'être bref, je serai peut-être un peu long », montrant par là non seulement que les discours les plus longs sont rarement les meilleurs, mais aussi que les plus courts ne sont pas les plus rapidement rédigés. Il nous donne même des conseils : « Et d'abord, après « après que » ne mettez jamais le subjonctif ». Quel chroniqueur s'en soucierait aujourd'hui ? Et quel lecteur sait encore ce qu'est le subjonctif ?

Il faut donc relire l'auteur « notoirement méconnu » qu'était Alexandre Vialatte. C'est nécessaire et pédagogique. D'abord pour passer le temps en voyage sans manquer de respect aux vieilles dames. Ensuite, pour mieux comprendre pourquoi un pays entier peut passer une semaine à discuter de la main d'un footballeur et pourquoi il faut prendre le temps de rédiger ses textes en bon français. Enfin pour mieux comprendre la différence entre l'humain et la civilisation.
Lien : http://impromptu.fr/blogjfc/..
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Comment cela ?!! Dans mes livres, j'avais oublié de signaler ceux de cet autre grand Alexandre - à ne pas confondre ! "Qui sème les casques bleus récolte la tempête." ! - ce grand et brillant Vialatte. Quelle bourde ! Non, non ! Je ne suis pas régionaliste ! Sur ma voiture, vous ne verrez jamais "Le Cantal aux Cantalous !" mais je suis issue d'une famille originaire depuis des siècles d'une petite ville de ce beau pays et mon oubli n'est pas pardonnable !
Enfant, durant les vacances, La Montagne - pour les connaisseurs, moins feuille de chou que le Réveil mais feuille de chou malgré tout - finissait, une fois lue, par aider à allumer le feu dans le cantou où nous nous tenions le soir. Je somnolais, bercée par les conversations des "grandes personnes" sans savoir alors qui était ce Vialatte dont le nom était souvent prononcé et qui invariablement faisait secouer les épaules, relever bruyamment les commissures des lèvres de ceux qui partageaient mon nid de coussins et me dé-ran-geait ! Et un cantou pourtant, c'est grand ! Mais je n'y coupais pas ! Un membre de ma famille, pour le bonheur de son auditoire, finissait toujours par déclamer des extraits monumentaux des oeuvres de ce personnage familier et perturbant de mon environnement auditif de petite fille.
Voilà comment j'ai connu Vialatte, maudissant in petto mon oncle dont la mémoire était aussi vaste et lumineuse que son intelligence. A chaque fois, j'y avais droit ! Les rires que ce Vialatte - par lien de sang interposé - engendraient dérangeaient mon confort. "Praco !" comme disait l'une de mes grands-mères, cet homme-là ne m'était pas sympathique ! Imaginez ! J'étais installée dans ce cantou comme dans un cocon, un chat sur les genoux, une main tenant un Oui-Oui que le sommeil parfois m'arrachait ; dans l'autre, une petite boule de poils que je pétrissais et dont les ronronnements ravissaient mon oreille... à l'heure à laquelle les enfants devraient être au lit mais qui réussissent miraculeusement à se faire oublier... le bonheur ! Je n'avais pas envie d'être bousculée par cette voix virile, grave, forte, de laquelle sortaient les mots d'un autre incontestablement beaucoup trop apprécié par mes parents et leurs amis. Pfff ! A cette époque, Alexandre Vialatte n'écrivait plus de chroniques dans La Montagne. L'aurait-on immolée dans ce cas ? de toute façon, les chroniques étaient rangées dans une partie du vaste cerveau de mon oncle.
Je me répète : Vialatte et moi ne nous sommes pas rencontrés sous les meilleurs auspices.
Ce ne fut que bien des années plus tard que j'appris que ce rabat-joie avait traduit Kafka et surtout Thomas Mann pour lequel, adolescente, j'ai eu une grande passion littéraire. Vialatte était féru d'allemand. Un Auvergnat qui s'intéresse à "l'Etranger" ?! Cela intrigue ! Pour les natifs du Cantal, la Corrèze, même si elle se situe à moins de dix kilomètres, c'est déjà l'Etranger ! Un de mes arrières-arrières grands-pères, capitaine de vaisseau, participa à la guerre d'indépendance de l'Amérique et revint couler ses vieux jours dans son Cantal natal. J'exagère ! En voici une preuve. Il y en a eu d'autres. Nous ne sommes pas obtus ! Et nous ne sommes plus au 18ème siècle ! Je ne voudrais vraiment pas nous faire passer pour une tribu paysanne de xénophobes bien au contraire ! Mais quand même, dans l'esprit du Cantalou, on se méfie et l'étranger, géographiquement parlant, a des frontières qui lui sont propres. Donc, il pouvait paraître légitime que je pense : "Oh ! Ce Vialatte est intéressant !" !
Dans la foulée, je commençai à lire ses fameuses chroniques en effet brillantes et hilarantes (et là, je n'en admirais que plus mon oncle tout en comprenant ce qui m'avait si longtemps agacée !) et de loin en loin mais jamais trop loin ! son oeuvre injustement longtemps reléguée aux oubliettes exhalant une finesse, une humanité, un humour, une poésie...
Et quelle lucidité !
Lisez-le. Vialatte est intemporel. Rabelais l'est également mais Vialatte est auvergnat ! Et au 16ème siècle, on n'avait pas encore inventé le plumeau...
Je termine avec un immense et désagréable sentiment d'abuser du talent de ce génial écrivain mais ce n'est encore qu'une citation :
"Et c'est ainsi qu'Allah est grand."
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Il y a eu le Sermon sur la montagne…. Important mais pas très rigolo . Il y a aussi les chroniques de la Montagne ce travail d'une (presque) vie que Vialatte a accompli pour notre plus grand bonheur . Heureux les lecteurs du quotidien auvergnat qui découvraient au jour le jour ces perles d'humour et de culture.
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Le Vialatte est-il inné ou acquis ?
L'autre soir à diner, ma charmante voisine de table me disait qu'elle aimait bien lire de temps en temps les petites histoires que je publie dans le JdC, mon blog. Laissant les autres dîneurs discuter de problèmes ardus de mécanique présidentielle, à savoir du scooter de Monsieur Hollande et du dictaphone de Monsieur Buisson, nous avons parlé longtemps de la forme et du contenu du JdC. C'est dire si, pour moi, ce fut une bonne soirée.
Mon enthousiaste convive émit cependant une interrogation sur le sens, et peut-être même un doute sur l'opportunité de l'exergue permanent qui figure sous le titre du Journal: "L'éléphant est irréfutable".
Dans l'instant et les brumes du Haut-Médoc, je n'ai pas su lui donner de réponse satisfaisante, ou plutôt de réponse qui me satisfasse.
Mais à présent, muni de mon meilleur esprit d'escalier, je vais lui en donner, moi, des explications.
L'éléphant est irréfutable
Ces quelques mots constituent le plus bel aphorisme que je connaisse. Mais ce n'est pas que cela : ils forment à eux quatre toute une philosophie, une ligne de conduite, un sésame, une maxime, une devise qui, si ma famille en avait, devrait figurer sur ses armes.
Développons.
L'éléphant est irréfutable
—Mais d'abord, grand-père, que veut donc dire "irréfutable"?
—Irréfutable? Mais voyons!...qu'on ne peut réfuter, mettre en doute, contester, critiquer, remettre en question, contredire....
—Mais alors, grand-père, cet adage possède un caractère axiomatique intrinsèque. Il n'est qu'une évidence, un truisme. Quel fou voudrait mettre en doute, contester ou même contredire un éléphant?
—Tout d'abord, ma petite Henriette, je te prierai, quand tu discutes avec moi, de ne pas utiliser de mots savants en trop grand nombre. Nous ne sommes pas à France-Culture et quand on sait qu'il y a cinq minutes, tu ne connaissais pas le sens du mot irréfutable, c'est plutôt ridicule. Cela dit, il faut que tu saches qu'il n'y a pas si longtemps, l'irréfutabilité du pachyderme était loin d'être acquise.
Contrairement à la femme, qui remonte à la plus haute antiquité, l'éléphant n'est apparu que beaucoup plus tard. Nos ancêtres les Gaulois ne le connurent que par ouï-dire, et sans y attacher plus d'importance que ça. Alexandre le Grand ne les vit qu'à contrejour par un beau matin de février 325 (avant JC) et les Romains nièrent farouchement son existence jusqu'à ce que les Carthaginois les détrompent (d'éléphant) le 12 novembre 218 (toujours avant JC). Mis à l'honneur dans le grand cirque de Jules César, les éléphants tombèrent en disgrâce dès après les Ides de Mars. Pendant des siècles, on ne parla plus d'eux que très rarement et dans des termes toujours désobligeants, au point que Charlemagne eu cette idée folle, parmi d'autres, de les rayer officiellement du grand catalogue des animaux (De bestiolae magnae) pour l'inscrire à celui des monstres légendaires (De fabulari monstri et aliae stultitiae). C'est à partir de cette époque que l'éléphant entra vraiment dans la clandestinité et finit par disparaître totalement en tant que sujet de conversation. J'en veux pour preuve que ni Clément Marot, ni Ambroise Paré ni même le Vicomte de Bragelonne n'y ont jamais fait la moindre allusion. L'imprudent qui se risquait à évoquer, même indirectement, le gros animal se voyait aussitôt condamné à remonter la Seine de Bougival à Bercy en nageant la brasse à reculons. Tu comprends donc, Henriette, qu'à cette époque, non solum l'éléphant n'était pas irréfutable, sed etiam qu'il était recommandé de le réfuter.
Fort heureusement, avec le développement du chapeau mou et l'invention de la fourchette pour gaucher, l'éléphant a pu regagner au cours des cent dix-sept dernières années tout le terrain qu'il avait perdu et même davantage. Aujourd'hui, il a repris toute sa place. Il est partout, dans les parcs, dans les jardins, dans les journaux, dans les partis politiques, dans le métro, au point qu'il en est parfois gênant, surtout aux heures d'affluence.
Tu vois donc, ma petite Henriette, que l'apophtegme précité n'a pas toujours été aussi évident. Henriette? Henriette?
Tiens ! Elle est partie..."
Trêve de plaisanteries, la seule chose sérieuse dans "l'éléphant est irréfutable", c'est que cette petite phrase est drôle et la seule chose drôle, c'est qu'elle est sérieuse.
Pourquoi est-elle sérieuse? Si vous vous posez encore la question, c'est que vous avez lu trop vite le discours à Henriette ci-dessus. Je résume: l'éléphant est une chose sérieuse (bon, d'accord, l'éléphant n'est pas une chose, mais je ne me sens pas le droit de dire que l'éléphant est un animal sérieux, car, après tout, je n'en connais aucun personnellement), il existe, il est partout (voir plus haut).
Pourquoi est-elle drôle? Là, je deviens sérieux : elle est drôle parce que l'affirmation est laconique, péremptoire, conclusive comme si elle provenait d'une longue démonstration, alors que le message porté - l'éléphant existe - est évident et que personne ne songe à le contester. C'est le comique de l'absurde, du nonsense anglais, la forme d'humour la plus raffinée, loin de l'ironie, de l'esprit de répartie, du calembour et de la contrepèterie. C'est la drôlerie étrange de ces deux hippopotames dont l'un dit à l'autre, qui se prénomme d'ailleurs George, qu'il n'arrive pas à se faire à l'idée qu'on est mercredi (et n'allez pas déduire de ce deuxième exemple que le comique de l'absurde doit nécessairement mettre en scène des animaux africains).
Analyser les raisons du comique est un exercice dangereux qui a en général pour résultat de tuer le sujet. Aussi je m'arrêterai là. Après tout, tout le monde n'est pas Bergson. Je préfère donc laisser la parole à G.K. Chesterton : "(le nonsense) c'est de l'humour qui abandonne toute tentative de justification intellectuelle, et ne se moque pas simplement de l'incongruité de quelque hasard ou farce, comme un sous-produit de la vie réelle, mais l'extrait et l'apprécie pour le plaisir."
Vialatte a beaucoup usé du nonsense (l'usage voudrait que l'on imprime systématiquement les mots « et abusé » après le mot « usé », mais je ne saurais appliquer ce syntagme figé et désobligeant au frère de Jacques Perret et père de Pierre Desproges —dans la famille Spirituel, je voudrais le frère et le père). Par exemple, il terminait systématiquement ses chroniques par « Et c'est ainsi qu'Allah est grand ! », ceci quel que soit le sujet traité.
Il aimait dire, hors de propos : « le loup est appelé ainsi à cause de ses grandes dents » (mais y-a-t-il un propos qui permette, à propos, d'affirmer une telle vérité ?)
Dans sa « Chronique du Diable et de la Cérémonie » parue le 23 juin 1959 dans La Montagne (Vialatte a d'abord écrit 898 chroniques hebdomadaires pour ce journal et puis il est mort.), il a écrit :
(…) Rien de plus cérémonieux que l'homme (sauf le Chinois). C'est même, je crois, le seul animal cérémonieux. Il y a bien le tétras d'Amérique qui organise des danses prénuptiales en défrichant un cercle herbu pour parader devant les dames, et même un oiseau d'Australie qui bâtit une maison complète pour sa fiancée, un kiosque turc, avec des murs et des jardins, au pied d'un arbre, pour lui donner la collation comme M. Jourdain aux marquises, mais le Chinois est encore pire ; pire que le tétras et l'oiseau d'Australie. Il se coupe les pieds pour satisfaire à l'étiquette quand son suzerain lui donne une porte à garder ; il montre ainsi qu'il ne reculera pas ; ce qui fait bien des jaloux ; les jaloux coupent les têtes et les apportent au suzerain pour avoir le droit aussi de se faire couper les pieds. Il ne sert le poisson que la queue tournée vers le convive, le ventre à gauche en hiver, le ventre à droite en été. Et son respect pour les points cardinaux est une véritable obsession ; ce ne sont que portes de l'Est et Dragons du Soleil levant, tortues du Nord, tigres blancs de l'Occident. Il n'est pas jusqu'au oui que le Chinois ne torture et n'éloigne du naturel : il enseigne aux garçons dès leur plus tendre enfance à le dire d'un ton décidé, aux filles à le dire d'un ton humble. Résumons-nous, l'homme est cérémonieux. J'ai entendu (à la Chaise Dieu) une dame dire à son mari : « Tu as parlé au chien impoliment » (il s'agissait d'un affreux basset qui s'appelait Truffe !) Résumons-nous : l'homme est cérémonieux (…) (Chroniques de la Montagne, Robert Laffont éditeur.)
Si vous n'avez rien compris à ce texte mais que vous avez ri au moins trois fois, c'est que, chez vous, le Vialatte est inné.
Si non, il va vous falloir l'acquérir.
Et c'est ainsi qu'Allah est grand.

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POUR UNE LECTURE LENTE

Le journal auvergnat La Montagne, un des fleurons de la presse quotidienne régionale, a longtemps abrité en son sein, non pas un serpent, mais un magnifique chroniqueur, Alexandre Vialatte (1901-1971).

De 1952 à 171, notre écrivain, telle une poule pondeuse réglée comme une horloge, a fourni un texte hebdomadaire dans lequel sa vivacité, son enjouement, bref son alacrité, sa cocasserie, sa fantaisie, sa connaissance très profonde du monde des Lettres, de la littérature et des auteurs morts ou vivants à son époque (on se doute bien que s'ils étaient morts, il ne les connaîtrait pas-ah la langue française et sa complexité), sa causticité, son ironie, sa tendresse, sa bienveillance et son humour pouvaient s'ébrouer tel un pur sang dans prairie.

Les sujets abordés n'offrent pour nous aucune actualité. ; mais c'est tellement bien fait qu'on a l'impression de connaître. Ainsi, dans la chronique du 21 février 1956 il débute ainsi : "Un vent noir glace les rues de Paris. On entre dans les grands cafés. Il y fait chaud, il y fait clair, il y fait bon. On y trouve Ferdinand Lop. Ferdinand Lop est ce prophète accalmé par les étudiants qui se présente au moins une fois tous les sept ans à la présidence de la République. Son programme est simple et grandiose : "Prolonger le boulevard St Michel des deux côtés jusqu'à la mer et supprimer tous les rez de chaussée".

Ces chroniques se lisent très lentement et de préférence quotidiennement, 2 à 3 par jour. Pas plus. Comme un dé de whisky très âgé avant d'aller rejoindre Morphée au pub "Lit et Couette". du mouron pour les oiseaux picoreurs, du nectar, du nanan.
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Chaque semaine, Alexandre Vialatte postait une chronique au journal auvergnat, la Montagne. Des années plus tard, les éditions Laffont les réunissent sous forme de deux pavés d'un millier de pages dans leur collection « Bouquins ». Peu de temps après, je me suis fait offrir les deux tomes à deux années d'intervalle pour mon anniversaire.
Mais je n'ai encore rien dit de l'ouvrage. En fait je suis venu à Vialatte à cause de (ou plutôt grâce à) Pierre Desproges. L'humoriste (un des rares auteurs dont j'ai lu toute l'oeuvre) le citait souvent dans ses propres chroniques de la haine ordinaire … (à relire régulièrement). Or donc, j'ai commencé la lecture de ces chroniques avec parcimonie (mais tout seul) et me voilà seulement au bout du premier tome. J'éviterai soigneusement de révéler l'endroit où je les ai lues ! Cela valait néanmoins un petit retour sur investissement. D'abord, il faut remarquer qu'il y a un ton Vialatte, une ironie toute en distance, toute en références, toute en nuances – je comprends mieux l'admiration que pouvait éprouver Desproges. On y dresse des portraits, figures d'actualité littéraire souvent (Colette, Hemingway, Sagan… ) passant par l'obligatoire obituaire (Colette, Hemingway, Camus), on se gausse des gloires éphémères : Minou Drouet, la poétesse-enfant, en prend pour son grade et devient presque sa tête de turc. Mais on a aussi ses chouchous : les Auvergnats, bien sûr, Henri Pourrat et Ferny Besson (qui fait visiblement l'objet d'une vaste correspondance avec l'auteur) mais aussi Jean Dutourd . On y fait la description précise des nouveaux auteurs ou de gens dignes d'intérêt ainsi André Parinaud en juin 1953 qui fonda l'Auto-Journal :

S'il n'avait pas l'originalité charmante d'écrire le français comme tout le monde, de citer juste des vers classiques et de sauter dans l'autobus sans déraper, on le prendrait pour un agrégé. (30 juin 1953)

On égratigne sans cesse le progrès qui rend l'homme un peu ridicule :

Il [L'homme] passe son temps avec le bloc-cuisine, le tire-bouchon et la cravate à système, à économiser les secondes grâce à un labeur acharné (22 septembre 1953)

Car le sieur Vialatte est un brin philosophe et regarde son époque à la loupe et la décortique au scalpel :

Notre civilisation ne cesse pas d'évoluer vers plus de confort et plus d'ennui. L'inconfort préservait de l'ennui. Dans le confort, il faudra qu'on s'adapte. (10 octobre 1961)

Souvent, aussi, on y trouve des appréciations presque visionnaires, en tout cas qui prouvent que rien n'est nouveau sous le soleil :

Quoi qu'il en soit, le directeur d'une grande école de journalisme vient de me confier que depuis belle lurette ses étudiants ne savent plus le français ; il faut commencer par le leur apprendre (31 octobre 1961)
Avec génie et gourmandise, le chroniqueur manie le coq-à-l'âne, campe une ambiance, nous emmène en amnésie où l'on assiste aux obsèques de Colette, la naissance de Sagan en tant qu'écrivain, où l'on voit rouler les 4Cv et les Arondes, où l'on n'est pas encore né mais où l'on guette quand même la chronique autour de sa date naissance. On lit une chronique par jour, à dose homéopathique, on a souvent peur que ça s'arrête. Alors on fait traîner.
Et c'est ainsi qu'Allah est grand, comme il disait à chaque fin de chronique. Ça aussi Desproges se l'est approprié.
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Si vous ne relisez qu'un livre dans votre courte existence, c'est celui-ci. Évidement, cela implique que vous l'ayez déjà lu. Si ce n'est pas le cas, alors je vous assure que vous passez à côté d'un pan entier de l'univers connu. C'est bien dommage. Vous avez encore une chance de vous rattraper. Information bonus : il y a un deuxième tome.
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