J'ai enfin fini de lire les quatre volumes de l'intégrale de Omaha réédité par Tabou, dans de magnifiques livres superbement reliés et compilant des introduction de
Reed Waller, Jim Vance ou
Neil Gaiman qui éclairent sur la série et son apport au monde du comics. Rien que cette réédition vaut à elle seul le détour, à mon gout, les albums remettant les épisodes dans l'ordre chronologique, ce qui permet aussi de constater l'évolution du trait de
Reed Waller, la série s'étant tout de même étalée sur plusieurs années.
D'autre part, ces introductions éclairent aussi sur la BD en elle-même, entre les interactions de
Reed Waller et
Kate Worley, amants à la vie, qui apportèrent du poids aux personnages, mais aussi la question de la censure des comics underground, qui se retrouve en filigrane du récit (mais transposé sur la censure des strip-club). Bref, le récit se suffit à lui-seul, mais de connaitre les récits autour permet de mieux en saisir le message, l'importance qu'il a eu et l'impact culturel de Omaha.
Parce que oui, ce comics a eu tout de même son petit impact. Principalement, je pense, pour l'esprit subversif qu'il défendait dans une Amérique Réganienne aux fortes valeurs conservatrices. Car même si le récit est à ranger dans le rayon érotique, je trouve que
Neil Gaiman le décrit bien en parlant de récit qui suit la vie de personnes sans couper le moment où ils couchent ensemble. Et, comme il le souligne ensuite, lorsque c'est fait aussi naturellement et sans tabou, on en vient à se demander pourquoi cette sexualité non-exceptionnelle est perpétuellement cachée dans les autres oeuvres. A une période où la censure du moindre bout de sein sur Facebook ou sur Youtube est devenue la norme, où le modèle Etat-Unien de morale et de pudibonderie atteint un pic, ce genre de BD fait forte impression et rappelle que le combat pour la liberté fut long, et n'est pas fini.
Car oui, cette BD est une véritable ode à la liberté : liberté sexuelle, liberté de moeurs, liberté d'aimer et de vivre, liberté de nos choix. On y parle sexualité, homosexualité, handicapée et sexualité, prostitution, danseuses nues, amours multiples et valeurs du couple ... La BD est d'ailleurs assez naturelle là-dessus, où les comportements choqués sont montrés comme anormaux. Les protagonistes ne s'offusquent pas de grand-chose, et c'est tout à leur honneur. J'aime beaucoup comme la BD fait passer un message de tolérance dans une communauté d'ami aux moeurs, métiers et envies diverses, mais unies dans l'ouverture d'esprit.
Les personnages anthropomorphes me rappellent très facilement d'autres comics (Fritz le chat ou Donald, par exemple), permettant de jouer sur une idée d'éloignement du réel pour mieux y coller. Cela enlève complètement le côté érotique du récit, certes (sauf si vous êtes adeptes des Fandoms Furrys), mais permet aussi de mieux caricaturer une réalité. Ainsi, et cela m'a surpris énormément, un personnage se déclare communiste dans un récit américain. C'est osé, notamment pour l'époque ! On y trouvera de la bisexualité, une homosexualité montré comme tout à fait normal et sans que son histoire soit tragique du fait de sa sexualité (d'ailleurs il y a plusieurs couples homosexuels). En un sens, j'ai pensé à Sunstone, sorti plus récemment, et qui m'a semblé avoir le même message avec cette même bienveillance envers les personnages.
Eh oui, la bienveillance est aussi présente dans le récit : les auteurs aiment leurs personnages et veulent raconter leur histoire jusqu'à une fin heureuse. Ce ne sera pas facile pour autant, et Omaha tout autant que Chuck devront apprendre à grandir, évoluer et s'apprivoiser. de secrets dévoilés en conflits d'égos, ils finiront toujours par se retrouver car leur amour les porte plus que tout. C'est une épopée d'amour en presque 1.000 planches, et mon petit coeur d'artichaut n'a pas résisté.
Mais si les deux personnages principaux sont merveilleusement bien campés, aussi bien dans leurs relations que dans leurs personnalités, les personnages secondaires sont merveilleux aussi. Jerry, homme d'affaire toujours trouble mais qui se révèle un bon gars ; Joanne, femme qui se prostitue sans aucun soucis et vie sa vie de femme libre ; Rob, photographe gay ; Kurt, personnage plus traditionnel ayant parfois du mal à accepter tout ce qu'il se passe ... Il est juste dommage que le personnage de Shelley, toujours intéressant, finisse par un arc narratif un peu trouble et conclu à la va-vite à mon gout.
C'est d'ailleurs le gros point noir du récit, selon moi : sa fin. On sent que, malheureusement,
Kate Worley n'a pas pu le finir de son vivant et que certaines choses sont restées un peu flou. Il fallait une fin, et elle a été posée, mais finalement je suis un peu déçu de certaines choses (Joanne et sa conclusion un peu trop rapide, Shelley et son arc assez peu compréhensible). C'est une fin qui convient et termine la série, mais je dirais que j'en suis peu satisfait. C'est dommage !
Par contre, le reste m'a vraiment transporté et fait bien l'état d'une époque. On y retrouve les magouilles politiciennes et les liens entre riches et puissants, les changements sociétaux et les transformations des villes, la morale et la rigueur bien pensante, la libéralisation des moeurs de ceux qui veulent juste vivre comme ils l'entendent. Mais aussi les espoirs d'une meilleure vie, la solidarité des classes populaires et la convergence des luttes. Ça n'est pas un pamphlet révolutionnaire, mais c'est un appel à lutter. Et c'est assez beau.
Je n'ai presque pas parlé du dessin, qui évolue sacrément au fur et à mesure de la série pour finir sur un trait précis et dynamique, assez proche de certains cartoons dans les modèles des personnages, mais qui retransmet aussi l'atmosphère d'une ville américaine assez précisément. On reconnait facilement les personnages, c'est précis ... J'ai beaucoup aimé !
Bref, je pourrais encore m'étendre sur l'oeuvre, mais je dirais simplement qu'après avoir enfin pu lire l'intégralité de l'histoire, je comprends les avis très positifs que beaucoup clament autour de cette BD. Elle a certainement dénoté à son époque, et je dirais presque qu'elle a encore de quoi faire grincer des dents aujourd'hui. Pas sur que le puritanisme présent sur Internet apprécierait cette BD qui n'hésite pas à tout montrer sans rien cacher. Mais, en même temps, cette sexualité n'est jamais érotisé, à mon sens, et fait simplement parti de la vie des personnages. Alors pourquoi le cacher ? C'est entre deux adultes consentants, rien de plus.
Une oeuvre très sympathique, assez dense et longue à lire, mais qui vaut le détour. Omaha dénote dans la production massive des comics américains que j'ai pu lire, et se rapproche plus des BD comme Transmetropolitan ou Sunstone, avec un gout de l'irrévérence et de la tolérance des moeurs. Et aussi quelques tacles à l'Amérique bien pensante qui n'est pas celle que veulent vivre la plupart des protagonistes, et par extension leurs auteurs. Nous ne vivons pas en Amérique, mais certains discours entendus cette année font malheureusement bien écho à cette lutte pour vivre comme on l'entend. Ce qui rend la BD tout autant actuelle pour nous autres français !