Faire et subir, cette opposition est prématurée ; car je ne me connais qu'une puissance, celle de douter, puissance dont l'exercice ne saurait être empêché par rien. Ce n'est pas que, parmi tous les objets, toutes les idées dont j'ai décidé de douter, la plupart ne m'aient semblé laisser une certaine prise à ma puissance, ou pour mieux dire tous. En ce moment même, c'est moi qui meus ma plume sur le papier. Tout ce que je vois, je le fais disparaître, reparaître, se mouvoir, en fermant, en rouvrant les yeux, en tournant la tête. Je puis transporter la plupart des objets que je touche, marcher, bondir, courir. Mais ces yeux, ce corps, ces objets, sais-je s'ils existent ? Un pouvoir exercé sur des illusions ne peut être qu'illusoire. La croyance que m'inspirent ces illusions est chose réelle, aussi le pouvoir que j'exerce sur elle est-il réel ; je n'existe encore que par le doute.
L'humanité a commencé, comme chaque homme commence, par ne posséder aucune connaissance, hors la conscience de soi et la perception du monde. Cela lui suffisait, comme cela suffit encore aux peuples sauvages, ou, parmi nous, aux travailleurs ignorants, pour savoir se diriger dans la nature et parmi les hommes autant qu'il était nécessaire pour vivre. Pourquoi désirer plus ? Il semble que l'humanité n'aurait jamais dû sortir de cette heureuse ignorance, ni, pour citer Jean-Jacques, se dépraver au point de se mettre à méditer.
Aussi plaisir et peine ne sont-ils pas sans mélange l'un de l'autre, ainsi qu'il apparaît dans les poètes ; mon plaisir ne peut être tel qu'il ne soit corrompu par le désir d'un plaisir plus grand :
medio de fonte leporum
Surgit amari aliquid quod in ipsis floribus angat
Inversement la douleur n'est jamais goûtée sans quelque volupté ; car respirer, courir, voir, entendre, même me blesser, c'est avant tout goûter ce plaisir qui est comme la saveur de ma propre existence.
Tout d'abord il n'est pas vrai que Descartes, en cultivant les sciences, en dédaigne les applications. Non seulement les dernières années de sa vie ont été consacrées tout entières à la médecine, qu'il considérait comme le seul moyen propre à rendre le commun des hommes plus sages, en leur donnant la santé, mais, bien plus, ce n'est qu'en vue des applications qu'il a pris la peine de communiquer ses réflexions au public.
Tout ce que j'ai reçu jusqu'à présent pour le plus vrai et le plus assuré, je l'ai appris des sens, ou par les sens ; or j'ai quelquefois éprouvé que ces sens étaient trompeurs, et il est de la prudence de ne se fier jamais entièrement à ceux qui nous ont une fois trompés.
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Pouvons-nous vraiment réclamer des droits si nous n'acceptons pas d'avoir également des devoirs ? Savez-vous quelle philosophe a formidablement abordé le sujet ?
« Les besoins de l'âme » de Simone Weil, c'est à lire en poche chez Payot.