Pike est un vrai et puissant roman noir. C'est assez commun et classique et l'estampille « roman noir » est presque devenue un label, une catégorie tellement vaste que le lecteur est souvent berné et ce depuis les « romans policiers noirs » (sous catégorie émérite) du fameux
James Ellroy (que j'adore bien évidemment).
Un vrai roman noir pour plusieurs raisons : la première est l'intrigue extrêmement minimaliste : je ne résumerais pas l'histoire tant elle tient sur un ticket de caisse. Je dirais seulement qu'un ancien truand revient dans sa ville natale y constater les dégâts et se retrouve confronté à un des pires flics véreux de la région pour une sombre histoire familiale
Le récit baigne dans les squats de junkie, les bordels ou bien souvent les deux en même temps. L'auteur doit utiliser 150 fois le mot terne et gras pour décrire presque tout : autant la neige, que le ciel que la nappe de la table de cuisine et le ventre des bouseux du Kentucky(et atteint un peu ses limites stylistiques).
La terre natale de l'antihéros est jonchée de figures cauchemardesques allant de son ami qui se rêve en boxeur à sa fille décédée d'une overdose dans des conditions plus que louches et atroces. Même sa petite fille, du haut de ses 12 pommes, semble préparée à un avenir plus que sombre et est dotée d'une répartie trop lucide et désespérée pour son âge : elle fume et boit comme tous les adultes croisés dans le livre. Dans cet univers, tous les protagonistes se consument progressivement à petit feu et notamment les femmes (êtres souvent battus et plus que désespérés sans jamais, à mes yeux, paraître cliché).
Whitmer trimballe littéralement ses personnages et ses lecteurs de squats en taudis, tous plus déguelasses les uns que les autres en quête d'une vérité dont tous se foutent. Les scènes d'anthologie se succèdent et la trame narrative est d'autant plus décousue que chacun sait précisément comment ca va se terminer.
La force du roman, vous l'aurez compris réside ailleurs ; la capacité de l'auteur à décrire la misère humaine et le mépris est très puissante et le lecteur ressentira presque le vent glacial du Nord et la puanteur d'un cadavre en décomposition ? C'est suffisamment rare pour être souligné.
Pike, le héros torturé m'a beaucoup rappelé le héros des romans noirs de
Tim Willocks : Cicero Grimes qui lutte également contre ses démons et son passé(
Bad City Blues et
Les rois écarlates). Tout comme
Willocks, Whitmer arrive à nous faire rentrer dans la psychologie de son personnage qui s'accroche à une cause inutile et perdue d'avance, une obsession qui coutera extrêmement cher à son entourage.
Pour décrire en quelques phrases la forme du roman : des chapitres courts (mes fidèles lecteurs (si ils existent) savent que j'apprécie cela)) illustrés par une autocitation du dit chapitre, et les titres sont très évocateurs (je les ai beaucoup aimé cet aspect) quelques exemples :
« Je me suis réveillé deux jours plus tard allongé sur le sol, avec le mal de crâne d'un type qu'on aurait assommé à coups de démonte pneu »
Ou encore :
« C'est pas pire que ca l'était déjà »
Et enfin :
« Sans rien de la haine qui fait tout tourner au vinaigre ».
Pour terminer, une petite citation qui pourrait vous évoquer la trilogie Joe Kurtz « hard boiled » de Dann Simmons (les excellents : Revanche / Une balle dans la tête et Vengeance) :
« Cotton actionne la pompe de son calibre 12 et refait feu à travers le bar, criblant de plombs le cadavre de Jessie. Ils l'ont pas encore fabriquée, la cartouche de fusil à pompe capable de perforer trois cents bonnes livres de gros bouseux du Kentucky »
Pour un type qui visiblement a beaucoup trainé dans les bars et les stands de tirs locaux du Nord des Etats Unis,
Benjamin Whitmer accouche (douloureusement) d'un bon premier roman noir très caractéristique et fidèle aux codes du genre. Un très bon moment de désespoir, très sombre. Merci aux éditions Gallmeister pour cette traduction et bonnes recherches pour la prochaine pépite noire !!!
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