J'ai découvert
Tim Willocks il y a vingt-cinq ans au travers du dyptique «
Bad City Blues », «
Les Rois écarlates », une lecture en forme d'uppercut, qui m'avait laissé exsangue, étourdi par la férocité inouïe qui se dégageait de ces deux romans.
C'est ainsi avec un mélange d'appréhension et de curiosité que j'ai ouvert «
La mort selon Turner » dont l'intrigue située en Afrique du Sud évoquait d'autres lectures moins éprouvantes, les très beaux romans noirs de
Deon Meyer.
Lors d'un week-end trop arrosé au Cap, Dirk, un jeune Afrikaner écrase sans même s'en rendre compte une jeune noire qui a le malheur de se trouver derrière son Range Rover. Les hommes de confiance de Margot le Roux, qui accompagnent son fils Dirk lors de sa virée « festive », décident d'abandonner la jeune femme agonisante et de quitter les lieux illico.
Partie de rien, Margot le Roux a bâti un empire au milieu de nulle part, en devenant la reine des mines de manganèse du Cap-Nord, et protègera à tout prix sa progéniture, qui se destine à une brillante carrière d'avocat. Dans une Afrique du Sud post-apartheid gangrénée par une violence et une corruption omniprésente, l'abandon d'une jeune noire sans domicile à son triste sort ne représente que l'écume de la banalité du mal.
Personne ne semble vraiment se soucier d'un délit de fuite consécutif à un accident. Personne sauf Turner, un flic noir de la brigade criminelle du Cap, qui convainc son chef, le capitaine Venter de le laisser se déplacer sur place, dans ce coin paumé situé à plus de six cent bornes du Cap, où Margot règne tel un seigneur féodal d'un autre temps.
En quelques heures, Turner reconstitue le déroulé de la dernière soirée d'une jeune femme à la dérive, et comprend que, s'il décide de continuer son enquête et d'appréhender Dirk, il sera seul contre tous. Mais il n'est pas homme à abandonner, ni à se laisser impressionner par le pouvoir absolu que semble détenir Margot sur la région, surtout lorsqu'il s'agit de sauver l'honneur d'une pauvre fille, dont personne ne se soucie, morte dans d'indicibles souffrances.
En décidant de poursuivre, envers et contre tous, la procédure censée conduire à l'arrestation pour homicide involontaire de Dirk le Roux, Turner va déchainer les enfers et faire face au déferlement d'une violence aussi sauvage qu'inéluctable. En nous entraînant jusqu'au coeur des ténèbres du désert du Cap-Nord, dans la croisade de son héros sans peur ni reproche,
Tim Willocks nous dépeint un tableau dont la laideur et l'épouvante évoquent l'oeuvre de
Hieronymus Bosch.
Athlète à la peau d'ébène et aux yeux verts, expert en arts martiaux, tireur d'élite, flic qui hait la police, Turner a parfaitement compris que si le meurtre, même involontaire, d'une jeune femme sans domicile ne compte pas, alors plus rien ne compte. Son combat contre Margot et ses hommes de main évoque l'Archange Gabriel face au Dragon, et apparaît comme une forme de métaphore biblique de la lutte sans merci que se livrent le Bien et le Mal.
«
La mort selon Turner » est un roman dont la violence fuse telle la balle chemisée sortie du canon d'un Magnum 357, où, excepté Turner, chaque homme a son prix. Malgré la fureur, malgré les compromissions, une forme de beauté languide, telle une fleur du mal sur le point d'éclore, émane du combat sans répit que mène son héros pour la mémoire d'une jeune femme oubliée.