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Cette édition bilingue de trois textes de Virginia Woolf est captivante parce que le style de Virginia Woolf est incomparable, parce que la traduction de Jean-Yves Cotté est alerte et, enfin, parce que ces trois textes forment un tout et en disent long sur la formation et l'émancipation intellectuelles de l'un des plus grands écrivains anglais. La maison du 22 Hyde Park Gate est plongée dans la pénombre, une haute façade étroite dans une ruelle, un décor noir et rouge festonné de lourds rideaux, des pièces exiguës pour abriter la plus recomposée des familles, huit enfants issus de trois unions. le père, Leslie Stephen, impose ses humeurs changeantes, sa stature écrasante d'intellectuel victorien, tandis que la mère assure son rôle d'hôtesse auprès des nombreux visiteurs. Après sa disparition – Virginia a treize ans – George Duckworth, le frère aîné, assoit son pouvoir sur la maisonnée et sur ses demi-soeurs. L'ironie mordante avec laquelle le décrit Virginia Woolf se fracasse sur ce qui n'est pas un aveu, mais une façon de défier : « Oui, les vieilles dames de Kensington et Belgravia n'ont jamais su que, pour ses pauvres petites Stephen, George Duckworth n'était pas seulement un père et une mère, un frère et une soeur : il était aussi leur amant. » Le 46 Gordon Square, dans Bloomsbury, accueille la lumière après l'obscurité, les deuils à répétition et l'éclatement de la famille, ô combien salutaire pour Virginia qui vient de connaître son premier effondrement nerveux. Les enfants Stephen, Vanessa, Thoby, Virginia, et Adrian s'installent dans une maison spacieuse, claire, s'ouvrant sur un petit parc. Thoby y ramène ses amis de Cambridge, et ces jeunes gens qui constitueront l'avant-garde intellectuelle et artistique anglaise de l'entre-deux-guerres se livrent à leur passe-temps favori : débattre. S'affranchir des convenances victoriennes, Vanessa et Virginia le feront avec délectation. Moi, Snob ? est un texte rédigé en 1936 par Virginia Woolf à la demande de Molly MacCarthy pour le Memoir Club qui regroupe les anciens membres du Bloomsbury Group. La tâche confiée à Woolf est d'évoquer certains de ses souvenirs, mais elle s'y refuse en arguant d'une vie sans relief et décide de se livrer à une introspection sur une question assez frivole : Suis-je snob ? On retrouve dans ce choix présenté avec beaucoup de fausse humilité toute l'acidité de son esprit. L'écrivaine, sans nul doute taxée de snob, va très habilement dynamiter le reproche. Tout l'intérêt du questionnement réside dans l'art de structurer sa réponse, sa construction en miroir. Voyons, semble-t-elle nous dire, si je fréquente des snobs. Desmond MacCarthy ? John Maynard Keynes ? Non. Puisque « le snobisme repose sur le désir d'impressionner autrui », elle se reconnaît ce défaut : elle goûte les signes de la distinction aristocratique, disposition acquise dans l'entourage de ses parents à Kensington. Et de nous faire la démonstration d'une aristocratie que l'on gagne à fréquenter pour sa capacité à s'abstraire des règles bourgeoises. Mais, le vrai snobisme n'est pas celui de Virginia Woolf, mais celui des parvenues qui usent de leur position sociale pour impressionner autrui avec une vulgarité que les gens de qualité – Virginia – ne mettraient jamais en oeuvre. La construction en miroir fonctionne sur trois plans distincts : deux célébrités de mes amis et moi, des aristocrates – amis de mes parents – et moi, des pseudo-aristocrates de mes amis et moi. Si elle ne savait pas à ce point masquer son esprit mordant sous l'humour et la dérision, on pourrait presque l'entendre : Quod erat demonstrandum. Quand Virginia Woolf s'interroge sur l'un de ses défauts, il est probable qu'elle le transforme en qualité, voire en vertu morale. Quand Virginia Woolf souligne les qualités de ses fréquentations, il est tout aussi probable qu'elle en révèle les faiblesses. Elle sait manier avec brio l'art de la vacherie. + Lire la suite |
Lundi 28 mars, France Inter et Auguri Lettra présenteront "Au bonheur des lettres" au théâtre de la Porte Saint-Martin, un spectacle unique et solidaire au profit de Bibliothèques sans frontières et de ses actions pour l'Ukraine.
Ce soir-là, de nombreux artistes seront réunis sur scène pour partager la lecture des plus belles correspondances écrites par Victor Hugo, Virginia Woolf, Frida Kahlo, Mozart ou Simone de Beauvoir.
Présenté par Augustin Trapenard, cet événement sera retransmis en direct sur France Inter.
Pour en savoir plus et réserver votre place https://tpa.fr/pieces-theatre-paris/au-bonheur-des-lettres-5988.html