Décidé tout de même à m’accompagner, il a abandonné l’école, son bruissant royaume, et m’a suivi dans les rues, portant ma serviette, mon veston, ma vieille Bible, les yeux noyés de larmes comme s’il s’agissait non de mon fils, mais du sien. A chaque coin de rue, - « Ça ira, maintenant » - j’essaie de le lâcher; il s’entête pourtant à me suivre, il ne veut pas me laisser seul. Nous nous sommes enfin arrêtés devant la maison, immobiles sous le ciel bleu du matin, semblables à deux grosses pierres couvertes d’une mousse blanchâtre. Au-dessus de nous se condense la buée des paroles de consolation auxquelles il ne croit pas plus que je ne les entends.
Des passants s’arrêtent pour regarder ce vieil homme en civil aux yeux rougis de larmes, vêtu de noir et coiffé d’un casque. De la manière dont je m’accroche à la mitrailleuse, j’ai l’air de menacer les habitants de la ville - les Juifs d’abord, puis, au fur et à mesure que nous avançons vers l’est, les Arabes - l’air de vouloir les faucher de mon arme, alors que je ne sais même pas où trouver la détente.
15 juin 2022
Claude Sitbon, évoque le souvenir de son ami A.B. Yehoshua, décédé avant-hier : “Il était pleinement francophone. Ses parents parlaient français et son épouse aussi.”