Ceci n'est pas un roman historique!
Marguerite Yourcenar récusait cette appellation pour son roman. C'est que chacun de ses livres était un projet unique. Son côté aristo empêchait qu'il se mêle au commun des reconstitutions hâtives. Et, en un sens, on la comprend.
Quand on voit la somme de documentation et de d'érudition qu'il a fallu pour ce roman, l'écrire n'était pas à la portée de n'importe qui. Les historiens l'ont admirée pour cela. Et elle savait bien qu'elle n'était pas n'importe qui!
La lecture de cette oeuvre se perdait dans le passé, sa relecture a été savoureuse. J'en ai sans doute mieux goûté toutes les subtilités. La prose est somptueuse sans être rébarbative. le point de vue est singulier mais vise l'universel. L'immersion dans l'Antiquité est une grande réussite. Pour y parvenir, l'auteur (elle n'aimait pas la féminisation du vocabulaire) se mettait dans une sorte d'état second empathique avec son personnage. Pour autant, elle n'en fait pas un homme idéal: il a ses doutes, ses défauts, ses erreurs, et ses fautes.
Tout cela pourrait sembler suranné ou passéiste. Mais le miracle est que cela nous touche. Peut-être l'humanisme n'est-il pas tout-à-fait dépassé. L'ambition, le pouvoir, la guerre et la paix, l'argent, les effets de nos actions, l'aménagement de l'espace, l'architecture, la tolérance, l'amour et le mariage, la vieillesse, la maladie, la mort, voilà qui est de tout temps. Cela appartient à l'humain, pas aux hommes ou en femmes en particulier.
Et
Marguerite Yourcenar glisse dans son oeuvre ce qui lui tient à coeur: l'homosexualité bien sûr, à travers le personnage d'Antinoüs, et même si l'homosexualité antique était vécue bien différemment d'aujourd'hui, et aussi les préoccupations environnementales, moins évidentes, mais qui pressentent la fin d'un monde.
Le seul petit bémol est qu'elle a voulu tout dire de son personnage. de là un côté systématique et platement chronologique. Mais ce défaut là est largement compensé par tout le reste.