“L'amour étant, paraît-il, aveugle, ses yeux ne se dessillent peut-être qu'après le mariage”. Manqian, femme du monde exilée dans la Chine intérieure en pleine guerre sino-japonaise, vraisemblablement atteinte du très contagieux bovarysme, s'entiche du jeune cousin, aviateur et séducteur, de son mari un peu gauche. C'était couru ! (quand je pense au mot de Werther : « quel prix on attache à un regard ! que l'on est enfant ! »)
« le mariage est une forteresse assiégée, ceux qui sont dehors veulent y entrer, ceux qui sont dedans veulent en sortir. » Un thème de prédilection pour
Qian Zhongshu qui tirera de cet adage français son plus grand roman de moeurs, «
La Forteresse Assiégée » (1947).
“Heureusement Tianjian était beau parleur ; chaque fois que Manqian ne trouvait plus ses mots, il posait quelques questions anodines, comme pour construire un pont flottant sur la fissure de silence qui s'élargissait sans cesse de nouveau, afin que le fils de la conversation pût se renouer.”
Il s'en suit un cas d'école assez classique du sentiment amoureux, dans un récit brisant opportunément la linéarité narrative et, sans toutefois céder aux sirènes du romantisme européen, que l'auteur étudia pourtant assidument.
Il règne au contraire, dans cette courte nouvelle, une forme de distance comme une légère nonchalance qui est peut-être cette fadeur propre à l'esthétique asiatique dont le sinologue
François Jullien a fait l'éloge. L'écueil de la mièvrerie est aussi évité grâce aux touches éparses d'ironie que sème l'auteur chinois au gré du récit.
Zhongshu parvient subtilement à faire éprouver au lecteur les pensées qui s'attardent, les joues qui s'enflamment, les regards qui s'attrapent, les silences qui trahissent.
Plus que le désir charnel, c'est l'état psychologique des personnages, l'instinct de conquête chez l'un et la flatterie qui réchauffe l'ennui chez l'autre qui agissent sur l'attraction des amants l'un vers l'autre. L'auteur décrit l'afflux comme le reflux d'une passion… dépassionnée.
Qu'en pensez-vous ?