Le monde d'apres est plus que jamais un sujet du moment.
Et comme l'histoire nous l'a appris, parler de demain commence par parler d'hier.
Le "monde d'hier" de
Stefan Zweig apporte un point de vue complet sur la belle époque des années 1900, puis les 2 guerres mondiales qui en ont découlé.
Période d'une génération se voyant belle et forte et finissant minable par s'entretuer.
Les années 1900 ont été sans doute la période la plus prolifique de l'ère moderne dans les grands progrès scientifiques (electricité, automobile, aviation, radio, medecine, etc).
Et cette génération faisait également briller naturellement les arts (poésie, theatre, sculpture, peinture, etc) présentés comme rassembleurs d'horyzons différents (ce que les sports sont devenus de nos jours).
Ce qui ne l'a pas empêché de tomber dans le chaos.
Comment est-on allé aussi haut ? Pour tomber autant dans le chaos ?
On se rend compte au fur et à mesure du livre que la genération a créé sa propre décadence.
Elle est responsable des conditions ayant généré les problèmes, sans avoir eu les solutions pour y faire face. Plus précisement, sans se rendre compte que ses progrès scientifiques et ses arts ne sont pas des solutions suffisantes.
Ces conditions ne sont pas évidentes, ce qui explique la "naivité" de l'époque telle qu'elle est racontée. Tout comme la très probable naiveté dont on fait preuve actuellement et qui nous jouera de mauvais tours.
Parmi ces conditions, on peut noter :
- La confiance dans le progrès scientifique pour faire de l'homme un homme meilleur
Le progrès scientifique est devenu une religion.
Chaque nouvelle prouesse créé une foi aveugle dans un homme repoussant sans cesse les limites. On dirait même que c'est une foi obligeant l'homme à le faire.
- L'homme en veut toujours plus, au risque de ne plus se protéger
Si l'homme sait repousser sans cesse les limites, qu'est-ce qui peut l'empêcher d'en vouloir plus ?
Cela est vrai autant dans la croissance économique ou dans la politique avec la recherche d'un pouvoir plus grand et un désir d'expansion territoriale.
Si l'homme se croit obligé de dépasser toutes les limites, il ne se protège plus. Cela en amène certains à vouloir créer le chaos et penser pouvoir le maitriser et en tirer profit.
- La liberté peut aveugler une majorité face à une minorité folle
L'appartenance au groupe est exacerbée par certains, souvent autour du thème de l'identité nationale et de la patrie .
La majorité reste indifférente à ce groupe minoritaire. Meme si ils ne sont pas d'accord avec les valeurs et comportements de ce groupe, ils se considèrent comme plus forts.
La majorité se veut superieurement sage : la sagesse de respecter la liberté des autres, de les laisser-faire tant que cela respecte leur vision relativement egoiste de la liberté : ce n'est pas un probleme si cela ne touche pas à ma liberté. Je n'attaque pas les libertés des autres, mais je ne les défend pas non plus (c'est aux autres de le faire).
Le groupe minoritaire profite de ces conditions et s'affirme alors avec de plus de fermeté et d'agressivité, franchissant alors les limites du chaos : Si l'effort de la majorité est de respecter au maximum les libertés, alors ils ne savent plus s'opposer à la liberté de certains de détruire la liberté des autres. le faire serait renier leur sagesse.
Le jour où le chaos se met en place et que le piège se referme, la majorité ne peut plus s'opposer, ils adherent par une sage abnegation (qui n'est pas d'accord, n'est pas pour la paix ou n'est pas patriotique pour sortir du chaos), la minorité est devenu majorité (souvent aidée par des etrangers pensant profiter du chaos).
Le plus navrant est que la majorité a senti le danger arriver, mais elle ne l'a pas pris assez au sérieux.
Stefan Zweig dit : "il y avait du serieux dans le jeu et du jeu dans le serieux".
Ces conditions pourraient être résumées par l'oppositions des hommes à l'Homme.
Le paradoxe de l'homme n'est il pas d'etre etranger à lui-meme ? de se sentir lui-même qu'en appartenant à un groupe ?
Ou d'être étranger à lui-même en étant avec d'autres hommes qui lui sont similaires ?
L'Homme est à la fois tout et rien.
Comme les soldats de la guerre : célébrés comme héros partants à la guerre. Puis rejetés comme de simples mendiants faisant honte au pays en revenant à la fin de la guerre perdue.
L'homme opposé aux hommes,
c'est la liberté de penser différemment opposé à la necessité d'avoir une pensée commune avec les autres.
C'est la bienveillance envers les autres opposée à la flatterie.
C'est grimper la montagne au lieu d'attendre sa destruction pour la traverser,
C'est l'éternelle remise en cause opposée à l'immobilisme réconfortant.
Le livre parcourt ces thèmes au travers de la vie de son auteur.
Son enfance à bonne école à Vienne, capitale de la culture, dans un monde strict et trop hypocrite à son gout.
Ses études et sa soif de culture qui le poussent à voyager en Allemagne, en Belgique, en France, en Angleterre et bien ailleurs.
Ses rencontres faciles et diverses qui lui font prendre confiance dans sa passion et dans la liberté.
Ses réussites inattendues comme artiste qu'il ne celebre qu'à demi-mots.
L'annonce de la premiere guerre mondiale.
Sa surprise de voir sa patrie autrichienne être heureuse de partir en guerre.
Son impuissance à faire entendre une voix pour ramener les hommes à la raison et se mefier de la guerre.
Sa vie d'après-guerre, épuisante, incertaine et traumatisante.
La montée en puissance du fascisme et du nazisme. Lentement mais surement les libertés sont cassés et le chaos s'installe.
Le dangereux jeu des autres nations pour laisser en place ces régimes à l'etranger tout en s'y opposant chez soi.
Les fausses joies des negociations de paix avec Hitler.
Son exil en Angleterre où il ne veut pas froisser un peuple immature et naif face à la guerre approchante.
Son exil encore plus lointain qui n'empeche pas la guerre d'arriver a le perturber aussi fortement.
J'ai particulierement aimé ses descriptions de la vie d'apres-guerre.
Le chaos d'après-guerre prend de multiples formes :
- chaos social : l'abandon des soldats par la patrie qui ne leur laisse pas d'autres choix que de devenir mendiants. Certains ne pouvant pas rentrer chez eux.
- chaos financier avec l'explosion des dettes de la guerre qu'il faut rembourser : l'etat fait tourner la planche à billet. Ce qui genère une inflation qui fait doubler les prix du matin au soir ! La monnaie nationale perd toute sa valeur, le troc est préféré. Les puissances etrangeres en profitent pour acheter les richesses du pays.
- chaos economique avec de multiples penuries. Que ce soit de la nourriture (on ne mange plus à sa faim), des vetements (le cuir est arraché des fauteuils pour en faire des chaussures), du chauffage (le bois et le charbon sont devenus un grand luxe pour se chauffer), le delabrement des logements (la pluie rentrait a l interieur des batiments, faute de pouvoir reparer convenablement)
Stefan Zweig parle de 3 années traumatisantes avant de voir son pays commencer à se relever (pouvoir remanger à sa faim et dormir dans un lit chaud).
La monnaie a retrouvé de la stabilité inspirant la confiance pour les marchés, l'economie s'est reconsolidé.
Mais les hommes ne sont plus aussi confiants qu'avant.
Ce traumatisme aura comme conséquence une attirance vers la nouveauté et la jeunesse. Cela débouchera sur la tentation de la jeunesse pour les nouvelles modes communistes, fascistes et nazis.
Ces regimes en prenant de l'ampleur pourront alors mettre en place leur politique de destruction de libertés pour piéger la majorité : en commenceant par exemple par la mise en place des passeports qui n'existaient pas avant la 1ere guerre mondiale. Puis, cela derivera vers l'interdiction aux juifs de s'asseoir sur un banc public et finira par la construction de camps de concentration.
Lire le livre, c est sortir de l insouciance. C est se preparer mentalement.
Ecouter les hommes sans arriver a comprendre l'homme completement.
Les hommes sont un eternel recommencement, est-ce que l'homme en est un ?
Réminiscence