La couverture du roman est une photo d'
Helene Mayer, escrimeuse allemande aux JO de Berlin 1936, qui scandalisa l'opinion comme le rappelle
Philippe Assoulen dans « Les champions juifs dans l'histoire » :
« Au moment de la remise des médailles, le spectacle est incroyable. Devant plus de cent mille personnes, trois femmes s'apprêtent à recevoir leurs médailles. Trois femmes juives.
Ces femmes vont recevoir la plus belle des récompenses devant une foule, pour une grande part, hostile aux Juifs. Tout le monde oublie le temps d'un instant l'identité des trois championnes. La foule reconnaissante du spectacle applaudit avec ferveur. Les trois femmes debout sur le podium face à Hitler. le bourreau face à ses futures victimes. La chasse n'est pas encore lancée et Hitler apprécie son gibier. Dans sa tribune il regarde sereinement. Il est difficile d'y décerner une quelconque haine.
Et pourtant…
Elek vient de recevoir sa médaille d'or. C'est au tour de Mayer de recevoir la sienne. La foule applaudit encore plus encore. L'Allemagne a failli gagner. Mayer observe, touchée par l'émotion, puis dirige son regard vers Hitler. Quelques secondes qui paraissent une éternité tant l'échange paraît chargé de sens. En l'espace d'un instant, on a l'impression qu'un dialogue s'est instauré entre le Führer et la jeune femme. Et là, une chose surprenante, extravagante, honteuse, se produit. Mayer pour montrer son attachement regarde fièrement vers Hitler, puis la foule, et effectue le salut hitlérien. Sans hésitation et avec fermeté, le bras est allongé et la paume de la main ouverte.
Hitler avait gagné. »
Phénomène d'emprise dont
Marente de Moor illustre l'ascendance et la violence en prêtant sa plume à une adolescente tombant sous la dépendance de son professeur à l'époque où les nazis achèvent leur main mise.
Septembre 1936, après les JO de Berlin, Janna,
la vierge néerlandaise, 18 ans, rêve de succéder à
Hélène Mayer. Son père lui propose de suivre l'enseignement du maitre d'armes Egon von Bötticher, un hobereau allemand qu'il a connu durant la première guerre mondiale et qui vit près d'Aix la Chapelle, à 40 kilomètres de Maastricht. Après un échange de lettres et une photo à moitié passée de son père
Jacq avec Egon, Janna, découvre le domaine de Raeren et son propriétaire, une gueule cassée, « Il était beau, sa cicatrice était laide », « ses yeux se sont portés vers ma poitrine », « ça se terminerait inévitablement comme dans un film », « c'est ainsi que je me l'étais toujours imaginé. Ainsi exactement. » Quasiment sans une phrase, Egon domestique Janna, la tient en laisse et en fait l'objet de ses désirs. Fin de la première partie !
Janna observe rapidement qu'elle n'est pas seule invitée au Raeren. Julia, qui fut fiancée d'Egon avant guerre, accompagne très souvent ses deux jumeaux Siegbert et Friedrich, qui suivent les cours d'escrimes. Aussi beaux que vaniteux, les adolescents n'ont d'yeux que l'un pour l'autre jusqu'à ce que l'un découvre Janna.
Par ailleurs Egon reçoit régulièrement chez lui un groupe de jeunes adeptes du Mensur, un rite gothique au cours duquel les bretteurs s'infligent des estafilades dont les cicatrices affichent le courage sur le visage. Fille de médecin, Janna panse les plaies. Beaucoup de nazis parmi ce groupe de bâfreurs imbibés d'alcools qu'Egon tente de ramener à raison « « Herr Hitler n'a jamais participé à un duel. Bismarck en a combattu 22, rien de moins ».
Egon aime la chasse et apprécie les plats préparés par Lena, la cuisinière. La romancière prend un malin plaisir à montrer Heinz, l'époux de Lena, achever la truie, puis Lena et Janna saler pour empêcher la coagulation avant de tripoter les abats. le lecteur renifle le sang ; le végétarien interrompt sa lecture écoeuré avant la fin de la seconde partie.
La boucherie se poursuit dans la troisième partie où l'on voit Janna et Julia se battre en duel, Julia confesser le nom du père des jumeaux, puis un bain de sang final. Janna éponge les traces pour égarer la Gestapo puis demande à son père de l'extrader.
Jacq réalise alors la folie de celui qu'il a soigné vingt ans auparavant mais jamais guéri de ses traumatismes.
J'ai apprécié les évocations historiques décrivant la neutralité néerlandaise, le dévouement de ses médecins, la montée du nazisme, le déclin d'une aristocratie anachronique. J'ai moins aimé les (trop) nombreux chapitres sur l'escrime qui sont malgré tout instructifs. J'ai souri en lisant Janna « portée jusqu'au point culminant du plaisir », « j'ai d'abord senti son ventre puis, incidemment son membre. Je n'aurais jamais cru que c'était si dur », « je pensais à Loubna, la jument qui obéissait elle aussi à cet homme et savait, cependant, l'attendrir ».
Je n'ai pas compris les courriers écrits par Egon et
Jacq, mais il est vrai que lire des lettres incomplètes ou être perpétuellement interrompu durant leur lecture complique la tache. J'ai été déconcerté par l'écriture (ou par la traduction) de certains paragraphes, par exemple « Il avait fait un bond quand les deux coups de marteau du visiteur de gare avaient commandé le desserrement des freins ». Ce visiteur de gare serait il le fruit d'une traduction « informatique » ?
Mais comment peut on décerner le Prix de littérature de l'Union européenne à un roman qui tente de réhabiliter
Hélène Mayer, qui justifie le viol de la correspondance, qui glorifie le duel et propage des propos racistes et anti sémites ?