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Arlette Ounanian (Traducteur)
EAN : 9782494289024
352 pages
Les Argonautes (06/01/2023)
3.59/5   35 notes
Résumé :
Été 1936. Janna, dix-huit ans, est envoyée en Allemagne près d'Aix-la-Chapelle. Un ami de son père, Egon von Bötticher, doit l'aider à se perfectionner au fleuret. Grand maître d’escrime, von Bötticher réside dans une belle propriété, le Raeren, où il organise, malgré leur interdiction, des combats de Mensur avec armes réelles. Janna cherche à percer le mystère unissant cet homme avec son père et tombe inévitablement sous le charme de son maître charismatique.
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Critiques, Analyses et Avis (19) Voir plus Ajouter une critique
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La couverture du roman est une photo d'Helene Mayer, escrimeuse allemande aux JO de Berlin 1936, qui scandalisa l'opinion comme le rappelle Philippe Assoulen dans « Les champions juifs dans l'histoire » :
« Au moment de la remise des médailles, le spectacle est incroyable. Devant plus de cent mille personnes, trois femmes s'apprêtent à recevoir leurs médailles. Trois femmes juives.

Ces femmes vont recevoir la plus belle des récompenses devant une foule, pour une grande part, hostile aux Juifs. Tout le monde oublie le temps d'un instant l'identité des trois championnes. La foule reconnaissante du spectacle applaudit avec ferveur. Les trois femmes debout sur le podium face à Hitler. le bourreau face à ses futures victimes. La chasse n'est pas encore lancée et Hitler apprécie son gibier. Dans sa tribune il regarde sereinement. Il est difficile d'y décerner une quelconque haine.
Et pourtant…

Elek vient de recevoir sa médaille d'or. C'est au tour de Mayer de recevoir la sienne. La foule applaudit encore plus encore. L'Allemagne a failli gagner. Mayer observe, touchée par l'émotion, puis dirige son regard vers Hitler. Quelques secondes qui paraissent une éternité tant l'échange paraît chargé de sens. En l'espace d'un instant, on a l'impression qu'un dialogue s'est instauré entre le Führer et la jeune femme. Et là, une chose surprenante, extravagante, honteuse, se produit. Mayer pour montrer son attachement regarde fièrement vers Hitler, puis la foule, et effectue le salut hitlérien. Sans hésitation et avec fermeté, le bras est allongé et la paume de la main ouverte.

Hitler avait gagné. »

Phénomène d'emprise dont Marente de Moor illustre l'ascendance et la violence en prêtant sa plume à une adolescente tombant sous la dépendance de son professeur à l'époque où les nazis achèvent leur main mise.

Septembre 1936, après les JO de Berlin, Janna, la vierge néerlandaise, 18 ans, rêve de succéder à Hélène Mayer. Son père lui propose de suivre l'enseignement du maitre d'armes Egon von Bötticher, un hobereau allemand qu'il a connu durant la première guerre mondiale et qui vit près d'Aix la Chapelle, à 40 kilomètres de Maastricht. Après un échange de lettres et une photo à moitié passée de son père Jacq avec Egon, Janna, découvre le domaine de Raeren et son propriétaire, une gueule cassée, « Il était beau, sa cicatrice était laide », « ses yeux se sont portés vers ma poitrine », « ça se terminerait inévitablement comme dans un film », « c'est ainsi que je me l'étais toujours imaginé. Ainsi exactement. » Quasiment sans une phrase, Egon domestique Janna, la tient en laisse et en fait l'objet de ses désirs. Fin de la première partie !

Janna observe rapidement qu'elle n'est pas seule invitée au Raeren. Julia, qui fut fiancée d'Egon avant guerre, accompagne très souvent ses deux jumeaux Siegbert et Friedrich, qui suivent les cours d'escrimes. Aussi beaux que vaniteux, les adolescents n'ont d'yeux que l'un pour l'autre jusqu'à ce que l'un découvre Janna.

Par ailleurs Egon reçoit régulièrement chez lui un groupe de jeunes adeptes du Mensur, un rite gothique au cours duquel les bretteurs s'infligent des estafilades dont les cicatrices affichent le courage sur le visage. Fille de médecin, Janna panse les plaies. Beaucoup de nazis parmi ce groupe de bâfreurs imbibés d'alcools qu'Egon tente de ramener à raison « « Herr Hitler n'a jamais participé à un duel. Bismarck en a combattu 22, rien de moins ».

Egon aime la chasse et apprécie les plats préparés par Lena, la cuisinière. La romancière prend un malin plaisir à montrer Heinz, l'époux de Lena, achever la truie, puis Lena et Janna saler pour empêcher la coagulation avant de tripoter les abats. le lecteur renifle le sang ; le végétarien interrompt sa lecture écoeuré avant la fin de la seconde partie.

La boucherie se poursuit dans la troisième partie où l'on voit Janna et Julia se battre en duel, Julia confesser le nom du père des jumeaux, puis un bain de sang final. Janna éponge les traces pour égarer la Gestapo puis demande à son père de l'extrader. Jacq réalise alors la folie de celui qu'il a soigné vingt ans auparavant mais jamais guéri de ses traumatismes.

J'ai apprécié les évocations historiques décrivant la neutralité néerlandaise, le dévouement de ses médecins, la montée du nazisme, le déclin d'une aristocratie anachronique. J'ai moins aimé les (trop) nombreux chapitres sur l'escrime qui sont malgré tout instructifs. J'ai souri en lisant Janna « portée jusqu'au point culminant du plaisir », « j'ai d'abord senti son ventre puis, incidemment son membre. Je n'aurais jamais cru que c'était si dur », « je pensais à Loubna, la jument qui obéissait elle aussi à cet homme et savait, cependant, l'attendrir ».

Je n'ai pas compris les courriers écrits par Egon et Jacq, mais il est vrai que lire des lettres incomplètes ou être perpétuellement interrompu durant leur lecture complique la tache. J'ai été déconcerté par l'écriture (ou par la traduction) de certains paragraphes, par exemple « Il avait fait un bond quand les deux coups de marteau du visiteur de gare avaient commandé le desserrement des freins ». Ce visiteur de gare serait il le fruit d'une traduction « informatique » ?

Mais comment peut on décerner le Prix de littérature de l'Union européenne à un roman qui tente de réhabiliter Hélène Mayer, qui justifie le viol de la correspondance, qui glorifie le duel et propage des propos racistes et anti sémites ?
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La Vierge néerlandaise est la personnification de la liberté dans l'iconologie batave remontant au XVIe siècle. On la représente habituellement, comme sur les timbres postaux il y a cent ans, en compagnie d'un lion couronné portant épée et faisceau de flèches, emblématique des États Généraux des Provinces Unies des Pays-Bas. C'est donc tout un pays que désigne le titre de ce roman, en même temps qu'une jeune fille de dix-huit ans, Janna, à l'orée d'un apprentissage qui va brutalement la faire passer à l'âge adulte.


Fascinée par la championne germanique Helene Mayer, Janna la Hollandaise se passionne pour l'escrime. Pour lui permettre de parfaire son art, son père, un médecin idéaliste et rêveur exerçant à Maastricht, l'envoie un été chez un ami à lui, l'aristocrate germanique Egon von Bötticher dont il a sauvé la vie lors de la Première Guerre Mondiale. L'homme vit avec ses cicatrices, tant physiques que morales, dans son domaine du Raeren tout proche de la frontière avec les Pays-Bas. En cette année 1936 où le national-socialisme hitlérien accélère la bascule de l'Allemagne vers un ordre nouveau, lui s'accroche bec et ongles aux valeurs et au code d'honneur prussiens, enterrés avec la chute de l'Empire allemand en 1918 et tout entiers incarnés dans sa passion pour le cheval et pour les combats à l'épée, au sabre ou au fleuret. Il est en l'occurrence le dernier à organiser chez lui la traditionnelle Mensur, ce combat d'escrime à armes réelles interdit par les nazis en 1933.


Chez Janna, aussitôt sous le charme du maître et de sa prestance de hussard en même temps qu'intriguée par sa relation manifestement compliquée avec son père, la curiosité dépasse très vite le simple champ du perfectionnement sportif. Entre première expérience amoureuse, investigation du douloureux passé de von Bötticher au travers de vieilles lettres qu'elle lui dérobe en fouillant son bureau, et ambiance électrique au Raeren où, malgré son isolement campagnard, finissent par se télescoper les courants contradictoires d'une société allemande déstabilisée par l'effondrement de ses repères depuis 1918 et profondément animée d'un esprit général de revanche, ce sont autant de pans de son innocence qui volent à jamais en éclats.


Dans cette histoire très janusienne d'Entre-Deux-Guerres, tout n'est que dualité et passages : entre enfance et âge adulte ; entre deux pays, l'un qui resta neutre pendant la Grande Guerre, l'autre qui n'en finit pas de ruminer l'humiliation, renforcée par la crise économique, d'un Traité de Versailles pris comme un diktat ; entre Guerre et Paix comme l'ouvrage de Tolstoï emporté par Janna dans ses bagages. Les autres élèves présents au Raeren sont deux adolescents jumeaux dont la relation fusionnelle se craquelle pour la première fois sous l'effet de la rivalité amoureuse, les amenant chacun au conflit avec leur double, pour ainsi dire avec eux-mêmes, exactement à l'image de cette première leçon de combat reçue par Janna face au miroir. Tout cela pour, dans une réflexion nourrie par l'ouvrage d'un Maître hollandais du XVIIe siècle, le plus complet jamais publié sur la question, insister sur les automatismes empathiques nécessaires au bon escrimeur : « Quand tu comprends qu'en fait l'ennemi n'est pas différent de toi, tu peux, avec un simple petit calcul, prévoir la portée de ses mouvements. »


C'est ainsi que le roman, dans un cheminement certes un peu décousu qui pourra parfois déconcerter le lecteur pris d'une sensation de confusion, s'avère une métaphore aux multiples facettes, l'escrime servant un message de dépassionnalisation des conflits par l'observation et la compréhension mutuelle : « Un bon escrimeur garde la tête froide ; débarrassé de l'esprit de vengeance, il considère son adversaire à distance. Il est ainsi le spectateur de son propre combat, il n'est pas commandé par ses affects mais par une vérité absolue. » « Si votre art de combattre se base sur l'observation des intentions de l'adversaire, vous remarquerez que vous vous rapprochez de lui, car vous êtes dans la même situation. Il est dans votre intérêt à tous deux de travailler de concert. » Et le sage Girard Thibault d'espérer en 1630 : « J'essaie constamment d'en convaincre l'Électeur, dans l'espoir vaniteux que je pourrais éviter une nouvelle guerre. N'est-il pas toujours plus raisonnable d'observer avant que de verser inutilement le sang ? »


S'appuyant sur la très ancienne déontologie de ce sport de combat qu'est l'escrime, Marente de Moor nous invite au rêve, le temps d'une lecture : quel monde de paix si l'on y résolvait les conflits à la mode des fleurettistes…

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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La vierge néerlandaise de Marente de Moor traduit par Arlette Ounanian est mon premier livre lu dans la bibliothèque néerlandaise des belles éditions Les Argonautes et c'est un coup de coeur absolu.

Il se dégage de ce roman un charme foudroyant obsolescent qui m'a complétement captivée tout au long de ma lecture. Sur fond d'histoire et de drames, j'ai appris quelques règles d'escrime et surtout l'existence d'Hélène Mayer à laquelle je me suis intéressée.

Dans un huis-clos dramatique, j'ai été touchée par ses personnages pris dans les sangles de l'Histoire mais follement épris de l'instant même le plus évanescent.

En 1936, Janna âgée de 18 ans quitte Maastricht pour Aix la Chapelle afin de parfaire son apprentissage de l'escrime auprès de l'illustre grand maître, le baron allemand Egon von Bötticher.
Jacq, le père de Janna et Egon se sont connus pendant la première guerre mondiale au cours de laquelle Egon grièvement blessé et défiguré a été soigné par Jacq, médecin au front mais ils ne se sont plus revus depuis 20 ans.

Comme j'aime autant les personnages que le décor et les lieux, j'ai été immédiatement séduite par la demeure de Raeren à la fois austère et majestueuse, vieille gardienne solitaire du code chevaleresque à l'image de son hôte le baron Egon.

L'auteure Marente de Moor en seulement deux saisons, l'été et l'automne, les couleurs du roman, nous fait entrer dans un monde sensoriel, palpable et vivant qui se confronte aux secrets scellés des vieilles lettres dans les tiroirs d'une chambre fermée à clef.

La demeure comme ses habitants, Janna, Egon et le couple de domestiques Heinz et Léni vivent les derniers moments d'une époque sertis dans l'odeur de la cire, le parfum de la clématite enjambant le portail, le bruit des casseroles dans la cuisine enfumée.

L'écriture de l'auteure et narratrice tout en poésie et finesse, saisit l'instant voluptueux avant qu'il ne devienne souvenir, abandon. Destruction.
J'ai aimé le romantisme exacerbé de Janna, tout autant que sa droiture dans les jeux de la passion et de l'escrime.

Les bouleversements de l'histoire s'immiscent graduellement et presque sournoisement dans la demeure de Raeren servis par une galerie de personnages extérieurs inquiétants et réalistes.

Je me souviendrai longtemps de Janna, la jeune fille au fleuret, et d'Egon, le dernier baron de la cavalerie.

Ce roman d'une désuétude douceur irremplaçable m'a enveloppé de son charme magnétique qui traverse le temps par la magie de l'écriture de Marente de Moor.

J'ai hâte de lire la prochaine traduction aux éditions les Argonautes.


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Ce n'est pas un hasard si Janna, la jeune vierge néerlandaise, a emporté dans ses bagages le roman "Guerre et paix". Car au cours de cet été 1936, dans l'entre-deux guerre, la menace d'une terrible violence pèse sur l'ensemble du roman et se dissémine sournoisement dans chacune des relations qui nous sont rapportées.

Depuis qu'elle a vu la championne d'escrime Hélène Mayer aux Jeux olympiques de 1928 à Amsterdam, Janna rêve de devenir son égale et convainc son père de la laisser pratiquer ce sport.
"C'est alors que j'ai tout expliqué à mon père, le pacifiste, dont le métier était de guérir les blessures. Qu'un fleuret n'est pas fait pour tuer. Qu'il s'agit d'une arme d'entraînement, d'une invention sportive. Qu'il n'a jamais été conçu pour prévenir les coups mortels et ne peut en aucun cas arracher un membre, que seul le tronc peut être touché, qu'il doit son nom à la mouche placée à son extrémité, qui ressemblait autrefois à une petite fleur. C'est la première fois que mon père a pris mon avis au sérieux. Avec cette arme, mon cher fleuret, je suis devenue adulte. "

Ce qui ressemble à une banale admiration adolescente porte toutefois, pour le lecteur averti, la marque d'un scandale en lien avec le nazisme. C'est justement, lors des JO de Berlin en 1936, que la jeune fleuretiste juive a accepté de porter les couleurs de l'Allemagne nazie, qui l'avait pourtant exclue auparavant, et qu'elle s'est présentée sur le podium en arborant la swastika et en effectuant le salut nazi. Si l'on ne connaît toujours pas les raisons de son comportement, le modèle choisi arbore une ambiguïté non négligeable.

Pour parfaire son apprentissage, le père de Janna l'envoie chez Egon von Bötticher, un aristocrate qui excelle dans cet art. Pendant la première guerre, le chirurgien a sauvé la vie de cet allemand et les deux hommes ont des relations complexes et difficiles. Pourtant, il lui confie sa fille unique sans hésitation.

Alors qu'Hitler est au pouvoir depuis trois ans, von Bötticher continue à vivre en aristocrate dans son domaine , à défendre les valeurs de l'Allemagne impériale et à organiser des combats d'épée interdits par le régime.
Son attitude distante, voire méprisante envers la jeune fille n'empêche pas celle-ci d'être séduite alors même qu'elle voit successivement en lui un vieillard défiguré et un homme séduisant d'âge mûr.

L'autrice ne nous permet pas de comprendre les motivations de Janna, ni même celles des autres personnages que ce soit Egon ou les deux jumeaux adolescents qui vivent aussi sur le domaine. Elle refuse toute psychologie et privilégie une atmosphère qui mêle le  suranné et l'equivoque avec le réalisme le plus cru.
Ainsi ses recherches dans le passé de son amant, les lettres exhumees, les vieilles photos n'ont pas beaucoup de sens pour le lecteur et entretiennent davantage la confusion.

Isolé dans sa tour d'ivoire, Egon ne peut cependant ignorer les violences qui s'annoncent. Quant à Janna, elle semble indifférente aux enjeux politiques, uniquement préoccupée par la personnalité de son professeur et amant.
Les propos tenus par son jardinier révèlent clairement l'emprise de l'idéologie nazie sur les classes populaires, persuadées qu'Hitler allait donner du travail à tous et éliminer "les mauvais poulains".
Heinz illustre parfaitement le brouillage des enjeux politiques par les discours populistes qui prétendent travailler pour les plus fragiles. "Oui il y aura une autre guerre, mais il ne pourra pas y jouer les héros. C'est au tour du peuple maintenant. Hitler dit que les généraux se conduisent comme de nobles chevaliers alors que lui, il a besoin de révolutionnaires. von Bötticher ne l'écoute pas. C'est ce qui arrive quand on passe la journée à ne rien faire de ses dix doigts. La richesse, ça rend sourd. "

De même, alors qu'il veut préserver les traditions de la Mensur et qu'il entretient la nostalgie d'un combat du corps à corps, Egon est confronté à la violence collective de l'arbitre et des étudiants qui n'ont que faire des préceptes chevaleresques de l'aristocratie.
S'il n'adopte pas l'idéologie nazie avec la ferveur de ses compatriotes, il reste malgré tout du côté des plus belliqueux et l'autrice fait de cette virilité le coeur de sa séduction.
"Ton père n'a jamais compris que mon esprit ne pouvait trouver la paix que dans la guerre".

Si j'ai apprécié l'atmosphère créée par le roman et le talent de l'autrice pour mettre une réalité historique en perspective , je suis plus sceptique sur sa façon d'aborder les choix de ses personnages qui restent pour moi bien confus.



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Ce livre est de grâce et de gravité. L'immensité d'une littérature sans rivalité, tant son pouvoir est grandiose.
Janna est une jeune fille de dix-huit ans qui vit à Maastricht avec son père. Ce dernier envoie sa fille en Allemagne en Rhénanie-du-Nord à Aix-la-Chapelle afin de se perfectionner dans sa passion d'escrimeuse.
Janna est missionnée d'un pli de son père, afin de le remettre en main propre à Egon von Bötticher, maître d'armes.
Ces deux hommes se connaissent bien, trop même. Entre eux, le tumulte de la première guerre mondiale. le père de Janna était médecin durant la guerre. Il a soigné Egon. La cicatrice sur la joue de ce dernier est sa signature.
On ressent au travers de la missive, un double langage. Les non-dits résurgence, les effluves des tranchées ensanglantées. Les regards baissés, un blessé qui s'abandonne en confiance, dans les capacités d'un chirurgien. Réparer le visible, abolir les souffrances, soulager l'enfant redevenu.
Egon, épée en main foudroie ce passé qui le dévore subrepticement. Son visage est le reflet des tourments vifs encore, et de ses troubles du comportement.
Deux hommes qui se retrouveront au préalable en janvier 1915.
« L'image idyllique que je me faisais de mon maître avant de le rencontrer s'est vite effondrée. Elle s'était formée à partir de notre album de famille. Deux hommes, l'un l'air sévère, l'autre agité. C'est moi, avait dit mon père en pointant le doigt vers l'homme sévère. Et l'autre, dont on ne distinguait que la vieille capote déboutonnée et le chapeau en fourrure, lui, c'est ton maître. »
Von Bötticher est malgré ses démons intérieurs, un homme avec des convictions et au libre-arbitre avéré. Il organise dans la grande salle immense et glacée de son domaine, des combats de Mensur, pourtant interdits par le régime totalitaire. On ressent comme un pied de nez à l'adversité. Un contre-pouvoir dans l'antre même de Raeren. Janna prend ses marques dans cet espace à la masculinité très forte. Elle s'entraîne souvent seule. Avec son maître d'armes et professeur, d'une façon très perfectionniste comme si l'enjeu même d'un combat réel était de mise. Un face à face qui va la troubler et décupler ses qualités de combattante. Elle progresse, se jette corps et âme dans l'arène. Elle glane aussi dans cette vaste demeure éloignée de tout, le mystère qui magnétise cet antre. Il y a un secret. Janna n'est pas ici par hasard. Elle est le bouc-émissaire, mais de qui ? Janna est attirée par Egon. Elle pressent une part d'ombre à apprendre de lui. Ce qui le lie à son père. le corps enivré de désir, elle marche sur un fil ténu, sans aucune provocation, naturelle et spontanée, divinement féminine. L'initiation à l'amour peut-être, ou bien l'inaugural commencement de son aura de femme révélée.
Le récit à tiroirs est bouleversant et prenant. L'atmosphère, le magnétisme, cette capacité hors norme de produire un kaléidoscope, mouvementé et sentimental, historique et profondément humain.
Janna est troublée et déterminée dans sa gestuelle d'escrimeuse. Une guerrière-née, avide d'exutoire. Elle cherche dans chacune de ses postures d'escrimeuse à recoller les morceaux d'un puzzle dont son père tient en main la pièce maîtresse.
Ce roman est comme un film au ralenti. On aime les ombres qui se profilent et qui annoncent la teneur de ce grand livre. D'une maîtrise inouïe, on est de suite en plongée dans l'idiosyncrasie de l'entre deux-guerres, dans le réel d'une femme-enfant qui découvre l'émoi des maturités masculines. L'escrime est un rituel, une formidable passation des pouvoirs. L'identité d'un homme qui cherche la réponse à l'énigme de sa blessure. Lui, Egon qui a offert toute sa connaissance de maître d'armes pour les scènes de crime dans « Les Trois Mousquetaires ». Cet homme aux multiples facettes, dont le père de Janna le trouble encore dans cet infini des rappels pavloviens. Que vaut une cicatrice contre une blessure de l'âme insondable ?
« Ton père n'a jamais compris que mon esprit ne pouvait trouver la paix que dans la guerre. Il s'est penché pour cueillir une fleur sur la terre durcie. »
« Qu'est-ce- que c'est, un chez-soi ? »
Ce livre brillant, dévorant de perfection et de maîtrise, est tout en mouvement et pétri de sentiments. On aime les séquences, les arrêts sur image, les signaux de Marente de Moor autrice de renom. Sensuel et magnétique, une page d'Histoire, encore vive et méfiante. Cette jeune fille en métamorphose, rebelle dans sa splendeur et encore innocente. Elle, jetée peut-être en pâture, dans une histoire de grandes personnes qui ne peuvent assumer ce qui fût de ce temps de guerre. Magistral. « La Vierge néerlandaise » est traduit du néerlandais par Arlette Ounanian. Publié par les majeures Éditions Les Argonautes.

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critiques presse (3)
LaLibreBelgique
27 février 2023
Un roman énigmatique et original de l'écrivaine Marente de Moor qui parle d'escrime, de désir et de guerre.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
LeMonde
09 janvier 2023
Amateurs de sabres et de rapières, en garde ! Ce livre est pour vous. Il ne parle pas seulement d’escrime, mais explore « le combat comme expérience intérieure » – pour reprendre un titre de l’écrivain allemand Ernst Jünger (1895-1998) dont l’esprit flotte sur certaines pages.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LeMonde
09 janvier 2023
Marente de Moor y mélange trois sujets apparemment sans lien, la guerre, le ­désir et… l’escrime.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (32) Voir plus Ajouter une citation
Un bon escrimeur garde la tête froide ; débarrassé de l’esprit de vengeance, il considère son adversaire à distance. Il est ainsi le spectateur de son propre combat, il n’est pas commandé par ses affects mais par une vérité absolue. Il observe, comme le scientifique qui envisage un problème d’arithmétique, comme un mathématicien, il mesure et établit. Reconnaissez-le vous-même, si quelqu’un possède la science de demeurer intouchable, à quoi servent alors ces assauts émotionnels ? Si votre art de combattre se base sur l’observation des intentions de l’adversaire, vous remarquerez que vous vous rapprochez de lui, car vous êtes dans la même situation. Il est dans votre intérêt à tous deux de travailler de concert.
J’essaie constamment d’en convaincre l’Électeur, dans l’espoir vaniteux que je pourrais éviter une nouvelle guerre. N’est-il pas toujours plus raisonnable d’observer avant que de verser inutilement le sang ? Chaque duelliste devrait savoir à quel point les assesseurs sont importants, leur regard distancié et équitable ne se laisse pas influencer par la soif de sang des combattants, et ils prennent des notes pour la postérité. J’espère humblement que l’histoire se souviendra de moi comme du guérisseur de la vengeance aveugle. (Girard Thibault – XVIIe siècle)
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A la prochaine guerre, il faudra bien que les Néerlandais prennent parti. Et j'ose croire qu'eux, des Germains par-dessus le marché, seront assez sages pour choisir le progrès.

- Votre guerre m'intrigue, Herr Raab, a dit Egon négligemment. Herr Hitler ne s'est jamais battu en duel, contrairement a Bismarck. Vingt-deux fois pour être exact.
(…)
~ Un conseil d'ami, Herr von Bôtticher : faites attention à ce que vous dites. Ce n'est pas la première fois que je vous surprend à prononcer des paroles hostiles à la patrie. Vous avez la critique facile, je crois. J'aimerais bien savoir ce qui vous dérange.
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J’ai été conçue dans les années vingt, au lendemain d’une guerre mondiale. Je l’ai compris alors que je logeais chez ma tante, à Kerkrade, où la frontière longeait de près les portes des maisons de la Nieuwstraat. Elle était devenue invisible, mais quelques trous témoignaient encore de l’ancien bornage. Un jour, j’avais marché dans l’un d’eux et ma tante m’avait expliqué que des grilles s’étaient dressées à cet endroit, que les Néerlandais avaient vu leurs voisins d’en face disparaître derrière le grillage de leur guerre, que même leurs fenêtres avaient été barricadées pour qu’ils ne puissent pas s’enfuir, mais que, désormais, cette époque était révolue. Pourtant une moitié de la rue était toujours moins bien lotie que l’autre. En Allemagne, les magasins étaient vides. J’avais demandé pourquoi les Prussiens ne venaient pas tous habiter chez nous et ma tante avait répondu :
– Parce que, dans ce cas, on serait aussi pauvres ici que chez eux.
La pénurie d’en face donnait lieu à toutes sortes de trafics. Certains jours, la rue était noire de monde. Des aventuriers, des paysans braillards derrière leur charrette à bras et des gens des provinces de l’ouest – des présomptueux qui venaient ouvrir des bureaux de tabac – affluaient de tous les coins de l’arrière-pays néerlandais, tandis que les Prussiens se pointaient à l’horizon à bord de guimbardes vides. À la fin, par manque de réglementation, la rue Neuve était devenue un boulevard commerçant. Le maire se plaignait en vain à l’État, le douanier fumait une cigarette dans sa guérite, d’où il avait tiré sur un déserteur quelques années auparavant. L’affaire allait se régler d’elle-même en trois mois. Après la chute du reichsmark, les clients se sont déplacés vers l’est et les marchands ambulants, qui s’enrichissaient de leur désarroi, les ont suivis.
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Dans la clarté orange de la lune, il était difficile de voir le timbre. (…)
La Vierge tenait bien une lance dans les mains. Elle semblait virile avec sa poitrine ferme et son bonnet phrygien. Symbole de liberté, tu parles ! C'est le bonnet que portait le roi Midas pour cacher ses oreilles d'âne.
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Si mes souvenirs sont exacts, j'ai passé toute ma jeune vie à rêvasser. L'assiduité avec laquelle je m'y consacrais en faisait une habitude épuisante. Je n'avais jamais le temps de terminer l'histoire, j'en reprenais le fil quand j'étais à peu près sûre de ne pas être dérangée et j'étais alors confrontée à ses imperfections , car les châteaux en Espagne sont fragiles, ils ont constamment besoin d'être consolidés. Une jeune beauté pouvait s'enfuir avec votre amoureux pendant qu'une vieille mégère brouillait l'image en se mêlant de ce qui ne la regardait pas. Et, d'ailleurs, que faisait le prince de ses journées? [...] Je suis persuadée que seules les filles sont des rêveuses aussi invétérées. Si tous les jeunes gens idéalisent l'avenir, les filles, elles, idéalisent aussi le présent.
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Vidéo de Marente de Moor
"Existe t-il une littérature européenne ?" Avec Elin Cullhed, Rumena Bužarovska et Marente de Moor. Modérée par Margot Dijkgraaf.
38e édition Comédie du Livre - 10 jours en mai Samedi 13 mai 2023. 09h30 - Jardin de l'hôtel de Lunas
Rencontre inscrite dans le cadre de la démarche de candidature Montpellier 2028 au titre de Capitale Européenne de la Culture.
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