AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Junichirô Tanizaki (452)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées


Dans l'oeil du démon

Dans l'oeil du démon. Quel démon?

Un ami vous propose d'assister à un meurtre en direct... N'y allez pas!

C'est peut-être un "Aonyōbō (青女房?, ») un fantôme féminin du folklore japonais. Elle a la peau blanche d'une noble, avec des sourcils tracés au feutre fin et est vêtue de kimonos magnifiques...



Un "Baku", créature qui se nourrit des rêves ou des cauchemars.

Ou un Amanojaku 天邪鬼?, mauvais esprit céleste: un yōkai du folklore japonais. Il est habituellement représenté sous la forme d'une sorte de petit "oni ."On lui attribue le pouvoir de provoquer chez une personne ses désirs les plus sombres et, par conséquent, l'inciter à perpétrer des actes répréhensibles...



Takahashi va accompagner son ami Sonomura, jeune héritier désoeuvré dont la fragilité mentale l'inquiète, assister à un meurtre... Il nous décrit des images troubles, mais où s'exercent des forces.. maléfiques.



Un érotisme troublant habite le roman : "La courbe gracieuse des épaules de la femme, la nuque fine... La présence d'une telle beauté dans ce lieu sordide". Elle semble se livrer à une danse macabre pour maintenir sur ses genoux la tête de l'homme qu'elle vient... d'étrangler, rabattre ses bras ballants ou le traîner jusqu'à la bassine où l'acide va le dissoudre, tandis que son complice prend posément des photos.

'Tout ce qui est dangereux est beau, le diable possède l'auguste beauté d'un Dieu ."



Dans les légendes du Japon, le démon "Aonyōbō" se nourrit de moisissures et de nourriture pourries, si ce n'est d'êtres humains. Mais, la suite du livre est surprenante... Car Sonomura veut connaître la vérité et s'est rapproché de la belle inconnue...

"L'homme en s'inventant des Dieux, s'est inventé aussi des Démons." Zhang Xiangliang .
Commenter  J’apprécie          1064
Le tatouage et autres récits

Le Tatouage...



"Fondue dans l'encre de Chine, l'âme du jeune tatoueur entrait dans les tissus. Chaque goutte instillée de cinabre des Ryûkyû dilué dans l'alcool de riz était comme une goutte de sa propre vie. Il y voyait la couleur même des émois de son âme."



Un tatouage comme un souvenir, une image, un sentiment profond figé dans la peau pour l'éternité. Un tatouage comme un fantasme, une obsession lancinante, celle de Seikichi, jeune maître tatoueur qui excelle à son art dans un Tokyo révolu de l'époque du vieil Édo dans lequel les aiguilles du temps avancent au rythme de ses aiguilles qui transperçent inlassablement les chairs meurtries, à vif, dans sa quête éperdue de pouvoir un jour trouver la femme, l'unique, à la beauté parfaite, à la peau blanche comme la neige, au grain pareil à de la soie, une femme aussi fascinante que terrifiante qui dans les yeux de Seikichi est à l'image d'une toile de maître représentant La Fumure. La Fumure qui pourrait bien se cacher derrière les traits d'une douce et troublante apprentie maiko.



Les Jeunes Garçons...



"L'élégance hautaine de Shin .ichi, ses méchancetés à la fois imprévues et impitoyables avaient réussi en quelques heures à captiver mon coeur tout entier."



N'est-il pas vrai que les actes des enfants se nourrissent de ceux

des adultes ? Ils ne font que reproduire inconsciemment ce qui leur est donné d'entrevoir.

Ei-chan le narrateur de cette nouvelle se remémore l'année de ses 9 ans alors qu'il était élève en quatrième année d'école primaire à Arima et plus particulièrement de l'un de ses camarades : Shin .ichi, fils d'une famille fortunée établie dans l'arrondissement de Nagano, petit garçon timide et introverti constamment chaperonné par une servante même durant la classe, faisant régulièrement l'objet de nombreuses railleries de la part de ses petits camarades. Shin .ichi au visage d'ange qui se mue en véritable petit tortionnaire durant leurs nombreux jeux dans la somptueuse résidence de type occidentale que possède sa famille et qui lui inflige des sévices dignes des rapports de maître à esclave. Des jeux innocents qui peu à peu dévient vers des jeux d'une rare perversité, à la limite du sadomasochisme, à tel point que notre petit Ei-chan se retrouve bien malgré lui en proie à une fascination étrange pour son ami, éprouvant même un plaisir malsain à se soumettre à ses caprices les plus vils.



Le Secret...



"Un soir, à peine ai-je aperçu un kimono de femme à fond indigo tacheté de petites lunes blanches plus ou moins larges, que je fus pris du désir irrépressible de m'en revêtir."



Dans un Japon contemporain du début du vingtième siècle, les déambulations et les rêveries nocturnes d'un homme, érudit, lettré, qui pourrait bien être Tanizaki lui-même, qui, en mal d'inspiration et certainement pour pimenter un peu une vie ennuyeuse, décide de s'installer dans une petite chambre du quartier d'Asakusa et se prend soudainement de passion pour l'art du travestisme. Ainsi, chaque soir, quand vient la nuit chargée de ses effluves mystérieuses et envoûtantes, il revêt les apparats de la geisha, se farde méticuleusement le visage et s'enveloppe dans un somptueux kimono de crêpe déniché chez un fripier et, légèrement ivre de whisky, il déambule telle la courtisane dans les quartiers du vieux Tokyo, perdant peu à peu la notion du temps et ses manières d'homme.



Trois nouvelles remarquables : "Le Tatouage", "Les Jeunes Garçons" et "Le Secret". Toutes trois publiées respectivement dans les revues Shinshichô, Subaru et Chuô Kôrôn entre 1910 et 1911. La première nouvelle "Le Tatouage", a été adaptée sur grand écran par Yasuzô Masumura en 1966, j'espère avoir le plaisir de visionner le film un jour prochain car c'est la nouvelle que j'ai pour ma part préférée.

Je n'ai pas cherché à savoir et je ne le saurais certainement jamais, si Junichirô Tanizaki, au travers de ces trois récits, a laissé libre cours à ses fantasmes les plus inavouables, parfois il est préférable de ne pas trop fouiller dans les méandres de l'âme humaine surtout lorsque celle-ci est torturée, à l'image de la deuxième nouvelle (Les Jeunes Garçons) dont le récit pourrait mettre mal à l'aise les plus sensibles d'entre-nous tant il pointe du doigt les pires déviances de l'homme engendrées par la rigidité extrême du système féodal propre à l'ère Meiji et cela au travers de la naïveté infantile.



Je me suis laissée simplement porter par l'univers poétique, feutré, teinté d'érotisme de l'auteur et par sa plume délicate qui parvient à magnifier le corps, la peau et à nous restituer les sensations aussi fugaces soient-elles, les moments éphémères où le temps apparaît comme suspendu, pareil à un rêve. Si ce n'est pas ça l'essence de l'être, nous n'en sommes pas loin tant Tanizaki touche à la perfection dans la première nouvelle.









* Je remercie Blackbooks pour la découverte de ce recueil et je vous invite à lire sa belle critique.
Commenter  J’apprécie          10139
Eloge de l'ombre

Ce texte, parmi les plus célèbres de la littérature japonaise du XXème siècle, pourrait à première vue — à la lumière de ce que nous pensons savoir — sembler avoir un peu mal vieilli.

La claire opposition lumière / obscurité - Occident / Orient semble en effet avoir vécu : la matérialité, avec son cortège de normes de sécurité, sa foulitude de nouveautés, son irrésistible et planétaire attrait, ne connait plus de frontières ni de limites.



Se cantonner à cette lecture ferait à tort oublier la profonde différence qu’il existe encore aujourd’hui ( plus que jamais peut-être ) entre une société dont la préservation de traditions culturelles n’appelle pas forcément de négation à la modernité, et une autre dont la justement convoitée modernité implique l’abandon, voire la dénégation, d’une part importante de cet héritage.

Contrepoint contemporain de cette lecture, évidement absent de ses pages, il rôde dans l’esprit du lecteur habitué à passer outre ces rideaux et cloisons érigés entre les peuples.



Son approche matérielle à vocation spirituelle rappelle à chacun le nombre limité d’objets réellement nécessaires à une vie simple et épanouie, l’entièreté du cycle alimentaire comme centre de gravité.

Des éléments constitutifs et sûrement impératifs à notre humanité ( en opposition, cette fois-ci, à l’animalité ) se nourrir, en l’enveloppant dans un nuage de rites sociaux et concrets, revêt une importance capitale, d’autant plus quand elle permet le respect, la conscience et la sobriété de cette alimentation.

La culture japonaise a toujours beaucoup à apporter, à nous autres reste du monde, à ce sujet.



L’urgence décroissante à recycler, en quelques outils de métal, la petite boîte lumineuse qui partout nous accompagne — hideux miroir rétro-éclairé — se reflète au blanc de ces jolies pages imprimées.

Le commerce de mode auto-destructif comme véritable écueil civilisationnel ; l’âge et l’histoire d’un objet comme authentique richesse.



Une lecture qui prise à temps et en son temps entraînera force réflexions lumineuses, d’autres beaucoup plus sombres, comme cette effrayante ( mais efficiente ? ) volonté de « pureté » culturelle de ce peuple insulaire. Mais ce n’est pas cette nonantaine de pages qui apportera quelques éclaircissements, laissant le choix de la facilité au lecteur…



À noter que la maison d’éditions Philippe Picquier, grande spécialiste de littérature extrême-orientale, n’a pas su résister à la tentation d’avoir ce texte majeur à son catalogue, nous livrant une nouvelle traduction outre-nommée « Louange de l’ombre », comme si la leçon de ce texte, ainsi que sa magnifique première traduction par l’exégète René Sieffert, étaient bonnes pour le placard, alors que de nombreuses ré-éditions existent, celle-ci très jolie chez Verdier.

Commenter  J’apprécie          9311
Dans l'oeil du démon

Sa peau était blanche comme la neige, ses lèvres étaient rouges comme le sang, ses cheveux d'ébène relevés à la shimada en un chignon parfait laissaient entrevoir une nuque gracile qu'on avait aussitôt qu'une envie c'est de caresser ou alors... de serrer, de serrer si fort jusqu'à ce qu'on ne perçoive plus qu'un râle sinistre et rauque, dernier souffle de vie. Mais qui est-elle ? Une geisha ? Une de ces femmes troublantes du karyukai, du monde des fleurs et des saules ? Est-ce elle qui est dans l'oeil du démon ? Il vous faudra lire ce roman pour le savoir.



"Dans l'oeil du démon", "Hakuchû kigo" a paru au japon en 1918, il aura fallu attendre 2019 pour sa parution en France. C'est le deuxième ouvrage que je lis de l'auteur et j'en ressors une fois de plus agréablement troublée.



Avez-vous déjà ressenti cette sensation singulière que vous êtes en train d'assister à quelque chose que vous ne devriez pas voir et que le spectacle qui s'offre à vous est si dangereusement fascinant que vous ne pouvez vous arrêter car c'est plus fort que vous il faut que vous continuiez de regarder encore et encore à travers l'oeil de judas ?



Si demain on me mettait dans le secret qu'un crime affreux va être commis et que l'on me conviait à y assister, forcément que je n'irais pas, froussarde et saine d'esprit que je suis et vous non plus d'ailleurs. Et pourtant Takahashi qui est le narrateur de ce récit, va y aller lui. Cet écrivain qui a tout d'une personne sensée et réfléchie va accompagner son fidèle et excentrique ami Sonomura, mu par quelques forces mystérieuses et intrigué par le hasard et les circonstances qui auront fait que son jeune ami aura eu connaissance de ce projet funeste en se rendant à une projection cinématographique au Théâtre de l'Asakusa Kôen Club de Tokyo, projection durant laquelle il aura surpris une conversation codée en signes katakana entre un homme et une femme fascinante de beauté, tous deux installés devant lui, projetant de supprimer le compagnon de celle-ci.

De cette conservation Sonomura aura conservé un bout de papier froissé jeté à la hâte derrière un fauteuil et faisant écho à la nouvelle d'Edgar Allan Poe : "Le Scarabée d'or" sur lequel est écrit ceci :



"La nuit de la mort du Bouddha

À l'heure de la mort de Diane

Il y a une écaille au nord de Neptune

C'est là que cela doit être exécuté de nos mains."



C'est donc fébrile et la peur au ventre que notre narrateur s'en va dans la nuit en direction du sanctuaire de Suitengû à Mukojima en compagnie de Sonomura qui a brillamment décodé l'énigme. Ensemble il vont assister à une scène qu'il ne sont pas près d'oublier : à travers le noeud d'un volet disjoint et fendu du petit sanctuaire de Suitengû il vont voir ce que personne ne devrait jamais voir : le visage de la mort. La mort figée dans sa lente agonie, la mort saisissante de beauté dans les yeux de la femme au visage couleur d'albâtre qui porte un kimono fumé au calambac, la mort qui vous regarde en face et vous laisse un sentiment d'effroi mêlé à une délicieuse sensation de vertige aussi intolérable soit-elle.



En 90 pages seulement, Jun'ichirô Tanizaki nous fait progresser dans un Tokyo nocturne et spirituel du début du vingtième siècle, il joue avec notre perception de l'histoire, il aiguise nos sens désorientés dans le noir à la manière de ces photographies qui recèlent d'images cachées, je n'ai pas souvenir d'avoir lu plus belle scène de crime. Ici il n'existe pas une mais plusieurs vérités, la réalité n'est pas toujours celle qu'on croit et pourrait bien devenir notre pire cauchemar car vous pensez bien on ne peut pas regarder impunément à travers le trou de la serrure sans se retrouver complice quels que soient les actes qui se jouent devant nos yeux ébahis, et vous savez pourquoi ? Parce qu'il y aura toujours un rôle qui sera attribué "au voyeur" que nous sommes ...



Un roman noir certes mais écrit avec beaucoup de finesse et d'élégance dans lequel la mort est douce comme une caresse et glisse tel un serpent venimeux dans chacune des pages de ce récit. L'oeil du démon c'est le poison qui se cache dans l'ombre mais c'est aussi la lumière de l'amour.





* La magnifique photographie en couverture est signée Martina Matencio : "la lovenenoso".

Commenter  J’apprécie          8044
Journal d'un vieux fou

Un septuagénaire, au portefeuille garni, tombe sous le charme de la femme de son fils. Cette dernière prend grand soin de lui, mais à un certain prix.



Je n'ai pas particulièrement aimé ce roman. La vieillesse est un thème qui ne me dérange pas, puisqu'il fait partie intégrante de la vie. Mais le côté pervers du vieux grabataire ne m'a pas plus emballée que ça. J'avoue avoir été perturbée également par le côté non moral de "l'histoire sexuelle" entre une belle fille et le père de son mari, d'autant que tout ceci se passe au Japon et que le respect et les règles de vie y sont assez pointus.

La "demoiselle" n'est pas en reste, accepter tous les caprices sans exceptions de son beau père, afin de gagner une liberté adultérine et financière n'est pas non plus très moral, à mon sens.



Alors bien évidement j'ai bien compris que l'auteur aimait ces personnages décadents et au côté obscur , et j'ai bien compris également ce qu'il voulait démontrer. Mais ça ne m'a pas emballé plus que cela... disons qu'il a un peu poussé le bouchon en faisant trop à mon goût.



J'ai par contre beaucoup apprécié sa plume, très descriptive.

Commenter  J’apprécie          7712
Eloge de l'ombre

Conseiller un livre est une entreprise périlleuse. Combien de fois n’ai-je pas recommandé tel bouquin à telle personne en étant certain qu’ils allaient devenir inséparables, que les pages allaient se faire bouffer toutes crues en une poignée d’heures ! La réalité m’a souvent remis les yeux bien en face des orbites: j’aurais fait un pitoyable libraire ou bibliothécaire.



Chaque lecteur potentiel a des goûts spécifiques, des attentes particulières qui varient en fonction de son vécu, ainsi qu’un degré "d’influençabilité" personnel tellement volatile qu’il faut être fin psychologue avant de dénicher l’objet idéal et ensuite débiter la phrase fétiche “j’ai le livre qu’il te faut !” Avant d’être partagée, la lecture reste un repli où l’on entre en résonance (ou pas) avec une histoire. D’ailleurs, ne dit-on pas que c’est le livre qui nous choisit et non l’inverse?



Tout comme dans l’action d’écouter une musique, il y a dans la lecture une part non négligeable d’initiation. Rares sont les personnes, par exemple, qui discernent à la première écoute la multitude de variations et de nuances d’un concerto de Bach. Il faut être un minimum aiguillé afin d’ouvrir le champ des possibles. La littérature n’échappe pas à cette règle initiatique. Si une personne vous montre dès l’enfance la lecture comme source de plaisir, il y a de grandes chances que vous tournerez des centaines de milliers de pages tout au long de votre vie. Cette initiation continue au gré de personnes rencontrées, de libraires chez lesquels on va fouiner, ou encore de blogs tels que l’excellent Bibliofeel qui propose des chroniques en dehors des sentiers battus. C’est d’ailleurs via ce site que le livre Éloge de l’ombre de Junichirô Tanizaki s’est mis à me faire de l’œil. Analyse de cet ouvrage culte japonais. 行こう!



Afin de mieux saisir l’intérêt de ce livre publié pour la première fois en 1933, il est important de dire un mot sur Junichirô Tanizaki ainsi que sur la période durant laquelle il écrivit ce bref essai. D’abord l’homme, né un 24 juillet 1886 à Tokyo, est un écrivain qui a, dès ses premiers écrits, apporté un style qui brisa les codes littéraires japonais de l’époque lorgnant jusque-là du côté du romantisme et du naturalisme. Tanizaki a gardé tout au long de sa vie cet esprit anti-conformiste en faisant fi des courants qui traversaient le Japon de la fin du XIX au début du XXe siècle. C’est ce que l’on appelle l’ère Meiji du nom de l’illustre empereur nippon.



Cette période est un tournant dans l’Histoire du Japon. Ce pays, qui vécut pendant des siècles loin de l’influence culturelle et technologique occidentale, se voit soudainement chamboulé par une manière de vivre diamétralement opposée aux siècles de tradition et entre, d’un coup, dans l’ère de la modernité.



Ces deux éléments, c’est-à-dire la gouaille de Tanizaki et l’entrée dans le monde moderne sont pour moi, le socle de l’Éloge de l’ombre où l’auteur japonais regarde le présent en mettant dans la balance le poids d’un héritage multiséculaire.



Le Japon d’autrefois avait alors une identité forte, imprégnée d’une notion de beauté très différente de nos standards occidentaux. Et l’auteur de nous faire découvrir l’âme nippone ancestrale. Celle qui était habituée au dépouillement, à l’obscurité ainsi qu’aux ombres. Chez Tanizaki point de place pour l’éblouissement par la lumière qu’il considère inadaptée à la vie de l’archipel :



“ En fait, la beauté d’une pièce d’habitation japonaise, produite uniquement par un jeu sur le degré d’opacité de l’ombre, se passe de tout accessoire. L’Occidental, en voyant cela, est frappé par ce dépouillement et croit n’avoir affaire qu’à des murs gris dépourvus de tout ornement, interprétation parfaitement légitime de son point de vue, mais qui prouve qu’il n’a point percé l’énigme de l’ombre. “



Il y a dans le concept d’obscurité un respect profond et subtile pour l’environnement dans lequel il se manifeste. Il s’agit d’un tout et non d’une simple variation lumineuse. L’auteur japonais nous emmène jusque dans les toilettes japonaises de l’époque qui était, de nouveau, l’exact opposée des nôtres. Là, pas de carrelage ni de faïence, pas de pièce chauffée à la blancheur immaculée mais une annexe près des feuillages où le confort boisé est certes rudimentaire mais en adéquation parfaite avec la nature. À l’instar de ces lieux d’aisance, Tanizaki nous fait alors découvrir pourquoi l’obscurité était présente partout des WC aux meubles laqués noirs jusqu’aux ustensiles de cuisine rarement brillants mais souvent sombres. C’est qu’il y avait une recherche de poésie dans ce Japon ancestral. L’ombre était alors l’écrin parfait pour mettre en valeur des choses lumineuses telles que certaines couleurs éclatantes comme l’or ou plus banalement dit le… doré.



Cette conception de la beauté à travers l’obscurité est, sans doute, quelque-chose qui continue de perturber bon nombre d’entre-nous qui ne jurons que par la recherche absolue de lumière. Ne dit-on pas qu’une personne est rayonnante voire solaire? À contrario, n’utilisons-nous pas tout un vocabulaire péjoratif lié à l’ombre pour décrire des faits négatifs ? Pourtant les nuances et la subtilité ne se découvrent qu’à travers des jeux d’ombres. Les artistes sont sans doute les premiers à utiliser cet aspect positif de la pénombre. Il suffit d’admirer un chef d’œuvre de la peinture pour se rendre compte de sa présence indiscutable. Sans elle, la peinture serait totalement différente. Il en va de même pour la photographie, la musique, la calligraphie et bien d’autres pratiques. Le livre de Junichirô Tanizaki est culte car il a renversé la réflexion sur le beau en l’abordant, dès le départ, à travers l’obscurité et non via le poncif éculé qu’est la lumière.



“ Je crois que le beau n’est pas une substance en soi, mais rien qu’un dessin d’ombres, qu’un jeu de clair-obscur produit par la juxtaposition de substances diverses. De même qu’une pierre phosphorescente qui, placée dans l’obscurité émet un rayonnement, perd, exposée au plein jour, toute sa fascination de joyau précieux, de même le beau perd son existence si l’on supprime les effets d’ombre. “



Conclusion



Avec ce livre épais de 90 pages seulement, Tanizaki a renversé les codes conventionnels et donné une perspective déroutante afin de nous parler d’un Japon aujourd’hui disparu mais dont l’onde de choc continue encore de se faire sentir aujourd’hui. Car, si son ode à la faveur de l’obscurité peut-être lue de manière historique, artistique ou encore folklorique, elle est aussi une exceptionnelle mise en abyme de la manière dont fonctionne une modernité qui oublie d’où elle vient. Cette recherche viscérale de progrès qui nous fait détester la moindre parcelle d’ombres en nous. Il faut que tout scintille jusqu’à l’épuisement. Et que restera-t-il quand tout s’éteindra à nouveau? Il restera l’obscurité car c’est du néant que jaillit la lumière.



Un livre à mettre entre toutes les mains 😉



À bientôt,
Lien : https://lespetitesanalyses.c..
Commenter  J’apprécie          7313
Eloge de l'ombre

Dans ce court essai, JunichiroTanizaki met en parallèle la conception de l’esthétique en Occident et en Orient. Notre regard, notre comportement, sont étroitement liés aux matériaux (carrelage, bois, papier, laque, céramique), aux couleurs, mais plus encore à l’éclairage qui influencent non seulement notre approche de l’espace mais également notre représentation de l’autre, en particulier de la femme. Pour illustrer son propos, l’auteur insiste sur la construction et l’agencement des maisons, sur la représentation théâtrale.



Pourquoi cet écrit datant de 1933 peut-il encore de nos jours autant nous parler ? Par la différenciation qu’il propose de l’ombre, de la pénombre, du clair obscur et même des ténèbres. J’y ai surtout vu l’idéalisation par l’auteur d’un Japon traditionnaliste déjà menacé à la sortie de ce livre par les conceptions occidentales.

Commenter  J’apprécie          622
Svastika

Quand j'ai commencé ce livre, publié en 1928, je m'attendais à plonger dans les moeurs et la culture du Japon des années 20. Elle est d'une certaine façon présente mais loin d'être omniprésente. Je dois dire que ce livre m'a prise à contrepied, et contre toute attente, il ne m'a pas déplu pour autant. Sa force est indéniablement son intrigue…en trompe l'oeil ! Une construction assez proche du thriller psychologique finalement.



Le début ? Sonoko confie à un homme, présence silencieuse et bienveillante, l'imbroglio amoureux qu'elle a vécu. Un soliloque vibrant dans lequel elle raconte son amour éperdu pour la belle Mitsuko, un amour absolu, proche de la vénération, irrépressible, indispensable, un amour comme une évidence. Mais Sonoko est mariée. Pas question pour autant que « Mister husband » comme le surnomme Mitsuko, s'oppose à cette relation.



« Je me moquais moi-même de ma pusillanimité… Et puis, aimer un homme en cachette de mon mari aurait été mal, mais quelle importance qu'une femme s'éprenne d'une autre femme ? Un mari n'a pas le droit de critiquer l'intimité qui se développe entre deux femmes. » p43.



L'entrée en scène d'un quatrième personnage va modifier l'équilibre déjà précaire de ce triangle amoureux.



Dès la page 2 nous savons que cela va mal finir puisqu'on apprend que Mitsuko, le grand amour de Sonoko, est morte. Mais l'auteur nous tient en haleine jusqu'à la fin sur les raisons et les circonstances de cette mort.



Ce livre très contrasté juxtapose la beauté à la laideur. L'auteur explore à sa manière les compromissions de l'âme humaine, joue sur le fil de l'ambigüité, sur ce que l'homme et l'amour ont de beau et de laid. Cela se reflète aussi dans les personnages. Ils ont un coté théâtral, volubile, démesuré... merveilleux, à la limite de la caricature, et masquent pourtant un jeu tortueux qui se révèle par à-coups. Alors que j'en attendais tout autre chose, ce quatuor amoureux aura pourtant été une belle surprise. Aah ! Amours et manipulations…



« La véracité des êtres se trouve dans le mensonge. »

Commenter  J’apprécie          587
Eloge de l'ombre

Il m'a franchement amusée Junichirô Tanisaki, dans les toutes premières pages de cet éloge, en énonçant les principes fondamentaux d'un art de vivre japonais menacé par la modernité occidentale qui chahute déjà largement les usages traditionnels dans l'archipel au moment où il écrit (1933). Ainsi, quand les commodités les plus élémentaires de la maison d'habitation sont concurrencées par de rutilantes cuvettes à chasse d'eau, de disgracieux calorifères ou d'inconvenants éclairages électriques, se plait-il à rappeler combien ces "avancées" utilitaires s'accordent mal à l'idéal japonais des "petits coins" dont le lecteur découvre les principes, quelques pages plus loin, aux monastères de Nara ou de Kyôto. Puis convoquant le "génie national" Tanizaki questionne ironiquement cette victoire de l'hygiénisme rampant sur des habitudes largement séculaires. Entre purisme de la tradition et modernisme effréné lui, qui n'est pas totalement insensible aux sirènes du confort, tente avec humour de se frayer une voie médiane au grand péril de son budget. Mais cet antagonisme des valeurs sur lequel il s'attarde volontiers n'est qu'un prétexte, le véritable propos est ailleurs.



Une vraie philosophie cette esthétique de l'ombre et tant de grâce dans l'écriture d'un si petit recueil. Une quête de la beauté enfouie dans l'obscur qui revêt avec Tanizaki une densité insoupçonnée dans l'art d'habiter. Les sobres et discrets moyens de l'ombre convoquant les effets suggestifs les plus inattendus. La présence d'un auvent, le shôji d'une entrée, le fond d'une alcôve (Toko no ma), chaque recoin de la maison, chaque parcelle de matériau ou d'ustensile, la forme d'un aliment (jôkan), l'usure d'une patine deviennent promesse d'émotion sous lumière tamisée ou même indigente ; mais aussi le jeu de l'acteur (nô), le trait d'un maquillage, la pigmentation de la peau. Parcours de beauté peu ordinaire qui ne dévie jamais, malgré la subtilité de certains détours, d'un axe de sensualités où les plaisirs de l'oeil et du toucher s'allient à ceux du goût ou de l'oreille. Car outre l'objet, le geste, l'instant, toutes les sensations passent l'épreuve de l'ombre dans cet art inépuisable de la rêverie et de la contemplation auquel semble nous inviter l'auteur : une texture de papier (le hoshô duveteux), une saveur sublimée, une clarté suggérée dans un jeu d'opacités, le décor d'un laque, la profondeur d'un silence. A la moitié du livre, on se prend à plonger le regard au fond d'un bol laqué, en méditant sur quelques reflets luisants agitant la surface d'un simple bouillon. La grande prêtresse, ici, c'est l'ombre, la lumière devient accessoire. Dépaysant à plus d'un titre. Un pas vers la sérénité.



Commenter  J’apprécie          577
La Clef : La Confession impudique

"La clef" ouvre la porte d'un récit envoûtant, d'une construction remarquable.

Débutant sur la page d'un journal intime, celui de l'épouse, Tanizaki fait immédiatement entrer son lecteur dans l'intimité d'un couple. Le mari, professeur d'université de 56 ans n'arrive plus à satisfaire les besoins sexuels de sa femme, de 11 ans sa cadette. Il tente plusieurs traitements sans grand succès et puis un jour, il découvre que la jalousie est le plus puissant des stimulants. L'épouse, en femme vertueuse et docile, va alors se prêter à ce jeu pervers et écrira un journal destiné à alimenter les fantasmes sexuels de son mari. Tantôt victimes, tantôt bourreaux, les deux époux vont alors jouer l'un avec l'autre et surtout l'un contre l'autre. 



Tanizaki nous déroule le récit glaçant et précis d'une passion amoureuse, invitant le lecteur à observer cette lente destruction. Allez-y, nous dit-il, approchez, regardez comme les choses peuvent être entre deux êtres qui s'aiment encore sans plus parvenir à se rejoindre, sans plus parvenir à se parler.



Car au-delà de la lecture première d'un roman voyeuriste et malsain, Tanizaki nous offre un vrai roman d'amour. Comment ne pas être touché par la folie de cet homme sur le déclin qui aime encore sa femme de manière si totale, vénérant chez elle la moindre parcelle de son corps? Tanizaki nous manipule avec talent et nous donne sans doute une belle leçon d'humanité. Car enfin nous commençons "Cette confession impudique" avec un mari dominateur qui oblige sa femme à des choses dégradantes. Mais au fil du récit, un subtil changement d'éclairage nous fait voir soudain un pauvre homme qui se meurt d'amour. Notre jugement de lecteur en est ébranlé. Et n'est-ce pas pour nous faire comprendre que dans un couple, tout est si complexe qu'il faut bien se garder de juger.



Mais la clef est aussi un roman sur la condition de la femme au Japon en 1956. L'épouse est encore pétrie d'une éducation traditionnelle mais l'envie de modernité se fait sentir. On sent le socle qui se fissure, au grand dam peut-être de Tanizaki qui fait du kimono le symbole d'un érotisme révolu.



Le désir sans fin et la recherche du plaisir toujours plus intense ne peut conduire qu'à la mort, de la petite à la grande. Et comme souvent dans les oeuvres japonaises, "La clef" est habitée de cette fascination morbide. C'est un vertige qui entraîne vers le vide, vers le néant qui est l'aboutissement de tout. Une histoire qui nous ramène au célèbre film de Nagisa Oshima, "L'Empire des sens".

Commenter  J’apprécie          5511
Le pied de Fumiko / La complainte de la sirène

Eloge de l'ombre, panégyrie du pied…



Le célèbre écrivain nippon du XXème siècle, aux côtés de l'iconoclaste Mishima et du marmoréen Kawabata, dénote. Bien en chair, bon vivant, il partage pourtant avec les deux premiers un gout pour le fétiche érotique.



« Nous préférons le brillant ombré, reposé, au clinquant superficiel ». Célèbre, Tanizaki l'est également pour ses louanges de l'ombre, essai esthétique vantant les mérites de l'obscurité et de la pénombre asiatique en contraste avec le trop plein de lumière occidental, des WC obscurs invitant à la méditation à l'opposé de nos toilettes occidentales violemment éclairées, du « papier chinois ou du hôsho, comme un doux duvet de première neige » qui absorbe la lumière au lieu de la renvoyer, ou encore de la patine que le temps imprime sur les ustensiles de cuisine.



Mais revenons à cette courte confession impudique – l'agonie d'un fétichiste - que l'écrivain japonais nous narre avec un recul et une neutralité de ton désarmante. Contraste du style avec l'intensité folle de la passion du fétichiste pour le pied de Fumiko, une addiction surpassant et consumant tous les autres aspects de la vie. Contraste encore avec l'attitude de Fumiko face à cela.



Le narrateur, témoin et acteur de cette situation où l'homme laisse parler la bête qui sommeille en lui, la métaphore canine des deux hommes aux pieds de la Geisha se suffisant à elle-même, qualifie son comportement de perversion honteuse, mais ne cherche pas à le justifier, l'expliquer, bref pas d'introspection dans cette histoire, ce qui, pour sûr, ajoute au malaise du lecteur, qui reçoit cette confidence épistolaire sans autre explications.

Malaise d'autant moins diffus que, si l'on en croit l'écrivain Ryôtarô Shiba, le roman japonais diffère du roman occidental dans la mesure où « il a pour centre non pas une fiction absolue, mais un « moi » narratif qui est l'alter-ego de l'écrivain » ; sans même l'excuse de l'invention, Tanizaki nous sert son « mentir-vrai ».



La confession impudique de jeunesse de Jun'ichiro Tanizaki donne envie d'approfondir l'oeuvre , qui continuera d'explorer les sexualités contrariées, impuissantes ou embryonnaires comme le fétichisme ou le voyeurisme, dans sa maturité littéraire.



Qu'en pensez-vous ?
Commenter  J’apprécie          559
Journal d'un vieux fou

A priori, rien ne permet de s’enthousiasmer pour le journal de ce vieil homme,c'est le journal d'un malade et qui donc raconte sa vie médicalisée, il est aigri et n'aime pas sa famille : femme et fils. Pourtant quand ce vieil homme raconte comment sa belle fille lui crée des pulsions érotiques , le journal s'anime .

Junichiro Tanizaki a très bien su alterner et mélanger les passages médicamenteux et d’excitation pour créer l’intérêt du lecteur.

Avec l'écriture de Junichiro Tanizaki, il n' a pas été difficile de s'identifier au vieux fou, et d'apprécier les talents d'allumeuse de sa belle fille. Ce livre est intéressant car les personnages sont vivants, bien que le vieux fou soit moribond.

Un autre intérêt, le livre donne des détails sur la vie japonaise : par exemple, le fait qu'on puisse demander son nom pour un nom posthume

Ce livre court présente beaucoup d'intérêts.
Commenter  J’apprécie          553
Le pied de Fumiko

Un intermède pédestre revigorant entre deux séances de Kafka à vélo. J'ai relu le Pied de Fumiko (1917), une nouvelle de jeunesse de Tanizaki (1886-1965) l'écrivain le plus anti conformiste du Japon. Dès l'incipit, il vous embarque, vous piège en vous mettant en position de voyeur et ne cesse de vous étonner par sa liberté de ton, son goût tranquille de la provocation, son sens du tragique, mais aussi par sa recherche formelle. Dans ce récit, il allie en particulier la tradition picturale érotique japonaise aux techniques cinématographiques très modernes à l'époque. La mise en scène des corps, les successions de gros plans, carré de peau par carré de peau, sont merveilleuses. Et puis la malice du narrateur désamorce le malaise que l'on pourrait éprouver à cette histoire tragique et perverse.



Un vieux et riche marchand très laid et très malade éprouve une passion dévorante et masochiste pour le pied de Fumiko, une jeune geisha de quarante ans sa cadette, qui n'en a cure. Il la présente au narrateur, son neveu, étudiant aux Beaux-Arts sans le sou. Celui-ci fasciné par sa prodigieuse beauté se met à adorer son pied à son tour. le vieillard le convainc alors de peindre la geisha dans une pose aussi suggestive qu'acrobatique...
Commenter  J’apprécie          5314
Le pont flottant des songes

Tadasu est un petit garçon qui vouera toujours un amour sans borne à ses deux mamans. La première qui l'a mis au monde meurt d'éclampsie lors d'une seconde grossesse, Tadasu est âgé de cinq ans. Après la période de deuil, le papa de Tadasu se remarie et prie son fils d'aimer sa seconde mère comme la première ; très vite Tadasu confond les deux, son père et sa nouvelle épouse agissent dans ce sens. Au fil des ans, c'est une relation trouble qui s'établit entre Tadasu et sa "maman".

Très belle écriture de Junichirô Tanizaki sur le thème de la maternité et de l'image de la femme.



Challenge Petits plaisirs - 110 pages
Commenter  J’apprécie          520
Eloge de l'ombre

Éloge de l’ombre et par là même mise en valeur de l’esthétique japonaise dans tout ce qu’elle a de plus singulier et fascinant. Tel est le désir de Junichiro Tanizaki lorsqu’il entreprend l’écriture d’un essai qui se révèlera très juste, beau et intéressant.



Dans ce livre, donc, Tanizaki se veut le défenseur d’un Japon traditionnel face à un occident moderne toujours plus à la recherche du progrès : il explique d’ailleurs que là où les japonais apprécient un objet vieilli, voilé et aux reflets profonds, les occidentaux s’empressent de tout faire briller.



Mais l’opposition qui est au cœur de l’éloge de l’ombre, c’est celle de l’obscurité que prône Tanizaki, synonyme de suggestion (et donc d’imagination), de subtilité, de retenue et de calme, a contrario de la vive clarté tant recherchée par l’occidental. Pourtant, en cherchant à chasser la moindre parcelle de ténèbres et en privilégiant la lumière, on gagne certes en visibilité mais on perd aussi énormément en profondeur.



L’auteur se sert très bien de ses souvenirs et évoque non sans un certain désarroi un certain moment passé avec ses amis :

« Une fois déjà l’on m’avait gâché ainsi le spectacle de la pleine lune : j’avais projeté, une certaine année, d’aller la contempler en barque, à la quinzième nuit, sur l’étang du monastère de Suma ; je conviai donc quelques amis et nous y vînmes, munis de nos provisions, pour découvrir que l’on avait, sur tout le pourtour de l’étang, suspendu de joyeuses guirlandes d’ampoules électriques multicolores ; la lune était d’ailleurs au rendez-vous, mais autant dire qu’elle n’existait plus. »



Petit à petit, on ressent tout de même l’inquiétude de l’homme face au fait que les japonais cherchent à imiter les occidentaux, en particulier en matière d’éclairage.



Au final, beaucoup d’exemples sont employés et le passé a valeur de preuve, preuve que l’ombre est un élément inséparable dans la notion de beau au japon.



Un grand livre, qui mérite amplement la note qui est la sienne sur le site.
Commenter  J’apprécie          502
Svastika

Bourgeoise oisive, Sonoko s’ennuie dans sa belle maison, au côté d’un mari vaguement avocat. Pour s’occuper, elle décide de se mettre à la peinture et se rend tous les jours dans une école d’arts où elle fait la connaissance de la belle Mitsuko. Très vite, elle se prend de passion pour cette jeune célibataire mystérieuse et ensorcelante. Une passion partagée vue d’un mauvais œil par son mari soucieux de sa réputation et de son mariage. Mais Sonoko se moque de ses conseils, de ses remontrances, de ses menaces et de ses ultimatums. Sonoko aime et fait fi des convenances. Pourtant, Mitsuko est peut-être moins amoureuse qu’elle n’en a l’air. Très vite, elle apparaît comme menteuse et manipulatrice. N’a-t-elle pas caché qu’elle était fiancée ? L’homme a qui elle est liée, un certain Watanuki a, lui aussi, bien des secrets et bien des tours dans son sac. Quand Sonoko veut se détacher de sa maîtresse, il est déjà trop tard, la passion dévorante a pris le dessus. Incapable de couper les ponts, elle entraîne son mari dans une histoire à trois, menée de main de maître par une Mitsuko plus dissimulatrice et manipulatrice que jamais.



Amour et passion pour un roman où la perversion se dispute à la folie. Ecrit dans les années 20, Svastika étonne par sa modernité de ton et de sujet. Ecrire l’amour entre femmes devait être scandaleux à l’époque. Raconter les complaisances d’un mari, les manipulations d’une jeune fille et les machinations d’un maître-chanteur devaient l’être tout autant. Un siècle plus tard, on n’est plus choqués par les liens qui unissent Sonoko et Mitsuko, mais il n’en reste pas moins un sentiment de malaise à la lecture de ce récit. Ces quatre êtres entraînés dans la folie, le masochisme, la perversité, bref dans une relation toxique et périlleuse, donnent à réfléchir sur la passion quand elle est portée à son paroxysme.

Long monologue de Sonoko qui raconte les faits sans faux-semblants à un ami écrivain, Svastika frappe par sa crudité mais aussi sa poésie. Ces confidences, cette vérité toute nue, parle d’une relation destructrice mais laisse aussi affleurer la tendresse que Sonoko ressent toujours pour une femme qui lui a fait vivre l’enfer mais, et elle ne l’oublie pas, lui a fait connaître l’intensité de la passion.

Une curiosité à lire pour se laisser entraîner dans ce tourbillon amoureux avec ces quatre personnages, tantôt pitoyables, tantôt haïssables.

Commenter  J’apprécie          490
Le meurtre d'O-Tsuya

Comment ne pas être séduit par le raffinement avec lequel cet auteur japonais met en scène une dramatique histoire d'amour dans le Japon d'hier ?

Shinsuke est un humble commis, sage, un beau gaillard un brin naïf, complétement influençable.

O-Tsuya, belle, éclatante de santé, enjouée et téméraire est la fille unique du patron de Shinsuke..

Ils s'aiment d'un amour impossible , fuguent, se réfugient à l'auberge de Seiji, un commerçant plus ou moins honnête , un peu truand......

Là- bas, enivrés par une succession de coupes de saké chaud lampées à petites gorgées, ils se sentent irrésistiblement précipités vers des plaisirs si intenses qu'ils croient y consumer leurs derniers jours......

En cinq chapitres lus d'une traite, l'auteur nous immerge avec talent dans une histoire commencée dans une feinte innocence terminée dans le crime et le sang......

Au fil des pages nous sommes plongés dans les affres de la passion et les extrémités où celle - ci peut nous entraîner .



Comment un commis humble et droit, naïf et intégre sombre dans le crime par amour, y prend goût et descend aux enfers ?



Leur relation intense et étouffante est traversée de passions si exacerbées par l'ivresse qu'ils sont incapables de se dominer.

O -Tsuya, une fiancée diabolique, perfide, cynique,manipule les hommes avec un art consommé, une rouerie, une cupidité raffinées.

Un basculement progressif et insidieux, l'on reste confondu devant tant de naïveté transformée

en vengeance, violence et crimes .......



Un petit ouvrage sans concession à l'écriture simple et belle traversé par une passion fulgurante menant à une folie destructrice , une perte de repères et de volonté , ou comment un amour irréfléchi pour une manipulatrice née, corrompue, peut rendre fou un individu et lui faire prendre moralité , convictions et humanité !

L'auteur Explore l'âme humaine dans sa version maléfique avec talent , naïveté et innocence, abjection et cynisme mêlés !

Du Grand Art !
Commenter  J’apprécie          490
L'affaire du

De Junichiro Tanizaki je n'ai lu jusqu'à maintenant que son fameux livre "Les quatres soeurs", une belle histoire sans aucune once de fantastique.Dans ce recueil de nouvelles, oeuvre de jeunesse de l'auteur (1917-1926), comme l'indique son nom, "récits étranges ", le contexte est totalement différent.



Le premier récit qui donne son nom au recueil, nous plonge au bain public "Yanagiyu", directement dans le bain de la folie. Le second,"La tumeur à face humaine", sujet d'un film à sortilège nous y immerge.....l'actrice principale ne se souvient pas d'y avoir participé, aucun nom d'auteur ou de metteur en scène ne figure au générique, quand à l'acteur principal, personne ne le connait....Avec la troisième "L'or et l'argent", autopsie d'une relation tordue entre deux peintres artistes, l'un génie, l'autre médiocre, qui tourne au roman noir, nous sommes carrément noyés......

La suite je ne vous en dit rien, encore trois nouvelles à lire en apnée.....,au dernier "la philosophie cinématographique " de Monsieur Aozuka finit de nous achever....



Au coeur de ces maléfices se trouve la haine, la rancune, la jalousie , l'obsession ,(rien de nouveau),suite à des amours, des amitiés et autres relations, frustrés, non consumés, voir inexistants, juste fantasmés. Tanizaki n'hésite pas à étudier tous les comportements humains sans aucun tabou; ce qui à l'époque lui attira les foudres de la censure mais aussi le rendit célèbre.

Une prose raffinée qui accumule détails et situations invraisemblables pour donner une représentation vraisemblable de la nature humaine. Trés déroutant.

Je ne suis pas amateur d'histoires fantastiques, mais là je dois dire elles m'ont envoûtées.

Une lecture périlleuse .......qui en vaut la peine !

Commenter  J’apprécie          482
Quatre Soeurs

Quand le récit commence, nous sommes dans le Japon du milieu des années 1930, et partageons le quotidien d'une famille aisée qui s'articule autour de quatre soeurs.

Autant de soeurs, autant de facettes du Japon, de son art de vie, de ses traditions et de son évolution vers une forme de vie plus occidentalisée.







Deux soeurs sont mariées : l'une , l'aînée dans le respect des traditions et des coutumes du Japon, son mari représentant le chef de famille puisque celui-ci est décédé et étant celui qui a la charge de toutes les décisions prises concernant la famille.

L'autre soeur mariée partage la vie d'un homme qui, bien que respectueux de la Culture de son pays, s'attache à privilégier les rapports humains et à faire en sorte d'adoucir la vie de chacun. Celle-ci peut donc agir comme bon lui semble dans son quotidien, ses rapports avec ses amies, et a toute liberté de choix dans ses actes.



Quant aux deux soeurs célibataires : si l'une a décidé de vivre à la manière occidentale en ce qui concerne ses prises de position et ses rapports avec les hommes, l'autre attend patiemment qu'on la marie selon la tradition c'est-à-dire qu'elle prendra pour époux l'homme qu'on aura choisi pour elle en faisant valoir une sécurité matérielle ou un niveau social plutôt qu'en privilégiant un accord de sentiments.









C'est un livre qui happe littéralement le lecteur en l'entraînant dans une autre Culture, un rapport différent aux choses qui l'entoure, une façon de vivre - parce que cela est possible pour cette famille favorisée, en symbiose avec une nature magnifiée. Même la façon de raconter, par le style de l'écriture, invite à la lenteur, à la précision, à la minutie. C'est une découverte des traditions japonaises comme les codes du kimono, les habitudes de cuisine, l'attitude face aux péripéties de la vie.





J'étais très intimidée au début de cette lecture, mais j'ai toujours eu un plaisir immense à retrouver les personnages et à vivre à leurs côtés et j'ai fini par me sentir si bien auprès d'eux que je quitte ce Japon avec beaucoup de regrets... ou alors avec l'envie encore plus forte d'en apprendre davantage sur ce pays, ses habitants, son art de vivre.









Commenter  J’apprécie          472
Journal d'un vieux fou

Journal d’un vieux fou… Un titre pareil, ça dit tout. La quatrième de couverture apporte quelques précisions, elle mentionne un vieillard qui s’éprend de sa belle-fille (mettre l’accent sur le mot «belle», à prendre au sens propre) et qui lui prodigue des extravagances. Je suppose qu’il y a un public et un lectorat pour tous les genres. Celui d’un vieux libidineux n’est pas celui qui m’attire. C’est le nom de l’auteur, Junichirô Tanizaki qui m’a convaincu d’emprunter le livre à la bibliothèque. Disons que ce n’est pas votre auteur japonais typique. Oh, son écriture est proche de celle de ses compatriotes, pleine de finesse, quoique parfois assez crue, mais Tanizaki ne craint pas d’aborder des sujets audacieux. Et Journal d’un vieux fou ne fait pas exception. Exit la contemplation de la nature ou les émotions renflouées. Pour tout dire, j’y ai cru à ce septagénaire excentrique, devenu impuissant mais encore très intéressé par la chose, attiré par la beauté du corps féminin, prêt à se ruiner pour quelques instants de plaisir défendu. Surtout qu’il est malade, approchant la mort, s’accrochant à ses désirs. Qui ne voudrait pas se permettre un dernier chant du cygne ? La déchéance de ce vieillard est terrible, surtout que, comme l’indique le titre, il s’agit d’un journal. Jour après jour, semaine après semaine, il raconte sa situation qui se dégrade sous les yeux des membres de sa famille. Ouch ! Je me demande ce qui est pire ? Être témoin de la détérioration de son propre corps ou savoir que d’autres en sont témoins, en particulier la femme qui nous plaît et qu’on ne veut pas dégoûter. Je recommande ce livre à ceux qui cherchent une littérature japonaise ou orientale un peu différente.
Commenter  J’apprécie          454




Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Junichirô Tanizaki Voir plus

Quiz Voir plus

Avion et compagnie....

Antoine de Saint-Exupéry

Voltaire
Vol en enfer
Vol de nuit
Vol en séries

7 questions
34 lecteurs ont répondu
Thèmes : aikido , zoneCréer un quiz sur cet auteur

{* *}