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EAN : 9782070462643
112 pages
Gallimard (29/01/2015)
3.67/5   49 notes
Résumé :
Tsukakoshi, un vieux marchand fortuné, n'a d'yeux que pour Fumiko, une geisha d'une beauté exceptionnelle. Son obsession pour une partie spécifique de son anatomie - les pieds - atteindra une intensité qui le conduira au bord de la folie..." La blancheur du pied s'irisait de rose aux extrémités des orteils bordés de rouge pâle.

Cela me rappelait les desserts de l'été, les fraises au lait, la couleur du fruit fondant dans le liquide blanc ; c'est cett... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
Eloge de l'ombre, panégyrie du pied…

Le célèbre écrivain nippon du XXème siècle, aux côtés de l'iconoclaste Mishima et du marmoréen Kawabata, dénote. Bien en chair, bon vivant, il partage pourtant avec les deux premiers un gout pour le fétiche érotique.

« Nous préférons le brillant ombré, reposé, au clinquant superficiel ». Célèbre, Tanizaki l'est également pour ses louanges de l'ombre, essai esthétique vantant les mérites de l'obscurité et de la pénombre asiatique en contraste avec le trop plein de lumière occidental, des WC obscurs invitant à la méditation à l'opposé de nos toilettes occidentales violemment éclairées, du « papier chinois ou du hôsho, comme un doux duvet de première neige » qui absorbe la lumière au lieu de la renvoyer, ou encore de la patine que le temps imprime sur les ustensiles de cuisine.

Mais revenons à cette courte confession impudique – l'agonie d'un fétichiste - que l'écrivain japonais nous narre avec un recul et une neutralité de ton désarmante. Contraste du style avec l'intensité folle de la passion du fétichiste pour le pied de Fumiko, une addiction surpassant et consumant tous les autres aspects de la vie. Contraste encore avec l'attitude de Fumiko face à cela.

Le narrateur, témoin et acteur de cette situation où l'homme laisse parler la bête qui sommeille en lui, la métaphore canine des deux hommes aux pieds de la Geisha se suffisant à elle-même, qualifie son comportement de perversion honteuse, mais ne cherche pas à le justifier, l'expliquer, bref pas d'introspection dans cette histoire, ce qui, pour sûr, ajoute au malaise du lecteur, qui reçoit cette confidence épistolaire sans autre explications.
Malaise d'autant moins diffus que, si l'on en croit l'écrivain Ryôtarô Shiba, le roman japonais diffère du roman occidental dans la mesure où « il a pour centre non pas une fiction absolue, mais un « moi » narratif qui est l'alter-ego de l'écrivain » ; sans même l'excuse de l'invention, Tanizaki nous sert son « mentir-vrai ».

La confession impudique de jeunesse de Jun'ichiro Tanizaki donne envie d'approfondir l'oeuvre , qui continuera d'explorer les sexualités contrariées, impuissantes ou embryonnaires comme le fétichisme ou le voyeurisme, dans sa maturité littéraire.

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Deux nouvelles de Tanizaki, qui témoignent d'abord avec éclat d'une écriture d'une rare élégance et précision, sûrement servie par une traduction de qualité.

La première en ordre de lecture, la complainte de la sirène, est éclipsée par la notoriété de la seconde, le pied de Fumiko. Pourtant, elle est de toute beauté sur le plan formel. Si l'action est ténue, sa lecture m'a procuré un grand plaisir. Nous sommes en Chine. Un prince de Nankin (l'ancienne capitale sous la dernière dynastie des Qing) s'ennuie ferme, blasé malgré son pouvoir et ses sept concubines. Un jour, un baroudeur hollandais se présente en ville avec parmi ses trésors, captive, une sirène. C'est l'occasion pour l'auteur de mettre en scène, notamment à travers des dialogues d'une grande finesse, deux types de relations complexes : les relations hommes/femmes, et les rapports occident/orient.
Sur le premier point, Tanizaki revisite le mythe occidental de la sirène, avec le regard d'un asiatique. Il met en relief la condition féminine, femme-objet, femme-esclave du bon plaisir masculin, pointant non sans malice que cette condition n'est pas brillante en occident ! Il nous montre aussi des hommes bien démunis et naïfs face à la beauté de la femme, qui finalement exerce le pouvoir sur eux…et ça c'est universel. Tanizaki confronte aussi les mentalités occidentale et orientale : le chinois éprouve clairement une sorte de fascination pour l'homme occidental et sa civilisation (plus d'ailleurs que pour la sirène). Derrière cette fascination se cache aussi un complexe d'infériorité (notamment physique), que le hollandais se charge d'entretenir. Pourtant, le prince chinois n'est pas totalement aveuglé, il souligne bien, de manière ironique voire sardonique, que le hollandais est mercantile et prêt à abandonner la sirène, sa femme, à son triste sort. Il est assez rusé…Tanizaki semble s'amuser à tirer les ficelles de ce qui semblait n'être qu'une anecdote et qui à la manière d'un conte en dit long sur les deux sujets évoqués…et peut-être aussi sur un dernier point, car en japonais qu'il est, il prend bien soin de ne pas froisser ses compatriotes en prenant un chinois comme acteur principal à moquer pour son admiration excessive de l'occident, faiblesse qu'il aurait pu tout autant reprocher aux japonais.

Le pied de Fumiko nous conte l'histoire d'un vieil homme fétichiste du pied de sa maîtresse, âgée de 17 ans, ancienne geisha. Il invite le narrateur, un jeune artiste de 18 ans, à la peindre, à l'occidentale, à l'huile, sur le modèle d'une estampe de Kunisada. La pose, en équilibre improbable, met particulièrement en lumière la beauté du pied de Fumiko. Le jeune homme est sous le charme, mais finalement tout aussi gâteux que le vieux car lui aussi avoue adorer les pieds féminins et particulièrement ceux de son modèle. Fumiko n'éprouve rien pour ces deux-là, qu'elle doit trouver complètement barrés, elle ne se soumet que par intérêt. Sa santé déclinant, le vieux est de plus en plus capricieux, il finira par mourir dans l'indifférence de sa famille et de la belle, qui avait trouvé depuis longtemps un amant fortuné en ville, qu'elle épousera sans traîner. Ce texte est une histoire très bizarre et dérangeante, qui vaut par la description inimitable du pied de l'héroïne, à la fois raffinée et dont le côté dithyrambique prête à sourire, voire à rire. Pour un peu, je serais resté sur ma faim, mais heureusement le Maître Tanizaki nous réserve une petite surprise en forme de pirouette malicieuse à la dernière ligne.

Un joli duo de nouvelles, qui sans être sans doute l'alpha et l'oméga de l'oeuvre immense de Tanizaki, se lit avec plaisir.
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Deux nouvelles constituent ce petit Folio :
- La complainte de la sirène
- le pied de Fumiko.

L'auteur, évoquant la femme, écrit «tout en elle donnait l'impression d'une beauté langoureuse et sensuelle». Et c'est exactement ce que j'aime dans cette écriture, la sensualité qui s'en dégage.

Ce sont des textes remarquables par la description faite du corps des femmes, la sirène en représentant la forme rêvée et mystérieuse, avec son aura lumineuse, «l'enchanteresse marine». Entre la femme et la sirène, les ponts sont jetés : «Le cou [de Fumiko], souple et pur, fin, svelte et doux, imprimait à son corps le mouvement ondulatoire d'une série de vagues.» Ainsi, la seconde nouvelle fait écho à la première, la mer et ses merveilles.

N'a-t'on jamais entendu : "Tu les trouves jolies mes fesses ?" ou encore "T'as de beaux yeux, tu sais ?"
..."Quand ils sont bleus, je me prends pour ton capitaine"...Ferré aussi est sensible aux charmes de la mer ^^

«Si je distingue son cou, c'est que chacune des parties de son corps frappait par sa beauté.» Voilà ! Tout est résumé par Junichirô Tanizaki.

Si les yeux, le cou, les mains, les seins sont tant appréciés, pourquoi les pieds ne le seraient-ils pas eux aussi ? Et là, le Maître Tanizaki se régale ! Les descriptions sont brillantes. Je le soupçonne à cet égard d'une pantalonnade, laissant croire qu'il s'agit d'une déviance en faisant parler le narrateur.

Il semble en effet ne pas manquer d'humour en utilisant le subterfuge de l'élève écrivant une missive à son maître «Au maître Tanizaki, Respectueusement».
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Retour à Tanizaki, avec ce très bref recueil de la collection Folio 2 €, reprenant deux nouvelles (a priori de jeunesse, j'ai croisé la date de 1919 ici ou là) du fameux écrivain nippon, un des plus grands du XXe siècle – deux textes dans lesquels l'auteur de la Clef, entre autres merveilles, dissèque la passion amoureuse, avec ce petit quelque chose d'insidieusement pervers, en même temps que d'une immense élégance, qui me paraît, pour ce que j'en sais (c'est-à-dire fort peu...), caractéristique de son art ; à vrai dire, « ce petit quelque chose » n'est pas si petit, dans la nouvelle-titre en tout cas…



Mais le petit volume s'ouvre donc sur « La Complainte de la sirène », un conte très joliment traduit par Jean-Jacques Tschudin, Madeleine Lévy-Faivre d'Arcier s'étant pour sa part occupée du « Pied de Fumiko ». « La Complainte de la sirène », en fait de nouvelle japonaise, se situe presque intégralement en Chine, sous la dynastie Qing (1644-1912) – a priori à une date assez reculée, car il nous est dit que la dynastie était alors au faîte de sa gloire, et les Occidentaux peu présents dans le pays. Mais la précision n'a sans doute pas une grande importance en la matière, car le ton est donc celui du conte (« il était une fois » inclus), ou de la fable – et si le cadre chinois peut avoir quelque chose d'exotique pour l'auteur, le héros du récit, un prince d'une grande beauté, d'une grande fortune, et qui s'ennuie profondément, pourrait sans peine évoquer une sorte de Genji (rappelons que Tanizaki consacrerait beaucoup de temps, ultérieurement, à livrer une « traduction » en japonais moderne du chef-d'oeuvre de Murasaki Shikibu). de fait, ce prince est fatigué de la vacuité de sa débauche – il a longtemps prisé beuveries et coucheries, mais il est devenu las de toute cette médiocrité. Il cherche une femme qui saura susciter et entretenir sa passion amoureuse, mais, si les candidates sont nombreuses, aucune ne lui sied vraiment – il a déjà pour concubines sept des plus belles femmes de Chine, mais elles l'ennuient elles aussi.



Un jour, pourtant, un étranger venu de la lointaine Europe se rend auprès du prince, dont il a appris les ambitions frustrées, et prétend les satisfaire enfin en lui apportant la plus belle des créatures : une sirène ! le barbare a le bagout d'un escroc, mais son esclave paraît authentique. Sa beauté inhumaine est exactement ce dont le prince avait besoin. Mais c'est une créature d'une infinie tristesse, qui ne peut que se heurter au désir maladif de ce prince qui, une dernière fois, retrouve goût à la vie. le sort cruel de la sirène n'exclut pas une certaine cruauté de sa part à l'encontre du prince, qui perce sous une mélancolie commune et dès lors à même d'être partagée.



Cette trame, et ce d'autant plus qu'elle joue des outils du conte, ne présente rien de bien inédit. Pourtant, la nouvelle emporte la conviction, et à plus d'un titre. Ce qui m'a particulièrement séduit, ici, tient à des développements beaucoup moins attendus : ainsi, l'évocation de la beauté de la sirène entraîne, chez le barbare surtout, mais le prince s'y montre naturellement réceptif, un véritable discours esthétique, très enflammé, mais aussi joueur et pour partie au moins moqueur ou du moins ironique, qui offre comme un contrepoint mêlant sincérité et ironie au fameux essai de l'auteur qu'est l'Éloge de l'ombre, plus tardif à vue de nez – c'est à se demander ce qu'il faut vraiment prendre au sérieux… dans ces deux textes. Ceci d'autant plus que la confrontation du prince et du barbare débouche chez le premier sur une véritable fascination pour le lointain et exotique Occident – la sirène, en quelque sorte, n'est que le véhicule, même particulièrement outré, d'un désir du prince (et de l'auteur ?) d'en savoir plus quant à ce monde si différent du sien, et comme tel bien plus fascinant. On est probablement en droit de se demander, ici, ce qui relève des personnages et ce qui relève de l'auteur – Tanizaki, comme bien d'autres écrivains japonais de son temps, incluant Sôseki et Akutagawa, etc., révèle peut-être ici plus que jamais ce tiraillement obsédant, emblématique des intellectuels de Meiji et, peut-être surtout ? de Taishô. La sirène y est d'autant plus propice qu'elle évoque aussitôt, et pas seulement pour des lecteurs européens, car le marchand barbare joue pleinement de ces références, elle évoque aussitôt, donc, Andersen bien sûr, mais aussi, avec quelques accommodements de circonstance, Homère.



C'est ici, je crois, que réside la singularité de la nouvelle. Maintenant, elle brille aussi, comme de juste, par la forme : Tanizaki est un maître, et tout particulièrement en matière de descriptions – elles sont toutes d'une finesse exquise, d'une attention au détail peu ou prou unique, et suscitent des pages exprimant une beauté pure et pourtant teintée d'un soupçon de malaise, en plein accord avec la séduction quelque peu malsaine de la triste sirène.



Mais si « La Complainte de la sirène » séduit sous cet angle, « Le Pied de Fumiko », tout bonnement, stupéfie. C'est ce qui fait du premier de ces textes une bonne nouvelle, et du second un chef-d'oeuvre.



« Le Pied de Fumiko » narre la passion maladive et à terme fatale d'un vieil homme plus qu'un peu pervers, du nom de Tsukakoshi, pour sa jeune et belle maîtresse, ou, surtout, pour le pied de ladite. C'est une nouvelle sur un foot fetishist, en angliche in ze texte – un trouble répandu bien au-delà des seuls films de Quentin Tarantino (pardon). Mais elle adopte une forme très particulière – celle de la lettre écrite à Tanizaki himself par un jeune homme qui lui suggère de tirer une nouvelle de l'histoire authentique qu'il lui raconte, une nouvelle qui pourrait se montrer intéressante… le jeune homme est pourtant amené à rédiger lui-même une nouvelle, en fait de lettre.



Mais, surtout, il décrit avec un grand luxe de détails et une admirable adresse formelle (celle à n'en pas douter du Maître Tanizaki) la ronde de la perversion qui tourne autour du vieux Tsukakoshi. On ne s'étonnera guère de ce que Fumiko, ex-geisha plus qu'intéressée par la fortune de son « protecteur », fasse preuve à son encontre d'une certaine cruauté, au point du sadomasochisme d'une certaine manière, mais aussi en courant de nouveaux amants/protecteurs tandis que Tsukakoshi agonise – rassurez-vous cela dit, elle lui offrira en dernier recours la contemplation rapprochée de son pied de déesse…



Mais ce n'est pas ce qui prime, en fin de compte. Car, si la perversité du Retraité, ainsi que le désigne le jeune homme, paraît tout d'abord au centre du récit (et présage éventuellement des textes ultérieurs de Tanizaki, notamment le Journal d'un vieux fou), il apparaît bientôt que le jeune homme, peintre de son état (et à l'occidentale, même s'il est ici appelé à se pencher sur des estampes – là encore, on est tenté de voir un auteur entre deux mondes), ce jeune homme donc n'est pas moins un foot fetishist que son employeur et/ou mentor, outre que c'est lui aussi par intérêt, comme Fumiko, qu'il s'insinue dans le premier cercle des intimes du vieil homme malade – c'est après tout notre peintre, pas le Retraité, qui va, sur des pages et des pages d'une plume exquise, pousser l'habileté frappante de Tanizaki pour la description très minutieuse jusqu'à ses derniers retranchements, à l'extrême limite de l'absurde, manière étonnante de sublimer la beauté ; on reste bien dans le discours esthétique, en définitive, et la beauté de Fumiko est comme de juste renforcée par de menues imperfections, comme dans l'Éloge de l'ombre. Ceci, toutefois, le peintre l'accomplit censément pour honorer l'ultime commande de Tsukakoshi – qui entend reproduire avec Fumiko une saisissante et quelque peu acrobatique estampe de Kunisada mettant en valeur le pied de son modèle. de la sorte, Tanizaki, via son « correspondant », peint un tableau avec ses mots – et c'est très impressionnant, très fort, très beau, même si ces pages très joueuses confinent à l'exercice de style un peu moqueur sinon vain.



Mais peut-être que cela aussi doit être intégré dans cette ronde de la perversion ; qui, ici, mérite le plus d'être qualifié de la sorte : Tsukakoshi, Fumiko ? le peintre ? Tanizaki lui-même, qui joue à feindre de ne pas être l'auteur tout en se donnant du Maître et en brillant de mille feux à chaque page ? Son lecteur, jamais rassasié de détails infimes et de situations embarrassantes ? En dernier ressort, si tous ont quelque chose en commun, je tends à croire que c'est le désir vicié, pour ne pas dire le vice tout court. Et le délice qui va avec.



C'est merveilleux, admirablement écrit, admirablement traduit. « Le Pied de Fumiko » est une excellente nouvelle, et, oui, on peut la concernant parler de chef-d'oeuvre.



Une lecture hautement recommandable, donc, que ce petit volume. Et il me faudra encore poursuivre la découverte de l'oeuvre de Tanizaki, assurément.
Lien : http://nebalestuncon.over-bl..
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La relation troublante et quelque peu perverse d'un vieil homme pris de passion pour le pied d'une jeune et jolie geisha.
Un thème original sur le désir et le fétichisme des pieds ..un texte court mais beau en forme d'hommage au corps féminin avec de longues descriptions.
Le pied de Fumiko
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Citations et extraits (20) Voir plus Ajouter une citation
Or le talon d'O-Fumi-san était agréablement charnu, les cinq orteils accolés traçaient une sorte de m, formant un alignement aussi parfait qu'une rangée de dents bien plantées. Ces doigts de pied étaient si joliment agencés qu'ils semblaient découpés dans du shinko. Mais ces adorables ongles qui se trouvent à chacune de leur extrémité, à quoi devrais-je donc les comparer ? Je serais tenté de dire qu'ils ressembleraient à une rangée de pièces de go, mais ils avaient plus de lustre et de brillant, tout en étant beaucoup plus petits. Un artisan ingénieux aurait peut-être obtenu un résultat d'une somptuosité comparable s'il avait découpé et poli la nacre de l'huître perlière et, après l'avoir effilée, l'avait plantée dans le shinko à l'aide de petites épingles. A chaque fois qu'il m'est donnée d'admirer de pareilles beautés, je me dis en aparté que le créateur manque grandement d'équité dans ses différentes réalisations d'êtres humains. Les ongles "poussent" chez l'homme comme chez les animaux. Mais ceux des pieds d'O-Fumi-san semblaient "incrustés". C'était bien cela : chacun de ses orteils était pourvu d'un joyau. En arrachant de ses pieds les doigts et en les enfilant, on obtiendrait un collier magnifique, digne d'une reine.
Ses deux pieds, qu'ils foulent négligemment le sol, ou qu'ils soient posés nonchalamment sur le tatami, procuraient à eux seuls une émotion esthétique pareille à celle qu'on éprouve en face d'un édifice des plus majestueux.
De surcroît le tronc déséquilibré et prêt à tomber était soutenu par le seul pied gauche, tout le poids de la jambe se portant sur le pouce de toute sa force appuyé sur le sol. C'est pourquoi la peau du pied, tendue du talon aux cinq doigts, se contractait comme saisie de froid. (Il peut paraître étrange de parler d'expression à propos d'un pied, mais pour ma part, je pense qu'un pied n'est pas moins expressif qu'un visage. J'ai le sentiment que l'on peut reconnaître une femme passionnée ou une personne froide et cruelle à l'impression produite par son pied.) Le sien faisait penser à un petit oiseau effrayé qui gonfle ses poumons, replie ses ailes et se prépare à l'envol. Le talon en forme d'arc bandé étant retourné, on pouvait voir la chair délicate et fragile de la plante tout entière. Les doigts, recroquevillés, semblaient un alignement de coquillages.
Quant à l'autre pied, soulevé au-dessus du sol par la main droite, il offrait une expression toute différente. Je dirais que son pied "riait" - idée difficile à comprendre pour le commun des mortels. Même vous, Maître, vous secouez sans doute la tête d'étonnement. Pourtant, je ne trouve aucun autre terme que "rire" pour rendre compte de l'expression du pied droit.

Extrait de "Le pied de Fumiko"
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"Malgré la chaleur de mon sang et le bouillonnement tumultueux de mes sentiments, ma peau reste inexorablement sous l'emprise de ce froid terrible. Aussi, même lorsque le hasard me fait croiser un homme séduisant, cette misérable condition de sirène que me vaut mon karma m'interdit-elle à jamais de l'aimer.
"La malédiction des dieux m'a ravalée au rang de poisson vivant sous les eaux, c'est pourquoi, quelle que soit la passion que j'éprouve pour vous, je ne peux que souffrir mille tourments, esclave de mes fantasmes débridés, affolée par les flammes de la concupiscence. Ô prince ! Laissez-moi retourner à ma demeure marine, aidez-moi à échapper à cette honte et à cette détresse. Cachée sous les flots bleus et froids, je parviendrai sûrement à oublier les rigueurs de mon pitoyable destin. Si vous daignez prêter une oreille compatissante à ma demande, alors pour vous remercier, j'exécuterai sous vos yeux une démonstration de mes pouvoirs magiques."

Extrait de "La complainte de la sirène"
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"De surcroît, en Europe, sans aller jusqu'à être des sirènes, de nombreuses femmes s'inspirent de leur mieux du charme qu'elles dégagent, et ont aussi, ne serait-ce que partiellement, quelque chose de leurs yeux bleus, de leur peau blanche et de leurs membres bien proportionnés. Si vous avez peine à me croire, regardez donc, je vous en prie, les traits de mon visage et la couleur de ma peau. Tout natif des pays occidentaux, fût-il aussi indigne de considération que moi, possède inévitablement, quelque part en lui, une noblesse et une élégance du même ordre que celles de la sirène."
Le prince était incapable de réfuter ces propos, car il s'était depuis le début rendu compte de la ressemblance qu'il y avait, comme venait de le dire l'étranger, entre les traits de son visage et ceux de la sirène. Certes le degré de fascination lui-même différait, mais tout comme il était sous le charme de la sirène, il n'en était pas moins considérablement attiré par la physionomie de l'étranger. Bien que l'homme n'atteignit ni la perfection ni la beauté délicate de la sirène, il y avait en lui les possibilités latentes d'y accéder un jour. Et comparé aux êtres habitant en pays chinois, avec leur peau jaune et leur visage sans relief, il donnait l'impression d'être somme toute une créature d'une race proche de celle des sirènes.
Alors que les Occidentaux couraient les océans du monde sur leurs petites embarcations, les peuples de l'Orient étaient restés jusqu'à cette époque persuadés que l'étendue de la terre était, au même titre que celle du temps, chose sans limites, et considéraient qu'une pérégrination terrestre de mille ou de deux mille lieues était une entreprise presque aussi difficile que de vivre une période de cent ou de deux cents ans. Aussi le jeune noble, éduqué comme il l'avait été dans un grand pays d'Asie, n'avait-il jamais songé, malgré sa soif extrême de connaissances, à franchir les mers pour aller là-bas, sous les cieux lointains du Ponant, voir cette Europe qu'il imaginait être une contrée barbare habitée de serpents et de démons. Mais, maintenant qu'il avait eu pour la première fois de sa vie un contact personnel avec un Occidental, qu'il l'avait écouté attentivement parler de son pays natal, il ne pouvait rester indifférent plus longtemps :
"Mais j'ignorais que ce qu'on appelle l'Occident fût une région si belle et si noble ! Si les hommes de ton pays ont tous une figure aussi auguste que la tienne, et si les femmes de ton pays ont toutes la peau aussi blanche que celle de la sirène, quelle terre pure, quel paradis adorable doit être l'Europe ! Je n'ai plus rien à faire ici, en Chine, alors je t'en prie, emmène-nous dans ton pays, moi et la sirène ! Et là-bas, introduis-nous parmi la race supérieure qui y réside. Plutôt que rester prince et finir mes jours à Nankin, je préfère tomber parmi la racaille et mourir dans ton pays ! Je t'en prie, écoute ma requête et emmène-moi sur ton bateau !"

Extrait de "La complainte de la sirène"
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Le coeur du jeune prince semblait avoir été d'emblée impressionné par la physionomie de l'étranger, et cela avant même qu'il se fût fait montrer la sirène. Jusqu'alors, il avait toujours cru que ces créatures appelées "Occidentaux" étaient des sauvages à demi civilisés, mais plus il scrutait le visage de ce barbare aux allures de mendiant, et plus il y découvrait une noblesse et une autorité qui lui donnaient le sentiment d'être en quelque sorte dominé. Les prunelles vertes de l'inconnu invitaient son âme vers des profondeurs infinies semblables à celles des mers tropicales couleur de saphir. D'ailleurs, avec ses sourcils bien dessinés, son front large et sa peau au teint de lait, son visage était incomparablement plus régulier et plus raffiné que celui du jeune noble, tout convaincu qu'il eût pu être de la beauté de ses propres traits, sans compter une richesse d'expression capable de montrer toutes les nuances des sentiments les plus complexes.

Extrait de "La complainte de la sirène"
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Or, le talon d'O-Fumi-san était agréablement charnu, les cinq orteils accolés traçaient une sorte de m, formant un alignement aussi parfait qu'une rangée de dents bien plantées. Ces doigts de pied étaient si joliment agencés qu'ils semblaient découpés dans du shinko. Mais ces adorables ongles qui se trouvent à chacune de leur extrémité, à quoi devrais-je donc les comparer ? Je serais tenté de dire qu'ils ressemblaient à une rangée de pièces de go, mais ils avaient plus de lustre et de brillant, tout en étant beaucoup plus petits. Un artisan ingénieux aurait peut-être obtenu un résultat d'une somptuosité comparable s'il avait découpé et poli la nacre de l'huître perlière et, après l'avoir effilée, l'avait plantée dans le shinko à l'aide de petites épingles.

[shinko : radis blancs confits dans la saumure et qui servent d'accompagnement au riz]
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Vidéo de Junichirô Tanizaki
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