Nicolas Combet

Comme cela avait été le cas au cours de toute sa vie, ce à quoi elle tenait plus que tout était de respecter ses parents, ce qu'ils lui avaient offert, sa vie, son corps, l'amour, ce lieu. Aussi, toute sa vie durant, ses choix avaient été orientés par une boussole aimantée sur ce qu'elle savait ou croyait savoir du désir que ses parents avaient laissé, en mourant, continuer à être à travers elle. Ainsi, c'est avec ces questions qu'elle avait avancé : qu'est-ce qui est le plus juste que je fasse pour eux, quelle forme ma vie doit-elle pendre pour les respecter ? Alors quand Anselme lui fait sa proposition, elle ne se demande même pas ce qui serait le plus juste pour elle, ce qui lui paraît juste ni ce qui lui plairait; non, elle veut savoir ce qui est juste qu'elle fasse sachant qu'elle est la fille que ses parents ont voulu mettre au monde, lui confiant la mission d'en prendre soin, de cette vie, de cette maison et de la vie dans son tout, alors la question n'est pas de savoir ce qu'elle voudrait, ce qu’elle pourrait vouloir, mais bien, au fond, ce qu'il faut.

Un jour, Paul fait un immense plaisir à Viviane : déviant de la route habituelle, déjouant, en minaudant, les plaintes de son épouse qui veut arriver à la maison et faire pipi, Paul l’emmène à Durtal. Ici, dans le couvent qui accueillait des Bénédictines depuis quelques trois cents années, la seule tante de Viviane, la seule sœur de sa mère, est en train de finir ses jours après tant d’années qu’elle a vouées au service de son dieu. Incidemment, quelques temps auparavant, Viviane avait évoqué devant Pau la joie qu’elle aurait à revoir sa tante avant que celle-ci ne les quitte – sans oser le réclamer.
Ce détour que Paul avait orchestré deviendrait un des piliers de leur relation, et Paul, qui est mécréant et indifférent à l’endroit de la religion, s’est alors taillé la réputation d’un oblat au sein de ce couvent. Viviane, quant à elle, lui en serait redevable longtemps et, alors qu’elle serait agacée et abattue, il lui arriverait de caresser ce souvenir pour supporter les peines du présent. Lors de leur visite, qui aura précédé de peu le dernier souffle de sœur Eugénie, Viviane aura trouvé dans le regard voilé de cataracte de sa tante une telle plénitude, une telle douceur, un tel accomplissement qu’il lui permettra de supporter bien des épreuves.

Parce qu'on a un lieu qui est toute sa vie et celle de ses parents et des grands parents aussi, on est due entière à cet endroit, on ne peut pas faire n'importe quoi avec, ça peut pas partir n'importe où. Mais d'un autre coté, qui sera là, après, dans quoi on continue après qu'on a cessé d'être ? C'est peut-être bien cet endroit que je serai pour toujours ?