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René L. F. Durand (Autre)
EAN : 9782070372485
192 pages
Gallimard (16/12/1980)
3.89/5   76 notes
Résumé :
Les données historiques qui servent de point de départ à ce roman - la révolte des Noirs de Saint-Domingue, suivie de l'exil des colons à Santiago de Cuba ; le gouvernement du général Leclerc, beau-frère de Napoléon ; le surprenant royaume noir de Henri-Christophe - ne doivent pas nous égarer sur son véritable sens. C'est une chronique par certains côtés ésotérique sur quoi plane l'atmosphère maléfique du Vaudou. Mac-kandal, le sorcier manchot, envoûte tous les anim... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (15) Voir plus Ajouter une critique
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Ca lui a pris 16 ans a Alejo Carpentier pour publier un deuxieme bouquin. Au premier abord le lecteur peut penser qu'il poursuit la meme veine (s'il n'a pas lu l'introduction-manifeste et s'il ne sait pas qu'entretemps il a desavoue son premier livre, Ekoue-Yamba-O). Mais tres vite les differences sautent aux yeux. Je dois avouer que j'y etais prepare d'avance, sachant deux ou trois choses sur Carpentier. Dans Ekoue il narre le destin tragique d'un noir cubain, l'innocent Menegildo Cue, s'appuyant sur des descriptions ethnographiques de coutumes et cultes importes d'Afrique. Dans le royaume de ce monde il utilise des descriptions semblables pour perfiler le devenir de tout un territoire, Haiti, dans une vision liberationniste de son histoire. Il depasse le "negrisme" decoratif.

A travers le personnage de Ti Noel, un esclave qui s'affranchira, le livre suit les differentes phases de la lutte de liberation haitienne. Et leurs different leaders, eleves ici au niveau de heros mythiques. le manchot Mackandal, meneur du premier soulevement (en 1757, j'ai fait mes recherches), Bouckman qui dirige la deuxieme vague de la revolte (1791), et enfin le roi noir Henri Christophe (1807-1820).

L'auteur est present. Il se veut la conscience lucide de son personage, Ti Noel, qui après avoir toute sa vie admire et aide les differents insurges, voit un roi noir devenir le plus cruel des despotes ramenant de facto dans l'ile un esclavage pour tous, ne laissant d'autre issue qu'une nouvelle revolte sanglante, de noirs contre d'autres noirs negriers. Mais le dernier chapitre ne s'intitule pas pour rien Agnus Dei, agneau de Dieu, figure du sacrifie pour le bien des autres, de tous. La marche de l'histoire fait des meandres mais elle a quand meme un sens et une raison.

C'est après une visite a Saint Domingue et Haiti en 1943, ou il sera impressionne par les restes de la citadelle de la Ferriere et du chateau de Sans Souci, que Carpentier entreprend l'ecriture de ce roman. C'est un des precurseurs du nouveau roman historique latino-americain. Precurseur aussi et surtout du nouveau realisme magique, que dans son introduction programmatique il appelle "real maravilloso". Ce "reel merveilleux" est selon lui un trait caracteristique de l'histoire americaine (et pas seulement latino-americaine).

Après toutes ces palabres, est-ce-que l'auteur a rempli son contrat? Eh bien, ce fut pour moi une lecture tres agreable. le style est tres baroque, rythme et precieux a souhait, mais je garderais l'adjectif merveilleux pour d'autres qui l'ont suivi, Asturias, Garcia Marquez, et j'en oublie…

3 etoiles? Plutot 4!
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Un roman court, mais rempli de révolte, de fureur et de maléfices!
Dans le Royaume de ce monde, rien ne change pour Ti Noël, hors les maîtres qui fouettent, punissent et exécutent.
Les noirs se soulèvent, la révolte est réprimée et ça recommence!
Les nouveaux maîtres, noirs puis métisses se révèlent pires que les colons blancs... Leurs sinistres appétits exacerbés par l'humiliation passée, et brutalement stoppés par de nouvelles révoltes!
Ti Noël suit le mouvement, de chaos en chaos, dans ces tableaux à la démesure de la folie avide de ceux qui détiennent le pouvoir.
Ti Noël, esclave perdu aux dés, à Santiago de Cuba par son maître...
Ti Noël qui redevient esclave, pour avoir voulu retrouver la terre de son premier maître!
... Comme si le balancier de l'horloge de ce Royaume n'en finissait pas de revenir au même point.
Un roman court, beau, puissant et lancinant comme ces tambours qui résonnent de plus en plus forts et obsédants au fur et à mesure qu'ils approchent.
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Court roman, le Royaume de ce monde du grand prosateur Alejo Carpentier propose une fiction historique ébouriffante basée sur le processus d'indépendance d'Haïti (Saint Domingue à l'époque).
Mettant en scène l'histoire de l'hégémonie coloniale Blanche du point de vue de la communauté des esclaves Noirs, l'auteur revisite furieusement et de façon ouvertement romancée l'élan historique de la transition d'Haïti de l'esclavage vers l'émancipation et de la colonie vers la république : de la première grande révolte d'esclaves en 1791, jusqu'à la révolution de 1804 et la déclaration d'indépendance d'Haïti, première république Noire, le tout sous l'égide des idéaux émancipateurs de la Révolution française.

Carpentier utilise à merveille l'antagonisme culturel et religieux entre les deux communautés comme catalyseur des secousses historiques haïtiennes : la culture et la religion européennes des élites dominantes, statiques, voire conservatrices, et celles dynamiques des esclaves dominés et invisibles, chaque communauté proposant une lecture contradictoire de l'Histoire. Brouillant la frontière entre évènement historique et surnaturel, mobilisant des causalités irrationnelles pour dire L Histoire, ce dynamisme du sacré, constant dans la littérature de Carpentier, se déploie dans une suite de métamorphoses, rituels ancestraux, mythes et personnages historiques revisités, et illustre une thèse majeure de l'auteur : la puissante vigueur du prodigieux.

Dans le royaume de ce monde, l'auteur expose également avec brio un thème qui lui est cher parce que prégnant sur tout le continent latino américain, dans son histoire comme dans son identité : le syncrétisme culturel d'une part (largement étudié par l'anthropologue cubain Fernando Ortiz et ses analyses sur la transculturation que Carpentier connaît bien), et acculturation d'autre part.
C'est sur fond de ce panorama que ce roman évoque la stabilité des structures dominantes coloniales qui réaffirment les privilèges et les exclusions et que les révoltes et les républiques ne modifient pas : les mulâtres républicains haïtiens prendront le pouvoir et domineront à leur tour. Pour Carpentier, tout renversement historique n'est qu'un conflit d'intérêt où la place dominante est à saisir au détriment des dominés, la couleur de peau devenant bien plus un déterminant social et culturel que racial. Alejo Carpenier développe ici la même vision historique que dans son ouvrage le siècle des Lumières : L Histoire comme chaos infernal infiniment répété dans lequel bouleversements et révolutions entraînent les hommes. Mais Carpentier offre à l'humain une issue possible à cette fatalité de la condition humaine : persister dans ce désir sauvage d'exister et "d'aimer au milieu des fléaux".

Enfin, et je terminerai par une idée centrale évoquée dans le prologue de l'auteur (dans la version originale de son édition) : "la chronique de l'Amérique n'est rien d'autre que la chronique du réalisme merveilleux". Carpentier instaure, dans une prose ciselée et virtuose, un langage singulier en connectant baroque et réalisme magique, comme voie privilégiée pour rendre compte des réalités latino-américaines.
Lien : https://tandisquemoiquatrenu..
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El Reino de Este Mundo
Traduction : René L.-F. Durand

ISBN : 9782070372485

Paru en 1954, ce court roman d'Alejo Carpentier (qui avait du sang breton par son père) se lit sans aucune difficulté et ravirait sans nul doute les Sopo et CRAN de notre triste époque si l'auteur ne gardait pas ses distances par rapport à l'influence du sang blanc dans les veines des indigènes de Saint-Domingue et de Haïti.

Car le thème du roman, c'est bien sûr l'exploitation coloniale, par les Français, de l'île d'Hispaniola, découverte par Colomb et ses Espagnols. Au début, mis à part les natifs, l'île, qui ne formait alors qu'un seul territoire, constituait un excellent repaire pour les flibustiers et frères de la côte, qui y venaient aussi chasser le boeuf sauvage et se ravitailler. Tout cela dura à peu près jusqu'en 1700, date à laquelle les colons français obtinrent de désarmer les pirates. Leur rêve : développer une économie de plantation de canne à sucre et, en 1720, Saint-Domingue (ou Hispaniola, comme on voudra), francisation du nom espagnol de l'île, devient bel et bien le premier producteur de canne à sucre. Malheureusement, elle va devenir aussi, en très peu de temps, l'une des plaques tournantes de la traite occidentale des Noirs et de l'esclavage.

De nos jours, Hispaniola se compose de Saint-Domingue, à l'ouest de l'île, et de Haïti, à l'est. Deux républiques indépendantes et aussi tourmentées l'une que l'autre.

Carpentier en donne une image de la fin du XVIIIème siècle, alors que la tonitruante Révolution française pointe le bout de son nez - révolution à laquelle d'ailleurs participera l'île. Ce sont des scènes, des images-choc (enfin, c'est ainsi que je l'ai perçu), sans véritable intrigue classique, le point important rejoignant le grand problème actuel qui agite Tahiti à chaque changement de gouvernement : celui des métis.

Maintenant que les Blancs se sont retirés, Haïti-St Domingue ont retrouvé leurs propriétaires légitimes : les Noirs. Seulement voilà, dès le XVIIIème siècle, les métis avaient commencé à prendre le dessus. Et nul n'ignore que l'on reproche suffisamment à une certaine "élite" métisse de confisquer tous les postes et de créer les dictatures comme celle de Duvalier.

Il eût été facile pour Carpentier d'accuser le sang blanc, mêlé au sang noir, d'être seul responsable des malheurs de St-Domingue et d'Haïti. Mais l'homme, qui n'était pas encore ministre plénipotentiaire de Cuba, était fin et, surtout, cherchait une explication qui fût à la fois le plus exacte possible et tînt compte de la réalité humaine, au-delà de la couleur de peau. S'il déplore le métissage, il en arrive très vite à la conclusion qu'une société multiculturelle est impossible sans celui-ci. Si c'est pour donner de tels résultats, autant rester avec des colons esclavagistes - et pourtant Dieu sait si ceux-ci n'étaient pas tendres avec leurs bétail humain.

Bref, c'est le serpent qui se mord la queue ...

Et quand la Révolution débarque à Hispaniola, eh ! bien, les métis se glissent tout simplement à la place des Blancs et ne sont guère plus miséricordieux envers les véritables autochtones. Dictature (déjà), émeutes, bains de sang ... et effondrement de la dictature qui sera remplacée par une autre ou par un autre régime guère plus mirobolant. Bref, les métis imitent en toute tranquillité les colons français (et anglais) et méprisent leurs frères dont un sang uniquement noir coule dans les veines.

Curieux, non ? ...

Mais, dans le fond, très humain. La fièvre du pouvoir, celle de l'or et celle de la corruption ne possèdent, pour leur part, aucune couleur de peau bien précise : elles sont universelles.

Prétendre que la corruption s'installe avec Le Blanc ? C'est risqué et Carpentier n'a pas cette sottise. Les Blancs n'étaient pas tous des brutes et Carpentier le sait. Comme il sait que le maître du "Royaume de ce monde" - il faut lire l'exergue - n'est autre qu'un démiurge, génial sans doute mais que nous appelons aussi Satan. le Seigneur de la Matière gouverne le Royaume de ce Monde : le Christ Lui-même l'a dit. Et le Diable peut se glisser sous n'importe quelle peau ...

"Le Royaume de Ce Monde" en est une preuve brillante, solidement argumentée, un peu trop fragmentée à mon goût, mais qui révèle un penseur et un écrivain sincères, qui fait son métier d'écrivain : chercher la Vérité sans céder à la facilité.

Signalons pour finir que viennent ensuite "Le Partage des Eaux" et enfin "Le Siècle des Lumières." Nous en reparlerons. Pour l'instant, jetez toujours un coup d'oeil sur "Le Royaume de Ce Monde" et, si vous en avez le temps, venez nous dire ce que vous en aurez pensé. ;o)
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Un aperçu de la révolution Haïtienne vu par Ti Noël, un esclave baignait par les légendes africaines. Mais faut-il vraiment s'arrêter à cette première lecture ?


Ti Noël est un esclave sans espoir dont la vie est conditionnée par les désirs de son maître, grand propriétaire d'origine française sur l'île de Saint-Domingue. Les saisons passent. Ti Noël travaille, courtise les filles et surtout écoute Mackandal, le sorcier qui conte les histoires du pays de l'autre côté de l'océan où les rois noirs sont bien plus forts que les rois blancs, où les Dieux des éléments sont bien plus puissants que le Dieu des chrétiens. Mais la révolte gronde. Lorsque les blancs comprennent que les tambours ne sont pas que des toiles tendues, que les poulets ne sont pas destinés à l'alimentation, que la langue n'est pas seulement un moyen de communication, il est trop tard : les esclaves se rebellent contre les maîtres. Ti Noël doit suivre le sien qui fuit pour Cuba et observe sa déchéance avant d'être à nouveau vendu. Bien des années passent avant qu'il puisse devenir libre. Il décide de retourner sur les terres de sa jeunesse. Sur le chemin du retour, il tombe sur les troupes du roi Christophe. Ti Noël n'en croit pas ses yeux : un roi noir à la tête d'une cour peuplée de ministres et nobles dames noirs ! Sa désillusion est pourtant rapide : il redevient esclave. Pire encore. Esclave de sa propre race ! Mais comme pour les chefs blancs, les jours du roi sont comptés. Ti Noël se retrouve libre. A la fin de sa vie il s'interroge sur son parcours et celui de la destinée humaine. Et s'il était téméraire de vouloir chercher le paradis terrestre ?


Roman intéressant avec pleins d'ouvertures mais beaucoup trop court, laissant le lecteur partir dans mille directions pour n'aboutir à aucune. C'est certainement un style d'écriture mais personnellement, cela m'a laissé sur ma faim. Et garder un dictionnaire sous la main pour approfondir les évènements du livre en cours de lecture n'est pas spécialement ce que j'attends d'un roman. Dés le départ, nous sommes plongés dans l'action. Pas de présentation de lieux, de dates ou de personnages. Juste un esclave et son maître. Une action en cours qui donne l'impression d'avoir manqué quelques chapitres. Puis le roman prend forme mais toujours avec des évènements décrits d'une façon directe. Pas de fioritures, pas de poésie. Les légendes sont guerrières, les dieux sont vengeurs. La vie des blancs et celle des esclaves est esquissée en quelques lignes. Idem pour le vaudou. On le sent très présent dans la vie quotidienne mais avec cette impression d'arrière plan. Puis, tout à coup, le livre prend une nouvelle direction. Nous abandonnons Ti Noël pour rejoindre Pauline Bonaparte en route vers les Antilles avec en tête le roman "Paul et Virginie". Idem pour la fin de vie de la première reine d'Haïti. Je n'ai pas très bien compris ces digressions. Nous finissons toujours par revenir à Ti Noël, dont les années passent en spectateur contemplant les différents acteurs de la scène politique de l'île : le gouvernement des blancs royalistes, celui des noirs rebelles et enfin celui des mulâtres républicains. Donc beaucoup de personnages, de lieux et d'évènements qui sont survolés ce qui empêchent de vraiment d'approfondir chaque détail. J'attendais de ce livre un dépaysement et j'ai simplement une impression d'être passée à côté d'un livre initiatique où tous les évènements ne sont que pistes pour atteindre un but simplement visible par l'initié. Bien que les pistes soient plus claires à la fin, même si je n'ai pu m'empêcher de penser " Ah c'était donc ça la morale", c'était trop tard pour apprécier totalement ce roman. C'est donc un avis en demi-teinte qui me reste.
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Citations et extraits (7) Voir plus Ajouter une citation
Il comprenait à présent que l'homme ne sait jamais pour qui il souffre ou espère. Il souffre, et il espère et il travaille pour des gens qu'il ne connaîtra jamais, qui à leur tour souffriront, espéreront, travailleront pour d'autres qui ne seront pas heureux non plus, car l'homme poursuit toujours un bonheur situé au-delà de ce qui lui est donné en partage. Mais la grandeur de l'homme consiste précisément à vouloir améliorer le monde, à s'imposer des tâches.
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[...] ... Exaspérés par la peur, ivres de vin parce qu'ils n'osaient plus toucher l'eau des puits, les colons fouettaient et torturaient leurs esclaves, en quête d'une explication. Mais le poison continuait à décimer les familles, tuait bêtes et gens, sans que les prières publiques, les conseils des médecins, les promesses aux saints, ni les formules inefficaces d'un marin breton, nécromancien et rebouteur, pussent arrêter la marche souterraine de la mort. Avec une hâte bien involontaire de venir occuper la dernière fosse au cimetière, Mme Lenormand de Mézy mourut le dimanche de la Pentecôte, quelques instants après avoir mordu à une orange particulièrement belle qu'une branche complaisante avait mise à portée de sa main. L'état de siège avait été proclamé dans la Plaine. Tout individu surpris dans les champs ou au voisinage des maisons après le coucher du soleil, était abattu à coups de mousquet sans préavis. La garnison du Cap avait défilé par les chemins, ridicule menace de mort contre l'insaisissable ennemi. Mais le poison n'en arrivait pas moins jusqu'aux bouches par les voies les plus inattendues. Un jour les huit membres de la famille Du Périgny le trouvèrent dans une barrique de cidre qu'ils avaient transportée de leurs mains de la cale d'un bateau ancré quelques jours plus tôt. La charogne était maîtresse de toutes la contrée.

Un soir où on le menaçait de lui allumer une charge de poudre dans le derrière, le Foula cagneux finit par parler. Le manchot Mackandal, devenu houdan du rite Rada, tombé en possession de plusieurs Dieux Majeurs, et de ce fait investi de pouvoirs extraordinaires, était le Roi du Poison. Doté de la suprême autorité par les Mandataires de l'Autre Rive, il avait proclamé la croisade de l'extermination. C'était lui l'élu, chargé d'en finir avec les Blancs et de fonder un grand empire de Noirs libres à Saint-Domingue. Des milliers d'esclaves lui étaient attachés. Personne n'arrêterait plus la marche du poison. Cette révélation provoqua dans l'habitation une tempête de coups de fouet. A peine la poudre allumée de pure rage eut-elle trouvé les intestins du nègre bavard, un messager fut envoyé au Cap. Ce même soir, on mobilisa tous les hommes disponibles pour donner la chasse à Mackandal. La Plaine, toute puante de charogne, de sabots mal brûlés et de vermine, s'emplit d'aboiements et de blasphèmes. ... [...]
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[...] ... Le gouverneur entrouvrit le hamac pour contempler le visage de Sa Majesté. D'un coup d'épée, il coupa un petit doigt et le donna à la reine qui le mit dans son sein, d'où il glissa vers son ventre, tel un ver aux froides contractions. Puis, obéissant à un ordre, les pages placèrent le cadavre sur un tas de mortier : il s'y enfonça lentement, par le dos, comme s'il eût été tiré par des mains visqueuses. Le cadavre s'était arqué un peu pendant l'ascension, ayant été ramassé tiède encore par les serviteurs. Aussi son ventre et ses cuisses disparurent-ils les premiers. Les bras et les bottes continuèrent à flotter, indécis, dans la grisaille du mélange. Puis il ne resta plus que le visage, supporté par le fond du bicorne qui couvrait la tête d'une oreille à l'autre. Craignant que le mortier ne se durcît sans avoir complètement absorbé la tête, le gouverneur appuya sa main sur le front du roi pour l'enfoncer plus vite, comme quelqu'un qui aurait pris la température à un malade. Enfin, la masse se referma sur les yeux d'Henri Christophe, qui poursuivait à présent sa descente au coeur même d'une humidité qui se faisait moins enveloppante.

A la fin, le cadavre s'arrêta, ne faisant qu'un avec la pierre qui l'emprisonnait. Après avoir choisi sa propre mort, Henri Christophe ignorerait la pourriture de sa chair confondue avec la matière même de la forteresse, inscrite dans son architecture, intégrée dans la large structure de ses contreforts. La montagne du-Bonnet-de-l'Evêque s'était transformée tout entière en mausolée du premier roi d'Haïti." ... [...]
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Là-bas, en revanche, le Grand Là-Bas, il y avait des princes durs comme l'acier, des princes, tel le léopard, des princes qui savaient le langage des arbres, des princes qui commandaient aux quatre points cardinaux, maîtres de la nuée, des semences, du bronze et du feu.
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En Afrique, le roi était guerrier, chasseur, juge et prêtre ; sa précieuse semence engrossait des centaines de ventres d'où naissait une vigoureuse lignée de héros. En France et en Espagne, en revanche, le roi envoyait combattre ses généraux ; il était incompétent dans le réglement des procès, se faisait rabrouer par le premier moine venu, son confesseur, et en fait de virilité se contentait d'engendrer un prince malingre, incapable de tuer un cerf sans l'aide de ses veneurs, à qui on donnait, inconsciente ironie, le nom aussi inoffensif et frivole que le dauphin.
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