Shâb ou la nuit
(
Cécile LADJALI)
Un beau moment de lecture en tournant les pages de cet ouvrage publié par
ACTES SUD : une histoire d'adoption.
Adoption réussi en quelque sorte puisque des liens d'amour très forts entre la fillette abandonnée rebaptisée Cécile et ses parents adoptifs… avec la mère, Jeannine, surtout.
Réussie aussi puisque à la mort de Jeannine, Cécile renoue avec sa mère biologique Massoumeh, l'iranienne et accepte ses deux ascendances.
Elle évoque ainsi le voile porté lors d'un séjour en Iran et qu'elle tient à garder dans l'avion qui la ramène en France :
« … j'étais à la fois française et iranienne. Pour la première fois les deux identités étaient compatibles et cela à la faveur d'un morceau de tissu… »
Au-delà des relations qui peuvent se nouer de façon plus ou moins chaotiques entre adopté et adoptant – ici, « j'estimai que mes parents s'en étaient bien tirés », dit l'auteur – on débouche sur cette quête identitaire que provoque une adoption.
De qui est-elle vraiment l'enfant, la petite fille « typée » qui se sent différente des autres puisqu'elle n'est pas issue du ventre de sa mère ? Hiatus d'identité qui grève souvent le développement de l'enfant adopté.
Il est certain que dans la vie physiologique de notre corps, les origines biologiques sont primordiales. Et quelle est la part des données génétiques dans notre inconscient, par exemple ?
Comme ses parents adoptifs, Cécile s'en sort bien puisqu'elle s'épanouira à son tour dans une vie de femme, de mère. Et c'est l'écriture qui joue un rôle essentiel dans cet équilibre trouvé. L'écrit qui lui permettra, toute jeune encore, de rompre avec la solitude et le silence:
« Écrire. le projet n'était pas encore clair, mais mon engagement total dans la lecture finit par créer un mouvement double et l'envie irrésistible de m'essayer à l'écriture, s'insinua. »
Comme je comprends et partage ce cheminement ! Et c'est cette foi en l'écriture qui m'a fait apprécier le roman de
Cécile LADJALI. J'aime beaucoup cette réécriture littéraire d'une existence simplement décrite, sans outrance, ni haine. Ses parents adoptifs (comme la majorité des parents) ne sont pas des héros et leur histoire est banale, tissée d'élans de générosité et de lâchetés ordinaires. Chez Robert surtout, qui a rejeté, occulté même la composante « algérienne » de sa famille.
Quant à la mère biologique, Massoumeh, elle n'est ni « salope », ni « victime » ; elle mène une vie parallèle à celle de la petite fille qu'elle a abandonné afin de lui permettre une existence plus facile. Elle a d'autres enfants et sa relation avec Cécile s'achève lorsque naît Violette, la fille de Cécile.
L'importance des mots, ceux qu'on laisse venir du plus profond de soi-même et leur mise en littérature sont omniprésentes dans ces pages. En témoigne cette anecdote de l'auteur qui révèle une distorsion de la réalité à propos de la mort de son père.
« J'avais donc omis l'événement, menti, procédé à des coupes sombres pour avoir moins de peine en me souvenant »
La grâce…
(
Monique MERABET, 16 Février 2014)