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Minnie Danzas (Traducteur)
EAN : 9782020418775
632 pages
Seuil (30/12/2000)
3.85/5   143 notes
Résumé :
Que signifie V. ? Victoire, vol d'oiseaux, ou encore Vheissu, un pays imaginaire et mystérieux ? C'est la question que se pose Herbert Stencil depuis qu'il a repéré le fameux signe dans le journal intime de son père défunt. Très vite, V. devient une énigme aux nombreuses significations, une figure féminine aux multiples visages, la clé de voûte de la vaste réalité. Un récit vertigineux, dans le sillage de Kerouac et Joyce.


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Si V. démarre gentiment par les aventures d'un brave serin, Benny Profane, ancien matelot, désormais «travaillant au hasard de la route », et qui, de passage à Norfolk, État de Virginie, le soir de Noël 1955, «docile à ses impulsions sentimentales», eut envie de retourner se payer une bonne cuite à La Tombe du Marin, « vieux caboulot de son temps de mataf», ne vous méprenez surtout pas, cher lecteur, installez-vous bien, rajustez au besoin vos lunettes ou l'éclairage de la pièce où vous vous trouverez et..attachez vos ceintures!

Car ce tout premier noyau narratif à la tonalité délicieusement «melvillienne» ne tardera pas à être introduit par l'auteur dans une sorte de tunnel accélérateur de particules littéraires, provoquant des collisions retentissantes entre les genres les plus fondamentaux du roman, créant au passage des ondes de choc aspirant visiblement à isoler autant que faire se peut l'unité ultime de cette nébuleuse romanesque hautement radioactive: l'élément subatomique V. !

De Norfolk, Profane s'embarque au bout de quelques jours pour New York, entraînant dans son sillage Paola Maijstral, jeune barmaid qu'un des anciens copains de l'équipage du contre-torpilleur USS Scaffold retrouvés à La Tombe du Marin le soir de Noël, avait épousée et ramenée de son île natale, Malte.
Profane et Paola seront accueillis au sein de la Tierce des Paumés, groupe assemblant une faune d'artistes et d'intellectuels d'avant-garde new-yorkais et y rencontreront à l'occasion Herbert Stencil, fils d'un espion anglais disparu mystérieusement à Malte en 1919, au moment des révoltes de juin contre l'administration britannique.
Dans le journal intime laissé par son père, des propos énigmatiques autour de V. («Il y a plus derrière V. et dans V. qu'aucun de nous n'a jamais soupçonné») avaient précipité Stencil, dès 1945 et la fin de deuxième grande guerre, dans une quête éperdue, à travers l'Europe et jusqu'en Amérique, de tout indice susceptible de le conduire à pénétrer l'épais mystère autour de V. et de son lien avec la disparition de son père.

Impossible de résumer ce qui se déroulera par la suite dans cet ovni littéraire pan-genré qu'on pourrait volontiers comparer à un immense miroir télescopique orienté vers l'imaginaire occidental contemporain, cherchant à le traduire et à le transcrire en de sinueuses longueurs d'onde fictionnelles allant du visible à l'infrarouge. Et qui, encore de nos jours, à bientôt une soixantaine d'années de sa publication reste d'une actualité absolument renversante!

Plus de 150 personnages nommés, un espace-temps fait d'aller-retour constants, "yo-yotisé" en époques et en décors très divers (L'Egypte, durant la crise de Fachoda - incident diplomatique entre la France au Royaume-Uni à la fin du XIXème siècle ; puis dans une Florence souterraine, hantée par des complots politiques, par l'espionnage international et par un banditisme de haut vol, dont un projet mirobolant de soustraire la (V)énus de Botticelli aux Offices ; en l'Afrique du Sud, au moment du génocide atroce des hereros en 1922 ; dans le New-York beatnik survolté du milieu des années cinquante, ou bien à Malte, où britanniques et américains stationnent en pleine crise de Suez, en 1956...). D'une créativité et d'une originalité époustouflantes, composé d'une somme faramineuse d'éléments historiques et de connaissances dans les domaines les plus divers, d'une richesse sémantique spectaculaire (bravo à Minnie Danzas pour cette superbe traduction française !), visionnaire à multiples titres (la dictature de l'apparence et de la chirurgie esthétique, la robotique et le transhumanisme, ou encore la mercantilisation néo-libérale envahissante, transformant peu à peu «le vif en l'inanimé », les êtres et les pratiques humaines en marchandises codifiées et interchangeables...). Bref, V. risque de donner le tournis, et de nous mettre ko, sur le tapis !
Ce n'est pas bien-sûr, vous l'aurez peut-être déjà compris, un roman qu'on dévore, mais plutôt un roman qui dévore son lecteur.

Faux roman d'espionnage, faux roman d'idées politique, pseudo-roman mystique, à la fois satire féroce et récit poignant de la fureur destructrice qui traverse le siècle, déjouant avec application tout effort du lecteur à saisir complètement et de manière univoque les enjeux de son intrigue -«la sinistre logique qui semble ordonner les évènements»-, V. est un piège littéraire très efficace qui se referme progressivement et finit la plupart du temps par assujettir ses lecteurs, grâce à un étrange pouvoir machiavélique de persuasion... À en croire des témoignages, un certain nombre parmi ceux-ci, complètement à bout de nerfs, arriveraient toutefois à s'en défaire tant bien que mal avant terme, non sans avoir parfois parcouru préalablement quelques centaines de pages (390 pages (!) dans un cas extrême porté à ma connaissance) et souvent après moult hésitations et regrets...

Amis lecteurs, ce livre aux pouvoirs méphitiques peut donc vous être fortement déconseillé.
Notamment, dirais-je, à ceux qui se savent d'emblée rétifs à toute rencontre en littérature entre le baroque et le fractal, ou encore à l'exercice de style, largement pratiqués ici. J'insiste, car malgré toutes les précautions qu'on pourra adopter avant d'éventuellement l'ouvrir, ce livre risquera toujours de vous coller fortement à la peau et à l'esprit.
Comment expliquer, autrement, qu'un roman ainsi constitué, fourni à plus de 600 pages bien tassées, classé dès le départ comme une oeuvre «post-moderne», ambitieuse, exigeante, étant premier opus d'un auteur inconnu de 26 ans qui, de surcroît, refusait de se faire connaître et d'en faire la moindre promotion, se soit écoulé au moment de sa parution à près d'un million d'exemplaires ?
Des années plus tard, et après avoir subi une campagne de traque particulièrement sauvage de la part des grands médias et de paparazzis de tous bords, Thomas Pynchon, concédant enfin à accorder au compte-gouttes quelques interviews afin de faire baisser de temps en temps la pression, reviendra lors d'une de ses interviews, donnée en 2008, sur le succès commercial inexpliqué de V. : «Il est d'ailleurs étonnant de voir à quel point la détestation du marketing dans laquelle je me tiens ressemble fort à une communication réussie. Sans bouger le petit doigt médiatiquement parlant, j'ai l'impression de susciter autant d'envie et d'interrogations que si j'avais un équipe entière de spin doctors pour travailler à mon image : ça en dit long sur la compétence des communicants ! Enfin, je me comprends... »

Depuis 1963, date de la première édition de V., des millions de lecteurs à travers le monde n'auront cessé de se demander ce qui se cache derrière V. Les indices étant multiples, le nombre d'hypothèses qui en découlent n'est pas aisé à répertorier : initiales d'une femme, d'une contrée inexplorée, d'une formule hermétique, d'une arme fatale.. ? Nombreux sont les personnages féminins de V. dont le nom commence par la lettre «v» (Victoria, Veronica, Viola, Vera...), de lieux géographiques, réels ou mythiques (La Valette, le Venezuela, Vheissu...). Quelle serait sa nature : être animé, chose inanimée (les armes V de Hitler, les «Vergeltungswaffen», par exemple), fait concret ou abstraction?
Absolument aucun indice, fourni séparément, aucune hypothèse isolée avancée par le récit ne réussiront à embrasser la totalité de ce qui se cacherait derrière V. Aucune des pistes, en revanche, ne sera non plus totalement exclue d'y jouer un rôle important, complémentaire ou accessoire.

Ainsi, V. serait plutôt à l'origine d'un système signifiant étendu, d'un «pays de coïncidences régi par le gouvernement du mythe». Son sens ne cessera de glisser et de polariser les forces en jeu dans la construction de l'intrigue, sans que l'on puisse l'enfermer dans une définition unique et réductrice.

Ce qui l'intéresse en littérature, precise Pynchon ce n'est pas tant la réalité, qui «n'est que l'écume des choses». "Je travaille quant à moi, poursuit-il, sur la tectonique de l'inconscient collectif, les temps géologiques de la modernité».

V. constituerait donc en quelque sorte un point névralgique permettant, par un tour de passe-passe littéraire, à la fois d'ouvrir le réservoir et de faire émerger cette matière fossile collective, à l'état brut, tout en l'ordonnant sans pour autant l'enfermer complètement dans une signification univoque. (Ce à quoi l'homme paraît s'entêter depuis toujours, cherchant, pour le meilleur et pour le pire, à accorder un sens hiérarchique et rassurant au monde qui l'entoure, et susceptible de justifier aussi, individuellement ou collectivement, ce qu'il peut y avoir à la fois de plus noble et de plus terrifiant derrière ses pensées ou ses actes!!!). Les délires interprétatifs paranoïaques et les théories du complot en sont de belles illustrations de ce phénomène.
Toujours selon Pynchon : «La paranoïa est le mode d'accès le plus gratifiant à la réalité, la théorie à minima de la réalité, c'est pour cela qu'elle a autant de succès chez les schizophrènes et les hommes politiques.»

V. pourrait également occuper à un autre niveau d'analyse (pas moins farfelu pour autant, direz-vous peut-être ! - si jamais vous me lisiez encore à ce stade...) une position assimilable à ce que, cet aujourd'hui quasi-excommunié et, il est vrai, souvent abscons, Jacques Lacan, avait autrefois appelé le « signifiant maître » du langage («Le Nom-du-Père ») : signifiant nodal autour duquel tous les autres signifiants de la langue s'organiseraient, clé de voûte de l'ordre symbolique du langage et, par conséquent, de la pensée que ce dernier est censé conditionner et structurer, car, toujours d'après Lacan, le langage structure la pensée, et non l'inverse ...

[ En vous priant de m'excuser pour la digression, je ne peux pas m'empêcher en l'occurrence, dans une association totalement libre d'idées, de me dire que le personnage de Herbert Stencil reçoit V. en héritage de son père, parmi les traces laissées par ce dernier, "disparu" (son journal intime), qu'il essayera obsessionnellement de remonter tout au long du roman. D'autre part, le mot «stencil» signifie à la base «papier paraffiné servant à reproduire la copie d'un modèle»... !!].

Enfin, quant à la force dynamique faisant tourner l'Univers, et à la temporalité réglant le cours de l'Histoire, ces dernières sembleraient pouvoir être tout à fait assimilées à celles d'un....yo-yo !!
«Flip-flop», «set-reset», «cool-dingue», «vif-inanimé», «gloire-décadence», ou par exemple, la société Yoyodyne, empire industriel spécialisé dans la fabrication de toupies-gyroscopes s'étant orienté par la suite vers les équipements militaires de contrôle et de guidage au sol (!), font partie des nombreuses références "yoyotiques" qui traversent le roman. Certains passages de V. renvoient par ailleurs ouvertement à l'hypothèse selon laquelle, depuis la nuit des temps et en attendant que le soleil s'éteigne, l'humanité, plutôt que d'avancer sur le modèle d'une «spiralité historique» ne fait, en réalité, que du surplace...!
C'est ainsi aussi que le «galvaudage» préféré de la bande de beatniks de la Tierce des Paumés, sera le «yo-yoting », jeu d'endurance consistant à faire le plus grand nombre de fois possible, en métro et en état de totale ébriété, le parcours aller-retour, de haut en bas, de la ville de New York, le règlement stipulant qu'il faut néanmoins pouvoir «se réveiller au moins une fois par trajet»!

«Si l'on observe de biais une planète oscillant dans son orbite, si on fend le soleil en deux à l'aide d'un miroir et qu'on imagine une ficelle dans l'espace, l'ensemble évoque un yo-yo. le point le plus éloigné du soleil s'appelle l'aphélie. le point le plus éloigné de la main actionnant le yo-yo s'appelle, par analogie, l'apochéirie.

V.'oilà, V. est à mon sens une v.'éritable expérience intégrale de lecture, difficilement explicable! Destinée de préférence, donc, à un lectorat a priori disposé à se laisser égarer sans trop rechigner dans ses dédales somptueusement yoyotés, à la fois vertigineux et sublimes, souvent aussi érudits que, in fine, déjantés.

À des lecteurs, pourquoi pas, un petit peu, eux aussi, jocrisses sur les bords, capables à l'image de certains de ses personnages, de se dire tranquillement en lisant et relisant une séquence que, finalement, peu importe s'il s'agit de «souvenir, cauchemar, récit ou divagation».
Ou, à l'occasion, d'aller caresser certain chat sans se sentir pour autant obligé de savoir avec certitude s'il est là ou pas là, voire les deux en même temps!

Qui peut le savoir ? Qui pourrait prétendre tout savoir? Ne serait-il possible, comme affirmait encore une fois ce fou de Lacan dans l'un de ses plus mémorables jeux de mots, que justement les «Non-Dupes Errent»?

:-)

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Bien que moins connu que J. D. Salinger, l'auteur de L'Attrape-Coeurs, Thomas Pynchon est souvent cité parmi ces auteurs "reclus", qui fuient les interviews et les photographes : né en 1937 dans l'Etat de New-York - il aura donc 80 ans l'an prochain -, les seules photos de lui que l'on connaît datent de l'époque de sa jeunesse. Toutefois, s'il a vécu tout aussi discrètement que Salinger, il fut plus prolifique que lui puisqu'il a publié à ce jour 8 romans (contre 2 seulement pour l'auteur de L'Attrape-Coeurs), le dernier en date, Fonds perdus, ayant été publié en 2013 (2014 pour la traduction française). Par ailleurs Pynchon n'est pas un adepte de la concision : mis à part "Vente à la criée du lot 49", tous ses romans font plus de 400 pages et trois d'entre eux frôlent ou même dépassent allègrement les mille pages dans l'édition française. Quant à V., son premier roman, publié aux États-Unis en 1963 et en France en 1985, il fait 632 pages dans l'édition française dans la collection Points.

Intrigué par la réputation sulfureuse de l'auteur, et par ce titre réduit à une seule initiale accompagnée d'un point, j'avais acheté ce livre il y a plus de 10 ans maintenant. Un jour j'en avais parcouru une trentaine de pages et déconcerté par son style, je l'avais laissé de côté. Il y a deux semaines, j'ai pensé que le moment était venu de ressortir ce livre de ma PAL et de lui donner une seconde chance. Pour être franc, au bout d'une centaine de pages, j'étais tout aussi perdu que la première fois et j'en voulais à cet auteur de nous plonger dans ce maquis de phrases et de personnages sans boussole, ni plan, ni manuel de survie. L'auteur lui-même comprenait-il ce qu'il écrivait ou bien, comme c'était assez courant parmi les auteurs des années 50-60, notamment ceux de la "beat generation", écrivait-il sous l'influence de psychotropes ? Je me fixais comme objectif d'atteindre la page 200, estimant qu'être parvenu à ingurgiter un tiers de ce roman me donnerait une certaine légitimité pour pouvoir en parler, ne serait-ce que pour décrire mon échec.

Il s'est alors passé un phénomène que je n'espérais plus : je commençais peu à peu à "reconnaître" certains personnages, au moins trois ou quatre d'entre eux parmi la petite centaine qui proliférait dans les cinq ou six premiers chapitres, certains d'entre eux ne m'étaient plus totalement indifférents (mon intérêt était néanmoins assez ténu à ce stade), je me mettais à corner une page ici, puis une autre vingt pages plus loin. Un vague structure romanesque émergeait peu à peu de cet enchevêtrement de mots qui semblaient au départ avoir été jetés là par hasard. Par ailleurs, la richesse du vocabulaire de l'auteur, sa maîtrise de la syntaxe m'impressionnaient : si Thomas Pynchon était un imposteur, ou un emmerdeur, ou bien les deux à la fois, il montrait ici qu'il savait écrire et qu'il maniait la langue comme un petit nombre seulement d'écrivains savent le faire.

Ce fut donc sans trop me faire violence que je poursuivis au-delà des 200 pages, sans être toutefois assuré d'arriver jusqu'au bout. Ce fut pourtant ce qui arriva : oui, j'ai lu V. en entier, sans sauter un seul paragraphe, ni même une seule phrase, et en étant souvent amené à relire toute une page pour tenter d'en comprendre le sens ou seulement une bribe de sens. Car il me bien l'avouer maintenant : arrivé à la fin du roman, beaucoup de choses restent pour moi très confuses, voire complètement obscures. Pourtant, vers le milieu du livre, j'ai commencé à rechercher des éclaircissements sur la toile et je suis tombé sur quelques sites qui m'ont été très utiles, en particulier le Wiki initialisé par Tim Ware (http://v.pynchonwiki.com/wiki, en anglais), un web designer et grand fan de l'oeuvre de Thomas Pynchon. Ce site répertorie la plupart des noms propres (personnages historiques ou fictifs, lieux géographiques, etc.) présents dans le livre et en donne une brève description, ce qui est particulièrement utile pour se repérer dans la jungle des personnages qui circulent dans le roman. Il comporte même quelques conseils de lecture (à suivre ou pas) notamment pour les "newbies". Il existe sur la toile des sites ou des forums pour lecteurs plus aguerris mais je ne m'y suis pas aventuré.

Il est manifeste que Pynchon joue à brouiller les pistes, à désorienter ses lecteurs sans doute pour rendre plus désirable aux yeux de certains ce qui semble hors de portée du plus grand nombre. Cette attitude est bien en cohérence avec le mode de vie qu'a choisi Pynchon. On a donc à faire avec un livre-rébus ou un livre-labyrinthe. Sur une vue en coupe, ce labyrinthe a une forme de V. L'un des branches du V se passe au présent (en 1956) et est celle de Benny Profane, un ex-soldat de la marine (comme Pynchon lui-même) qui se définit comme un "jocrisse" ("schlemihl" en anglais, le mot est un des leitmotiv du livre) qui ne fait pas grand-chose de sa vie mais qui nous emmène à sa suite, dans les rues, les bars et les appartements de New-York, suivre la vie d'une cohorte de paumés, ces "paumés du petit matin" comme les chantaient Jacques Brel. L'autre branche du V se déroule dans le passé, celui de Sidney Stencil, espion britannique et Herbert, son fils. Cette branche du V nous plonge au coeur d'évènements historiques peu souvent relatés comme le massacre de la tribu des Hereros en Afrique du Sud-Ouest en 1904 par les troupes allemandes sous le commandement du général von Trotha ou bien le siège de la Valette (île de Malte) pendant la seconde guerre mondiale, avec le rôle stratégique qu'a eue cette île dans la défaite des troupes de l'Axe en Afrique du Nord. A quel endroit et de quelle façon la branche de Profane rencontrera la branche de Stencil, cela est une des énigmes du livre.

Rassurez-vous : je n'ai dévoilé ici qu'une infime partie des mystères que révèle ce livre. le "V." du titre, dont Stencil-fils recherche la signification tout au long du livre est le fruit d'un grand nombre d'hypothèses, non seulement dans le livre mais chez ses lecteurs et on peut souligner cet exploit de Pynchon d'avoir écrit un livre dont on discute encore de la signification plus d'un demi-siècle après sa parution.

Mais au fond, facéties et énigmes mises à part, de quoi veut nous parler Thomas Pynchon ? D'une part il est bien le témoin de son époque (les années d'après-guerre) avec un langage destructuré, éclaté (avec une accumulation de jeux de mots) pour traduire des trajectoires personnelles, elles aussi déstructurées et déjantées; en cela, il se situe dans la continuité des écrivains de Beat Generation ou des romans existentialistes comme L'écume des jours de Vian par exemple. D'autre part, désabusé par le monde d'après-guerre qui s'est retrouvé confronté à la guerre froide et aux guerres de décolonisation, il semble à la recherche d'une philosophie de l'histoire qui rende compte de cette désillusion. Tout le roman est placé sous le signe de la lutte de l'inanimé contre le vivant. La vie se robotise, l'homme abandonne son libre-arbitre à la machine, la machine quant à elle se voit doter de fonctionnalités la rendant plus humaine... François Monti sur le site web du Fric Frac Club (http://www.fricfracclub.com/ffc/thomas-pynchon-v-1) rattache cette vision au mouvement "luddiste", mouvement né en Angleterre en 1811-1812 lorsque des groupes d'ouvriers du textile se mirent à casser des machines qui leur prenaient leur job ou faisaient baisser les salaires. de nos jours un "neo-luddisme" dénonçant l'emprise toujours plus forte de la technologie sur nos vies, prend de l'ampleur.

Un autre auteur, Pierre Chevalier, a publié en 2005 dans la revue "Les temps modernes" un article (1) donnant une lecture sartrienne du roman de Pynchon. Je recommande cette lecture même si l'on a des réserves sur la philosophie de Jean-Paul Sartre car l'article donne un éclairage très intéressant sur le roman et sur la vision du monde qu'il véhicule (y compris dans la perspective de romans plus récents de l'auteur comme L'Arc-en-ciel de la gravité ou Vineland). P. Chevalier voit Pynchon, ou du moins Sidney Stencil, l'espion gentleman, comme un tenant de la philosophie analytique, cherchant la cause ultime de l'enchaînement des catastrophes de l'histoire. Wittgenstein, une des figures tutélaires de cette école de pensée est d'ailleurs cité en allemand dans V. : "Die Welt ist alles was der Fall ist" (première proposition du Tractatus Logico-Philosophicus : "Le monde est tout ce qui arrive"). Cette vision du monde (dont Wittgenstein lui-même, dans une deuxième période, celles des Investigations philosophiques, a voulu s'éloigner) conduit à une totalité figée, à un Zéro final de l'Histoire ("zéro" auquel conduit aussi la vision de l'Histoire comme processus entropique, autre version de l'approche historique de Stencil). Au contraire la philosophie existentialiste échappe à cet enfermement par la dialectique et la "liberté" dont l'homme peut se saisir. Ainsi P. Chevalier peut-il décrire "l'ensemble des chapitres historiques de V. comme un vaste catalogue de moments antidialectiques" et expliquer ainsi le sentiment de désespoir profond qui semble étreindre tout ce livre.

Ces quelques lignes ne rendent sûrement pas justice à cet article très fouillé et à la connaissance très fine de l'oeuvre de Pynchon qu'il manifeste. Heureusement, l'éditeur des Temps modernes a eu la généreuse initiative de mettre les archives de la revue en libre accès, vous pourrez donc trouver l'article en suivant le lien que j'ai mis en référence.

Au delà (ou plutôt en deçà) de ces considérations philosophico-historiques, V. est un livre où les hommes et les femmes vivent, s'empoignent, baisent, déambulent, se font refaire le nez, chassent les alligators dans les égouts, cambriolent le cabinet d'un dentiste, se bourrent (très souvent) la gueule, tombent malades... C'est frénétique et désordonné, comme les molécules d'un gaz dans un bocal. Peu de sentiment dans ce livre, voire pas du tout. Les rares déclarations d'amour semblent vouées à l'échec à peine sont-elles proférées. Les femmes sont ou bien des putains ou bien inaccessibles. Il ne s'en faudrait pas beaucoup pour que, faute de trouver la raison qui fait se conduire ainsi les hommes, on n'en conclue que la Femme (eVe ?) soit responsable de tout ce "merdier". Pynchon ne va pas jusque là mais j'ai trouvé son roman assez misogyne, en plus d'être particulièrement désespérant.

Si vous m'avez suivi jusque-là vous vous demandez peut-être si cela vaut le coup ou pas de lire ce livre. Pour ma part, même si je reconnais bien volontiers que Pynchon est un véritable écrivain, d'une érudition confondante, avec un style et un univers très personnel, je trouve que l'univers de V. est trop glaçant pour moi, que ça manque de fraternité, d'humanité, d'empathie. Des mots qui ne figurent sûrement pas dans son vocabulaire ou alors ce serait avec une ceinture d'explosifs autour. Mais peut-être que je n'ai pas bien su déchiffrer le code. Donc je vous laisse vous faire votre propre opinion ...

1. Chevalier Pierre, « Thomas Pynchon, un aventurier américain de la dialectique », Les Temps Modernes 4/2005 (n° 632-633-634) , p. 522-556
URL : www.cairn.info/revue-les-temps-modernes-2005-4-page-522.htm.
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Le toujours aussi hystériquement monumental premier roman de Pynchon.

Publié en 1963 (et traduit en 1967 en français chez Plon, dans une traduction de Minnie Danzas, légèrement revue pour la réédition au Seuil en 1985 - traduction dont je reparlerai un peu plus loin), le premier roman de Thomas Pynchon fait beaucoup mieux que résister à sa troisième lecture (une première fois en français en 1990, une deuxième fois en anglais en 1996, et maintenant, donc). Avec l'effet rétrospectif de rigueur, il confirme son statut de monument et d'annonce de monuments à venir.

Une trame narrative presque impossible à décrire, qui déroute d'ailleurs souvent les primo-lecteurs de Pynchon, un foisonnement de personnages, de langages, de situations, d'objets, de symboles réels ou fictifs, tout cela accompagne, au long des délectables 630 pages, la quête insensée du jeune Stencil, citoyen britannique parlant de lui-même à la troisième personne et tentant de découvrir, dans les années 50, le sens de quelques lignes mystérieuses du journal intime de son père, mort dans de troubles circonstances à Malte en 1919.

"Avril 1899. Florence. Personne n'aurait soupçonné qu'il pût y avoir autant de choses derrière V., et dans V. Qui est V. ? Ou plutôt qu'est-ce que V. ? Dieu veuille que rien ne m'oblige jamais à apporter une réponse à cette question, que ce soit ici, ou dans quelque rapport officiel que ce soit."

Ainsi lancé aux trousses de la chimère ultime, Stencil entrera en trajectoire de télescopage jubilatoire (on peut ici employer sans retenue le terme parfois un rien galvaudé) avec une joyeuse bande de clochards célestes new-yorkais (Pynchon n'a jamais caché sa dette à l'égard de Kerouac) en quête d'amour et d'alcool, oscillant entre free jazz, sauvages bordées de marins militaires et ex-militaires, chasse aux crocodiles dans les égouts, entretiens historiques, émaillés d'innombrables flashbacks où tournent notamment le père de Stencil et le mystère V., entre Florence, Malte, Alexandrie, et même le Sud-Ouest Africain, parmi les nostalgiques de la féroce répression du général allemand von Trotha, en 1904, le tout pourtant souvent placé sous l'illustre patronage des guides des voyageurs de la Belle Époque, Cook et Baedeker.

Même si la traduction française, souvent décriée par les exégètes, pèche en effet par les nombreuses limites lexicales observables chez Minnie Danzas (le traitement de l'argot spécifique des marins américains, par exemple, peut faire largement sourire ou profondément agacer, selon l'état d'esprit du lecteur - et sa tendance à "lisser" les différences de registre, qui sont au contraire un des ressorts de l'écriture pynchonienne, est bien dommageable), "V." demeure un très grand livre, tourbillonnant, polyphonique et endiablé, qui à lui seul justifie déjà cette curieuse dénomination de "réalisme hystérique" forgée par le critique James Wood, et fait bien d'emblée de Pynchon, entre autres ferments généalogiques, le digne et bakhtinien héritier rénovateur de Rabelais et de Sterne.

Indispensable, vous l'aurez compris.
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Pour découvrir Pynchon il faut admettre que toutes les bases littéraires que l'on à , que toutes les constructions de livres que l'on connait , que tout cela n'existe plus .
Pynchon invente des univers , des mondes en décalage complet avec la réalité .
Dans ce premier opus , il invite le lecteur à voyager avec le personnage principal à la recherche de V , qui est multiple et qui est incarné par une pléthore de personnages au fur et à mesure du livre .
Cette histoire à une logique , que Pynchon réserve à ceux qui auront accompli l'intégralité du voyage qu'il propose.
Ce livre il faut aller le chercher , ce n'est pas un reportage de TF1 ou une ineptie de bfmtv , c'est l'une des pièces majeures du nouveau roman américain , et on lui doit le respect qu'elle mérite .
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Appréhender l'univers de Pynchon s'apparente à cartographier avec précision un pays depuis la station ISS. Vous pouvez en délimiter les contours, la forme (le roman) mais ce qui est des particularités précises et discrètes, vous les pressentez, les théorisez, mais sans jamais réussir à l'affirmer avec certitude et encore moins à les révéler. Car chez Pynchon il y a un art de l'esquive, d'un tout qui invariablement est voué à vous glisser entre les doigts, ne vous laissant en tout et pour tout qu'une impression, une sensation. À l'image de ”Vheissu” dans son roman, vous ne pourrez jamais découvrir quel est ce pays. Au mieux une vague localisation, pléthore de fantasmes et pas mal de terreur, voilà tout ce que peut-être Vheissu pour vous le lecteur. Tout comme cette Terra Icognita, V de Pynchon n'en dit jamais vraiment son fond et persiste à seulement vous faire ressentir son univers : le nôtre.

L'énigme Pynchon fascine, mais plus que l'auteur son oeuvre semble être un gouffre sans fond avec pour tout indication sa réputation figurant en gros inscrit sur un panneau, au bord du précipice. Ici point de Virgil pour vous guider, l'écriteau le dit très clairement “ici, abandonnez tout espoir”. Aborder ses livres, c'est accepter de ne pas tout comprendre, que cela fait même parti de l'oeuvre, comme si nous prenions l'histoire en cours de route. Il y a un devoir de résilience, un contrat avec l'auteur, celui de devoir sans cesse reconsidérer l'histoire la réinterpréter au fil des événements, des protagonistes que nous croisons, et qui dans ce joyeux foutoir, laisse percevoir par petite touche une strate plus profonde qui ne pourra que vous dérouter ou vous frustrer. C'est un jeu, celui de la vie, de notre époque et de notre société.

Dans son incipit de ” l'enquête infinie” de Pacôme Thiellement (PUF éditions), l'auteur dit :
” le problème de ce monde, c'est qu'on y est entrée comme dans une histoire qu'on a attrapée en cours de route, une histoire dont on a raté le début. Et on passe notre vie à ramer comme des dingues pour rattraper ne serait-ce que le synopsis des épisodes précédents. C'est d'autant plus compliqué que, non seulement cette histoire nous est arrivée incomplète et remplie d'incohérences, mais régulièrement, les événements qui composent l'arc narratif principal, et dans lequel nos vies se retrouvent malgré elles impliquées, changent de sens. ”

De ce constat sur notre réalité, il est alors facile d'extrapoler cette appréciation pour l'univers du premier roman de Thomas Pynchon écrit en 1963. le tout jeune romancier, n'étant pas encore le mythe que l'on connaît. Alors âgé de 26 ans, il se lance avec ambition et brio après s'être fait la main sur quelques nouvelles (que l'on retrouve dans le recueil « L'homme qui apprenait lentement ») et quelques articles. Un roman qui dans sa genèse même contribue d'ores et déjà au mythe. En premier lieu par son aspect total et sans concession, semblant cryptique, mais toujours sur la brèche de la grande révélation. Ensuite, il apparut qu'il existait plusieurs versions du roman. Cette particularité fut expliquée par le fait que l'auteur continua à retoucher son roman après sa première publication.

Si vous ajoutez cela au mythe d'un auteur qui s'évertue à n'être qu'une sorte de fantôme médiatique dans une période où l'Amérique en pleine mutation après le récent assassinat de JFK, entrait dans une forme de schizophrénie entre pleine désillusion du monde moderne et de la conquête spatial comme promesse d' un avenir radieux, il apparaît dès lors comme une sorte d'électron libre venant sacrément titiller les biais de confirmation de certains, voyant en lui un artiste visionnaire, là où d'autre salut le talent de conteur sans équivalence « post-moderne » comme dans le New York Times, George Plimpton qualifia Pynchon de “jeune écrivain aux promesses stupéfiantes”, louant son “style vigoureux et imaginatif”, son “humour robuste” et son “énorme réservoir d'informations”.

V, pour faire au plus simple et sommaire, car nous sommes confrontés à la quasi-impossibilité de faire un résumé exhaustif, s'intéresse au parcours de Benny Profane d'un côté, un ancien marine, dans ses dérives New-Yorkaise, en compagnie d'une bande d' artistes et joyeux drilles : la tierce des paumés. En parallèle, nous suivons la quête d'un certain Herbert Stencil. Il parcourt le monde pour découvrir qui, ou quoi, se cache derrière l'énigmatique « V » apparaissant dans plusieurs coins du monde durant différentes périodes proches de notre époque. le roman s'évertuant à nous balader géographiquement et historiquement, il se permet ainsi de nous confronter aux différents événements impliquant « V », En Egypte, à Manhattan, en Italie, en Namibie ou encore à Malte dans une relecture plutôt cinglante de la fin du dix-neuvième siècle jusqu'aux années cinquante. Les petites histoires qui ont engendré la grande Histoire en quelques sortes. Ajoutez à cela le fait que nous croisons au moins cent cinquante personnages, et que chaque personnage est signifiant, à sa manière. Vous devez commencer à sentir l'ambition qui se cache derrière.

« V » aurait pu être sous-titré “un roman du bruit et du secret”. Il y a cette omniprésence dans le livre de Thomas Pynchon, comme une fil rouge voulant souligner la frénésie d'une époque, un bruit de fond constant, ça chante, il y a des sirènes, des cris, des rires, des bruits de bouteilles, le bruit de l'eau, etc… Tout le temps à chaque instant, le silence devenant le grand absent. Un peu comme si l'auteur avait voulu en faire un personnage d'arrière-plan, mais présent dans chaque scène, ainsi malgré la solitude de certains personnages, nous ne pouvons que constater qu'ils s'inscrivent dans un échec à s'extraire de cette société pour être pleinement ce qu'ils devraient incarner dans leur figure archétypale.

L'autre versant passionnant est le secret, au-delà de « V » et de l'énigme qu'incarne cette lettre durant tout le récit, le sceau du secret, des conspirations, des non-dits semblent omniprésents jusque dans les rapports humains les plus simples. Cette particularité donnant une constante sensation de décalage avec le réel, comme un rêve éveillé quasi-permanent. Là aussi, les personnages ne semblent pas appartenir au monde, malgré leur présence physique dans ce dernier. À ce propos, il est intéressant de souligner que Profane se définit comme un Jocrisse, une sorte de bouffon au théâtre. L'auteur pose ainsi le constat de la vacuité de nos existences et de l'illusion d'une certaine forme de libre arbitre, là où finalement la grande marche du monde nous dicte comment avancer. Une lecture du monde contemporaine nous confrontant tous à notre part de Benny Profane, avec un constat que nous sommes, in fine, tous et toutes des Jocrisses.

Le tout imposant un sentiment commun que nous pouvons ressentir aussi bien individuellement que collectivement. « V » est parcouru d'une certaine forme de nostalgie. Mais là aussi bien réel, elle ne s'implique pas dans une vérité factuelle, mais dans des témoignages qui donnent une certaine idée d'une époque. Comme un jugement passé sous le moulinet de nos biais et de la déception de notre monde moderne. Stencil, s'obstinant à trouver le trésor ou la boite de pandore « V », Profane déplorant la vacuité de sa vie présente, etc… Tout tourne autour du passé, alors que ce dernier, dans les chapitres revenants sur différentes périodes tranche par sa brutalité et sa fatalité contrastant cruellement avec le spleen ambiant des personnages.

« …et il semblait bien que c'était aller nulle part, pourtant il en est parmi nous qui ne vont nulle part, mais qui peuvent se monter la tête au point de croire qu'ils sont quelque part : c'est une espèce de talent, et rarement contesté, mais à ce titre même, sujet à caution. »

Enfin « V », dans sa grande symbolique et pour revenir sur cette idée, s'esquive même dans sa forme narrative. L'illusion de « V » comme promesse de chemins qui converge, mais qui finalement ne font que se croiser temporairement. Sans vous gâcher le plaisir de lecture, « V » n'est pas le roman, « V » est l'illusion qui fait avancer l'histoire, mais qui échoue à éclater au grand jour, car le roman dans sa forme finale est tout autre.

« V » s'impose par sa démesure et son ambition. Il impressionne par son foisonnement, rien n'est jamais gratuit, chaque phrase se retrouvant comme une exploration des possibles, synthétisant une idée, apportant une digression ou un regard sur une époque ou un fait. « V » impressionne d'autant plus, car remis dans son contexte, le roman est l'oeuvre d'un auteur d'à peine 26 ans et qu'il s'agit là de son tout premier roman. Il serait mesquin de vous dire que le roman est facile à aborder. Il s'avère plutôt exigeant, il demande un certain investissement de la part du lecteur. Car « V » se mérite très clairement. Mais si vous lui accordez cette implication, alors le roman dans sa générosité et bien malgré son esquive permanente, se montrera généreux avec vous.
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Citations et extraits (26) Voir plus Ajouter une citation
"Le tissu de l'histoire contemporaine, songeait Eigenvalue, doit être tout en fronces, si bien que pour les gens qui, comme Stencil, se trouve au creux d'une de ces fronces, il est impossible de discerner la chaîne, la trame ou le motif de l'ensemble. Néanmoins, le seul fait d'exister au creux d'une fronce fait supposer d'autres fronces semblables, chacunes enfermanée dans un cycle sinueux, et l'on en vient à prêter à ces cycles une importance plus grande encore qu'au tissage proprement dit et l'on abolit toute idée d'unité. C'est ainsi que nous sommes charmés par ces automobiles si drôles des années trente, par la mode si curieuse des années vingt, par les étranges pratiques morales de nos grands-parents. Nous sommes producteurs et spectateur de comédies musicales, dont ils sont les héros, et nous nous laissons embringuer dans une fausse représentation et une nostalgie bidon de ce qu'ils ont été. Et, conséquement, nous somme fermés à toute notion de tradition continue. Si nous avions vécu sur la crête de la vague, il en aurais été autrement. Au moins, nous aurions pu voir."
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D’une façon ou d’une autre, tout cela était lié à une histoire qu’il avait entendue autrefois, une histoire où il était question d’un homme qui se balade avec une vis d’or à la place du nombril. Pendant vingt ans il consulte donc, à travers le monde, des médecins, des spécialistes, afin qu’ils le débarrassent de cette vis, et toujours sans succès. Un jour enfin, à Haïti, il rencontre un docteur vaudou qui lui donne une potion malodorante. Il la boit, il s’endort et il rêve. Il rêve qu’il est dans une rue éclairée de lampes vertes. Alors, suivant les instructions du médecin-sorcier, il tourne deux fois à droite et une fois à gauche, depuis son point de départ, découvre un arbre près du septième réverbère, tout couvert de ballons multicolores. Sur la quatrième branche à partir du sommet, il y a un ballon rouge ; il le casse et trouve à l’intérieur un tournevis au manche de plastique jaune. Au moyen de ce tournevis, il retire la vis de son ventre et, aussitôt, il se réveille. C’est le matin. Il porte son regard sur son nombril: la vis a disparu. Enfin la malédiction de vingt ans est levée ! Délirant de joie, il bondit hors du lit. Son cul se détache et tombe.
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Le désert envahit la terre de l'homme subrepticement. Celui-ci n'est pas fellah, mais il possède tout de même un bout de terrain. Il l'avait possédé. Encore tout jeune garçon, il avait réparé le mur, l'avait cimenté, avait transporté des pierres aussi lourdes que lui, les avait soulevées, les mises en place. Mais le désert pénètre malgré tout. Le mur est-il traître, pour laisser passer le désert de la sorte? A moins que le jeune garçon ne soit possédé par djinn qui sabote le travail de ses mains? Ou la puissance du désert est-elle si grande que ni le garçon, ni le mur, ni le père, ni la mère décédés ne peuvent rien contre lui?
Non. Le désert envahit. C'est un fait; rien de plus. Aucun djinn ne possède le garçon, aucune traîtrise n'habite le mur, aucune hostilité le désert. Rien.
Bientôt, il n'y aura rien. Bientôt, le désert seulement.
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Vénus était debout, dans ce qui semblait être la moitié d'une coquille scongille, grasse, blonde et, le Gaucho, tedesco de tempérament, la trouvait à son goût. Mais il ne comprenait pas ce qui se passait dans le reste du tableau. Il semblai y avoir un conflit quelconque autour de la question: fallait-il ou non voiler sa nudité? Sur la droite, une dame piriforme, à l'oeil vitreux, cherchait à l'envelopper d'une couverture mais, sur la gauche, un coléreux jeune homme, avec des ailes dans le dos, souflait à pleins poumons, afin que le vent de son haleine emportât ladite couverture, cependant qu'une jeune personne à peine vêtue s'enroulait littéralement autour de lui, dans l'espoir, sans doute, de le calmer et de le ramener au lit. Pendant que cette étrange engeance se chamaillait, Vénus restait là, les yeux fixés au loin sur on ne sait trop quoi, tout en drapant autour d'elle ses longs cheveux torsadés. Aucun de ces personnages ne semblait regarder aucun autre. Un tableau déconcertant. Le Gaucho ne pouvait imaginer pourquoi signor Mantissa y tenait, mais cela n'était pas l'affaire du Gaucho.
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-Je suis le vingtième siècle, lut-elle.
Profane s'écarta en roulant sur lui-même et se mit à étudier les dessins du tapis.
-Je suis le ragtime et le tango; le sansérif, géométrie pure. Je suis le fouet en cheveux de vierge et les entraves astucieusement fignolées d'une passion décadente. Je suis toutes les gares solitaires de chemin de fer, dans toutes les capitales d'Europe. Je suis la rue, les bâtiments publics sans fantaisie:le café dansant, le mannequin automate, le saxophone de jazz; la coiffure de la dame touriste, les seins de caoutchouc pédé, la pendulette de voyage qui toujours donne la mauvaise heure et carillonne sur des tons différents. Je suis le palmier mort; les vernis du danseur nègre; la fontaine tarie après la saison touriste. Je suis tous les attributs de la nuit.
-ça vient assez bien.
-je ne sais pas.
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À l'occasion de l'annonce du Grand prix de littérature américaine et des élections de mi-mandat aux Etats-Unis, le Book Club s'intéresse aux livres qui nous aident à comprendre l'Amérique d'aujourd'hui. Pour en parler, nous recevons Francis Geffard, éditeur chez Albin Michel et créateur du Grand prix de littérature américaine ainsi que Nicolas Richard, auteur et traducteur. Il a notamment traduit Hunter S. Thompson, Thomas Pynchon, Woody Allen, James Crumley, Stephen Dixon ou encore Quentin Tarantino.
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