Le père Goriot. Ouvrier devenu fabricant de pâtes, négociant en grains, fabuleusement enrichi par des opérations menées pendant les disettes des années 1790, anciennement du Comité de salut public. Goriot, veuf ayant reporté toute sa capacité d'amour sur ses deux filles. Filles gâtées, pourries - on peut le dire - habituées à ce que le monde se prosterne devant elles. Réclamant leur dû en forçant l'admiration a coup de parures, de toilettes et d'équipages. Cherchant l'amour - le vrai ! - auprès d'aventuriers comme on parie une fortune sur un numéro à la roulette. Tout, tout pour être aimée, admirée, enviée…!
Vautrin, banquier de la pègre, évadé contraint à vivre en marge de la société, dans une misérable pension qui n'a de bourgeoise que le nom. Homme cynique, dominateur. Pour lui, les autres ne sont que des moyens qu'il peut utiliser, mépriser ou détruire selon leur utilité. le bagne est cette île d'Elbe qui toujours menace de le rappeler, de le révéler à lui-même et aux autres.
Rastignac, jeune homme pauvre et noble, sorti de sa province pour tenter le destin à Paris. Rastignac, ébloui par les fêtes et les fastes, et bientôt horrifié par l'envers des apparences. Ébloui, horrifié, mais fasciné, finalement, par une vie parisienne qu'il ne pourra plus quitter…
Balzac aura mis beaucoup de lui-même dans ce personnage.
Magie. La pensée magique consiste à voir des relations causales entre des événements qui ne sont pas relatés. Jeter du sel par-dessus l'épaule pour conjurer le “mauvais sort”, briser un miroir porte malheur, ne pas passer par la gauche de tel objet, mais à sa droite…Non, dans cette vie parisienne, il ne s'agit pas de magie, car la magie est simplement inopérante. Elle n'obtient pas l'inverse du résultat désiré. En mettre plein la vue à autrui pour… être admiré donc aimé, désiré ? Plutôt envié, puis détesté et peut-être haï. Autant essayer de raviver un feu avec de l'eau ou de l'éteindre avec de l'essence.
C'est pourtant l'essence de cette société de paons dont
Balzac commence ici à dresser le portrait : une séduction aussi compétitive que permanente, séduction qui finit par ruiner le séducteur, après avoir atteint l'inverse de l'effet désiré.
Balzac montre ici son génie, non seulement par la qualité de l'écriture et par la construction des personnages et des tensions, mais surtout en abordant des thèmes qui, près d'un siècle après l'écriture, ont largement débordé du faubourg Saint Honoré et affectent maintenant une société travaillée en long et en large par un consumérisme délétère.