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EAN : 9782742721382
164 pages
Actes Sud (30/11/-1)
5/5   3 notes
Résumé :
"Le Temps du théâtre" Un essai sur la célèbre pièce de Tchekhov et sur ses valeurs métaphoriques, à l'heure où chaque théâtre, chaque bibliothèque qui se vide est une cerisaie qu’on abandonne…

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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Peu après son décès, j'avais découvert l'écriture de Georges Banu, d'origine roumaine, avec Les récits d'Horatio : Portraits et aveux des maîtres du théâtre européen, livre qui m'avait quelque peu déconcertée par son organisation fragmentaire.

Sur les conseils avisés de chris49 je me suis lancée dans la lecture de cet ouvrage consacré à la pièce La Cerisaie, que j'ai adoré, cette fois-ci.

Le spécialiste en dramaturgie y propose des analyses très fines, émaillées de photos prise lors de différentes représentations. D'ailleurs une liste des principales mises en scènes est proposée par l'auteur (pp. 8-9). J'y ai découvert avec immense plaisir celle à laquelle j'ai assistée, adolescente, à Bucarest, en 1992, celle d'Andrei Șerban.

En guise d'invitation à vous laisser tentés par cet ouvrage je vous cite les premières lignes représentatives du style de l'auteur et de son intention :

Ce livre pourrait se définir comme un « journal de spectateur averti » dans la mesure où il est né de la coexistence prolongée avec une oeuvre et les « essais » que sont ces mises en scène. le « spectateur averti » aime ce jeu d'un thème avec variations. Imprégné du monde d'origine, indifférent aux frontières du texte et de la scène, il circule librement dans ce territoire familier en faisant des spectacles sa bibliographie et en esquissant les contours incertains d'une représentation imaginaire. de cette expérience double, sans complexes ni réserve, ces lignes se veulent être l'aveu. Son centre, La Cerisaie, et les satellites, ces représentations où elle s'est accomplie, explorées avec une inégale attention, selon la logique secrète d'un spectateur qui ne se présente pas en exégète. Journal de spectateur, journal de voyage, ni systématique, ni didactique. En réalité il se soumet au désordre affectif propre au « cahier » qui refuse également l'exercice quotidien de la notation et de la chronologie strictement enregistrée. « Déroutes aimées qui ne dirigent pas vers leur destination » (René Char)
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Georges Banu, né le 22 juin 1943 à Buzău en Roumanie est mort samedi, 21 janvier 2023, à Paris, dans sa quatre-vingtième année. Professeur émérite à l'institut d'Études théâtrales-Sorbonne nouvelle, il est aussi un éminent critique.
De son côtoiement quotidien avec le théâtre, le « spectateur averti» qu'il était nous a livré tout au long de sa vie de brillantes analyses et de nombreux essais.

Le « cahier de spectateur » que représente cet ouvrage sur La Cerisaie de Tchekhov témoigne intimement de son grand talent de critique et d'essayiste. Intimement, car on devine aisément l'homme de l'exil derrière l'auteur du livre.

« Dans la Roumanie occupée par l'armée russe (écrit-il), porteuse du communisme et des pratiques staliniennes, ma mère a vécu une autre expérience de la Cerisaie. Traumatisme de jeunesse… […] Orpheline de son « verger », sa vie durant elle en resta marquée au fer rouge et vécut cette violente spoliation comme un assassinat intérieur. »

De sa longue intimité avec l'oeuvre et ses représentations, l'auteur a ainsi livré son essai le plus personnel, puisant dans ses racines et dans sa vie intime ce qui est inhérent à la pièce de Tchekhov et à la parabole du verger perdu. À l'étude rigoureuse de mises en scène données s'ajoute ainsi la trame du récit personnel par touches mélancoliques.

« A Tokyo (écrit-il), Clifford Williams, metteur en scène anglais, avait fait le pari de la représentation métonymique : un seul arbre, géant et sublime, comme unique pilier du monde. […] L'arbre mythique, tout au long des quatre actes, tournait autour de son axe pour indiquer par le changement des feuillages, de l'épanouissement à la chute, le passage des saisons ; il parvenait, lui, aux fiançailles du concret et de l'imaginaire. Métonymie accomplie.
Et pourtant le sentiment d'une absence me poursuivait… car moi-même, j'avais vécu, au Japon, à côté d'un être cher, l'éblouissement des cerisiers en fleurs. Abrités sous une voûte rose, nous avons pensé à cette beauté saisonnière que Lioubov et Gaev, depuis leur enfance, partagent. Fête de l'instant, comme dirait un homme de théâtre ! Rien ne passe plus vite qu'un spectacle ou la floraison des cerisiers. Les Japonais sont fiers de ce culte voué à l'éphémère ! Ils y voient un signe de noblesse… C'est là, au coeur du vieux Japon, que j'ai éprouvé le manque de toutes ces cerisaies {…] »

Je vous invite à découvrir ce livre extrêmement dense en savoir et en émotion. Il témoigne de la tendresse énorme de l'auteur pour le texte de Tchekhov. Tendresse que nous partageons, tant à la lecture de ce chef d'oeuvre de la littérature russe qu'à sa redécouverte au fil des mises en scène*. Une oeuvre prophétique, à l'interprétation inépuisable.

* Celles de Giorgio Strehler, Mathias Langhoff, Peter Brook, Alain Françon… par exemple.

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Citations et extraits (7) Voir plus Ajouter une citation
Lucian Pintilie, le premier, a reconnu chez Lioubov la parenté avec Winnie de « Oh les beaux jours » qui lui succédera, mais si l’héroïne beckettienne s’enfonce dans le sable, chez lui, la maîtresse russe se laisse engloutir dans un champ de blé. C’est de là qu’elle lève les yeux vers le ciel et égrène, de même que chez Beckett, la somme d’insignifiances que peut constituer une vie. Le blé, sable doré…
Pintilie raconte l’origine de cette métaphore : un jour, conducteur débutant, il rate un virage pour atterrir par miracle dans un champ de blé où il s’enfonça comme dans un matelas béni. Dans l’abri protecteur du blé, il déclina fugitivement sa vie. L’accident fut converti et intégré, comme chez les poètes, dans la mise en scène qui ainsi, à l’insu du spectateur, préservait une trace autobiographie. De ce spectacle, ceux qui l’ont vu n’ont pas oublié le champ de blé où Lioubov, telle une poupée de porcelaine, avouait ses fautes et invoquait le pardon. « Beaucoup de péchés lui sont remis parce qu’elle a beaucoup aimé. » (Luc,VII.)

(p. 87)
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Les cerisiers n’apportent plus aucun bénéfice économique, car même la vieille recette pour en faire de l’alcool, dit Firs, a été perdue… ainsi ils ne sont plus que source de beauté passagère et de projection mentale. Tchekhov les rend entièrement « inutiles » sur le plan financier, sans que leur portée symbolique soit pour autant affectée. Disons même qu’elle en sort agrandie, car libérée de toute légitimité autre. La cerisaie se constitue en figure de cet inutile que le capitalisme se chargera d’exclure tout comme le communisme, deux versions d’une même pensée « économique ».

(p. 27)
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La beauté éphémère
Le verger légitime sa raison d’être par la splendeur éphémère des cerisiers en fleurs. Elle envahit le regard et comble l’âme pour quelques jours seulement : cette beauté-là fascine parce qu’elle est fugitive. Il faut la saisir et en garder le souvenir.
Et le théâtre aujourd’hui ne fonde-t-il pas son identité sur cet éphémère qui en explique l’attrait qu’il exerce encore, éphémère par ailleurs assimilé à une faiblesse à l’heure où se développe le goût pour la mémoire mécanique, enregistreuse ? Celle-ci préserve, archive, sans jamais pouvoir obtenir l’éblouissement de l’expérience théâtrale qui se trouvera toujours à la source de l’autre mémoire, la mémoire vivante. Voir un beau spectacle est synonyme de voir la cerisaie en fleurs. Le temps d’un souffle. Mais le souvenir peut marquer une vie.
Voilà les arguments qui nous permettent d’assimiler le théâtre à la cerisaie. Cette parabole ne peut qu’intéresser ces inquiets que nous sommes. Quoi faire ?

(p. 163)
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La stabilité traverse comme un leitmotiv cette œuvre ayant au cœur le changement. C’est la phrase qui résonne comme s’il s’agissait de la pensée fondatrice de cette communauté, phrase reprise par des personnages aux positions entièrement opposées.
Lopakhine conseille à Douniacha : « Reste à ta place ».
Lioubov prodigue le même conseil à Gaev : « Reste donc à ta place ».
Firs, lui aussi, affirme que l’on doit « rester à sa place ».
L’idée d’un équilibré hérité, d’un ordre institué, garant de la bonne marche et de la bonne conduite, semble être consensuelle et pourtant, malgré l’avis unanime, celui-ci s’écoulera. Comme si les convictions des êtres ne pouvaient en rien affecter le cours de l’histoire qui, lui, les ignore et balaie la stabilité tant propagée. Si les professions de foi se confondent, les agissements diffèrent. Là où tout le monde s’accorde pour que « chacun reste à sa place », personne ne le restera.

(p. 26)
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Vivre une heure à l’ombre des cerisiers en fleur qui, par milliers, envahissent Kyôto… l’expérience à faire pour comprendre les raisons du refus du désastre. Motif biographique qui accompagne l’intimité avec l’œuvre et ses variantes scéniques.

(p. 40)
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Vidéo de Georges Banu
Rencontre avec Wajdi Mouawad et Marcel BozonnetÀ l'heure où le rôle et l'avenir de l'Europe font l'objet de nombreuses controverses et où le spectacle vivant subit de plein fouet la crise sanitaire, un nouveau cycle de conférences donne la parole à des figures emblématiques de la scène contemporaine.Georges Banu, professeur émérite à l'université Sorbonne Nouvelle Paris 3 et Joël Huthwohl, directeur du département des Arts du spectacle de la BnF, reçoivent les metteurs en scène Wajdi Mouawad et Marcel Bozonnet.Rencontre enregistrée le 16 février 2022 à la BnF I François-Mitterrand
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