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EAN : 9782864323471
105 pages
Verdier (08/10/2001)
4/5   22 notes
Résumé :
Au début de la Gaule romaine à la fin du deuxième millénaire, la zone imprécise, plissée, qui sépare l’Auvergne de l’Aquitaine a vécu séparée. De là les sombres permanences, les bizarreries, les particularités qu’on pouvait, tout récemment encore, y observer. Lorsque le mouvement, le présent, l’ont tirée du sommeil, elle n’a pas hésité. Elle s’est retirée sans bruit, les yeux ouverts, dans le passé.
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Pierre bleue du ciel

Pierre Bergounioux est un écrivain hanté.

Les fantômes qui le peuplent sont ceux de la brande millénaire ; cette brande qui siffle sous les assauts d'un vent pareil au bélier défonçant les lourdes portes d'anciennes forteresses.

Car ce sont des ruines que le paysage Limousin avale dans sa gueule noire ; les ruines d'un monde ancien, rural, où la “parlure” avait encore un sens précis pour les hommes et les femmes de ces terres désertées.

L'écriture de Bergounioux a partie liée avec la minéralité, le végétal et l'animal.

Avec Un peu de bleu dans le paysage, celui-ci nous conte par une grande force d'évocation, la longue litanie des vies brisées ; le destin de ces êtres engendrés par l'acidité des tourbières et qui s'y retrouvent embourbés jusqu'au cou ; “ces animaux pensants” qui ploient sous le joug d'une condition à laquelle ils ne peuvent échapper.

Car la voix ancestrale de la terre, le sang qui goutte en leurs veines, ont leurs propres lois implacables.

Le verbe de Pierre Bergounioux convoque des statues de sel ; des “femmes de Loth” qui tournèrent un temps leur visage vers un avenir espéré, jusqu'à ce que la violence du vent vienne leur cingler la face pour les faire regarder en arrière – et les pétrifier.

Son récit intitulé Millevaches – situé à mi-parcours du livre –, m'a tout particulièrement saisi.

Pour m'y être rendu par le passé, j'ai pu retrouver – dans les pages que Bergounioux y consacre –, cette atmosphère si particulière de “chambre mortuaire” ; cette solitude boisée qui emplit l'être et vous dépouille, vous dépossède, vous lave de tout : de votre nom, de votre histoire, du passé, du devenir, etc.

Cette expérience me fut si intense que je ne savais qu'en dire : le silence me tenait lieu de mémoire.
Bergounioux a su former une bouche afin qu'une mince parole puisse témoigner de cette “pièce luxueuse tendue de brocart vert” battue par les vents et l'humidité.

Flotte au-dessus de ces tourbières un vaste silence, qui se dépose comme les ailes grises d'un oiseau immense et mythique.

Au Plateau de Millevaches, “j'étais personne” ; rien qu'un peu de matière humaine sous la pierre bleue du ciel : une chair revenue se plonger, se fondre dans la grande solitude boisée des origines.

Face à ce paysage de désolation, Bergounioux invite le lecteur à une réflexion sur le peu de poids de la mort.

Place aux mots de cet écrivain, dont la syntaxe est puissante et noueuse comme un chêne :

« Nous sommes enclins, faits comme nous le sommes, à regarder notre petit moment, qui est tout ce qu'on ait, tout autrement qu'il n'est. Cette illusion est nécessaire, sans doute. Sans elle nous n'aurions pas la force d'agir, l'envie de continuer. Il est besoin de croire que nos entreprises et nos desseins, que notre destinée ont quelque fondement, qu'il importe au plus haut point de les accomplir. Mais cette idée qu'on s'est faite, pour vivre, se mue en obstacle lorsque l'heure est venue de partir. On hésite. On répugne à délaisser une affaire que l'on imaginait si grande, qu'on croyait justifiée. La philosophie, en pareille occurrence, peut assurément nous aider. Elle établit, par raison, la nihilité de l'humaine condition. Mais il est bien plus simple, lorsque vient le moment d'être fixé, de gagner la haute lande, drapée de gris et de violet. On voit, d'un coup. On sait. Ce n'est rien. On peut accepter. »

© Thibault Marconnet
29/10/2013
Lien : http://le-semaphore.blogspot..
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Recueil de textes, réunis et liés par cette terre (le Limousin et Brive) au moment où, dans les années soixante (virage qui s'est fait dans nos vies aussi, citadins déjà "entrés dans la vie" comme il le dirait) elle a quitté l'immémorial pour entrer dans le monde moderne.
Et bien sûr, c'était plus radical,là, que dans les grandes villes. Vérité pour les campagnes âpres. Vérité pour lui, mon cadet de quelques années, mais juste un peu plus profonde que pour nous, et la proximité devient totale quand il parle du monde des femmes, du monde domestique, qui fait de nous des étrangers, pour une part, à celui dans lequel nous évoluons facilement, comme notre, mais avec toujours cette richesse que nous donne le fait d'avoir vécu les temps arrêtés de notre enfance.
Avec, toujours sa façon de dire le paysage qui le rend présent, et ces figures, les êtres attachés à la terre, à la boue, à la vie difficile, à l'économie de mots et de pensée.
Et ce personnage qui existe dans tous les terroirs, celui qui fait l'objet du dernier texte, "un peu de bleu dans le paysage", assez important pour avoir donné son titre à l'ensemble - le vieux célibataire dans une maison de deux pièces, sur un lopin trop petit – pages nettes, belles, émouvantes.
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S'aventurer dans ces courts récits de Pierre Bergounioux, c'est comme plonger dans un manuel de géographie du début du XXe siècle. Comme dans le Tableau de la géographie de la France de Paul Vidal de la Blache, l'homme se construit en fonction de sa nature environnante. Qu'il soit géologique (grès, granits, calcaires), géomorphologique (un escarpement, une vieille échine bossuée, une corniche, un rocher, une terrasse) ou végétal (ajoncs, fougères, genêts, vignes, conifères), le paysage du Limousin s'inscrit dans l'identité de l'auteur et dans sa langue, belle, travaillée, poétique et sonnante. Pierre Bergounioux raconte son pays natal, son enfance, ses souvenirs, ses rencontres, mais à travers toute la culture qu'il s'est forgée depuis, à travers cette épaisseur temporelle qui transforme le vécu. C'est émouvant, c'est intelligent, c'est de la grande littérature.
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Citations et extraits (17) Voir plus Ajouter une citation
Un vrai livre affecte à quelque degré ce que nous pensions et, donc, ce que nous sommes. Il change, dans une certaine mesure, le monde qui consiste, en partie, dans l'idée qu'on s'en fait, soit qu'il l'orne et l'accroisse, soit qu'il en consomme la ruine. Mais ce désastre, cette perte, si on les surmonte, peuvent être tournés à profit, se muer en richesse et en joie. Nous étions inégaux à ce qu'il y a. Nous vivions de peu. Nous ne savions pas. Nous n'étions point autant qu'il est en nous, qu'il est permis de devenir.
Je ne sais pas de livre, lorsqu'il a compté, qui n'ait fait trembler le sol de l'existence, disloqué la vision pauvre, grossière que je prenais, avant qu'il ne l'ébranle, pour la réalité.

p. 59
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Au nord, on butait aussitôt sur l'âpre escarpement du Limousin, la vieille échine bossuée, granitique au pelage d'ajoncs, de fougères, de genêts. Il fallait peiner beaucoup pour gravir l'épaulement méridional, franchir de fortes rampes avant de s'enfoncer dans le sud où nous avions notre penchant, avec les esplanades calcaires et l'accent chantonnant, la sécheresse et la chaleur, le tabac, la tuile ronde et la vigne, le maïs, l'éclair riant du midi
.....
dans la vieille, la pluvieuse Corrèze au milieu de ce siècle, c'est-à-dire quelque part entre l'an mil et l'entre-deux-guerres où le temps s'est arrêté, à supposer qu'il ait jamais passé sur ces froides, ces trop vertes solitudes. Quelque chose finissait quand on a commencé.... Des gestes, des mots, des allures que j'ai regardés comme l'évidence même ont disparu..
Les dimanches de juillet, vers onze heures, dans la rue incandescente, désertée, passe le fourgon isotherme, d'un bleu polaire, de la glacière municipale. L'ouvrier, ganté de caoutchouc, extrait de la caisse aux parois épaisses, de grand pains translucides, glauques. D'un seul coup de son crochet d'acier, il les brise à l'exacte dimension du bac de la glacière
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Quelques célibataires d’un certain âge, déjà, n’ont pas voulu, pas pu suivre le mouvement, quitter les bois, partir. Ils tâchent désespérément à tuer le temps sans issue, sans relève, qu’il leur reste. Ils déboulent à toute heure au bistrot, le seul commerce à n’avoir pas fermé ses portes, bottés, en bourgeron, sales, mal rasés, les yeux flous. Ils s’assomment sans un mot de liqueurs avant de regagner, sous le soir, leur antre froid, leur cuisine vide. Parfois, ça ne va plus du tout. Ni l’abrutissement des gros travaux ni celui que procure le vin ne peuvent plus leur dissimuler ce qui se passe. Ils sont, ils le savent, les derniers.
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Nous sommes enclins, faits comme nous le sommes, à regarder notre petit moment, qui est tout ce qu’on ait, tout autrement qu’il n’est. Cette illusion est nécessaire, sans doute. Sans elle nous n’aurions pas la force d’agir, l’envie de continuer. Il est besoin de croire que nos entreprises et nos desseins, que notre destinée ont quelque fondement, qu’il importe au plus haut point de les accomplir. Mais cette idée qu’on s’est faite, pour vivre, se mue en obstacle lorsque l’heure est venue de partir. On hésite. On répugne à délaisser une affaire que l’on imaginait si grande, qu’on croyait justifiée. La philosophie, en pareille occurrence, peut assurément nous aider. Elle établit, par raison, la nihilité de l’humaine condition. Mais il est bien plus simple, lorsque vient le moment d’être fixé, de gagner la haute lande, drapée de gris et de violet. On voit, d’un coup. On sait. Ce n’est rien. On peut accepter.
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Des hommes qui abattaient les hêtres et les épicéas avec des coins de fer, des hans furieux, des emportements qui regagnaient la maison avec des feuilles et des brindilles, de la terre, des fougères accrochées à leurs vêtements, de la buée, pareils au monde qu'ils avaient affronté, aux créatures intermédiaires qui hantent le sous-bois, gnomes industrieux, infatigables azgipans, loups-garous, ogres, ces mêmes hommes; on les décoivrait l'instant d'après parés des atours sobres, un peu sombres, qu'affectionnaient les bourgeoisies provinciales, cérémonieux, parfumés, diserts, d'une éloquence désuète et fleurie, délicieusement, qui avait péri sous la guillotine à Paris, en l'an II, et tout naturellement; à y réfléchir, trouvé refuge sur ces marches où le passé n'était pas mort..
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Vidéo de Pierre Bergounioux
Cette semaine, Augustin Trapenard est allé à la rencontre de Pierre Bergounioux à l'occasion de la sortie en poche de son livre "Le Matin des origines" aux éditions Verdier. Ce merveilleux ouvrage célèbre l'ancrage profond dans ses racines, dans les terres du Quercy entre Lot et Corrèze, où l'auteur a grandi, dans la chaleur de la maison rose et au sein des paysages qui ont façonné son être. Ces souvenirs, imprégnés dans sa mémoire, représentent une part essentielle de son identité qui demeure là-bas. À travers ces pages, Pierre Bergounioux évoque avec justesse le lien puissant que la terre tisse avec nos souvenirs et nos émotions, révélant ainsi le pouvoir des lieux familiers pour donner du sens à notre passé et à nos moments les plus heureux. Il était donc évident qu'Augustin Trapenard se déplace au coeur de cette histoire, sur les contreforts du plateau des Millevaches, dans sa maison de Corrèze pour un retour aux origines de la vie et de l'écriture.
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