Le Conte de l'île inconnue

C'est une fort belle chose que cette fable de José Saramago, le Conte de l'île inconnue.
L'histoire de ce récit commence en un temps et dans un royaume inconnus. Nous découvrons un roi plus préoccupé de sa personne que des besoins de ses sujets.
La maison du roi compte de nombreuses portes, nous faisons la découverte de certaines d'entre elles : la porte des offrandes que le monarque ne quitte jamais car c'est ici qu'il reçoit les cadeaux que ses sujets lui présentent de manière obséquieuse, la porte des requêtes où le roi ne se rend jamais et pour cause puisqu'il se tient en permanence à celle des offrandes et la porte des décisions qui sert épisodiquement...
Un jour un homme vient frapper à la porte des requêtes qui demeure fermée comme d'habitude. Il frappe si fort que le roi, agacé, dépêche son premier secrétaire, qui délègue au second secrétaire, celui-ci en appelle un troisième, qui convoque un premier adjoint, lequel à son tour convoque un second adjoint, ainsi de suite jusqu'à parvenir à la servante, laquelle, n'ayant personne à qui donner des ordres décide d'ouvrir la porte...
La demande est inhabituelle. L'homme réclame un bateau, rien que ça ! La servante recueille sa demande, qui finit par parvenir au roi par le même processus, mais dans le chemin inverse. le souverain ne veut pas se préoccuper d'une telle demande, l'homme alors s'allonge devant la porte des requêtes et menace de rester ainsi tant que le roi ne viendra pas lui-même entendre sa supplique. La servante finit par convaincre son monarque que cet incident pourrait vite donner une mauvaise image, dégénérer auprès de ses sujets, si le monarque pas lui-même une réponse... le roi se rend alors à la porte des requêtes pour entendre lui
S'ensuit alors un dialogue savoureux, mêlant avec subtilité l'absurde au bon sens :
« Et pourquoi veux-tu donc un bateau, peut-on le savoir, tel fut en effet ce que le roi lui demanda quand il se considéra suffisamment bien installé sur la chaise de la servante, Pour me lancer à la recherche de l'île inconnue, répondit l'homme, Quelle île inconnue, demanda le roi en déguisant son rire, comme s'il avait devant lui un fou délirant, un de ces fous qui ont la marotte de la navigation et
qu'il ne faut surtout pas contrarier dès l'abord, L'île inconnue, répéta l'homme, Sottise, il n'y a plus d'îles inconnues, Elles sont toutes sur les cartes, Et quelle est donc cette île inconnue que tu
cherches, Si je pouvais te le dire, elle ne serait plus inconnue, Qui t'en a parlé, demanda le roi, à présent plus sérieux, Personne, Dans ce cas, pourquoi t'obstines-tu à dire qu'elle existe, Simplement parce qu'il est impossible que n'existe pas une île inconnue... »
Le ton est donné dès ses premières pages qui pose le propos du conte.
Nous découvrons un souverain qui tarde à donner des réponses aux suppliques de ses sujets, plus préoccupés de sa personne, plus attentifs aux offrandes qui lui sont destinées.
À travers cette chaîne de décisions ubuesque, José Saramago nous délivre ici une satire irrévérencieuse d'un pouvoir qu'un seul homme, qui réclame un bateau pour aller sur une île inconnue, vient subitement troubler...
Notre homme obtient gain de cause, une caravelle, un équipage et alors que le bateau est encore à quai pour les préparatifs d'embarquement, il découvre à qui appartient le bateau...
Dans la verve des mots de ce récit s'allume brusquement l'appel de la mer, de l'amour, d'une île inconnue...
La métaphore de l'île inconnue, même si elle n'est pas nouvelle, fait ici son effet grâce à la poésie du texte, à l'ironie des dialogues, à la saveur des mots teintés de sables et d'horizons...
Et puis il y a cette citation qui résonne comme un battement de coeur au milieu du conte.
« Aimer est probablement la meilleure façon d'avoir, avoir est sûrement la pire façon d'aimer. »
Ce petit livre agréablement imagée de belles gravures d'Olivier Besson, m'a permis d'entrer pour la première fois dans le royaume imaginaire de José Saramago. Mais surtout c'est un livre somptueux accessible à tous, qui réjouira les plus petits comme les plus grands.
Alors, n'avez-vous pas envie à votre tour de larguer les amarres, pousser votre barque vers le large à la découverte de l'île inconnue, qui n'est peut-être pas si loin ?

José Saramago n'a pas besoin de présentation : un de plus grand écrivain Portugais de tout le temps. Son petit conte philosophique a été mis en valeur par l'édition soignée de Seuil, par la très bonne traduction de Geneviève Leibrich et par les superbes gravures de Olivier Besson. A titre de résumé, on peut mettre une citation : “Je pense qu'il faut sortir de l'île pour voir l'île, que nous ne nous voyons pas si nous ne sortons pas de nous, Tu veux dire si nous ne sortons pas de nous-même, Ce n'est pas la même chose.” Bonne lecture !

Gravures d'Olivier Besson