À travers dix-neuf arbres spécifiques, réels ou métaphoriques, une incroyable visite guidée de l'univers poétique, tout d'exils, de migrations, de refuges et de collisions, créé par
Patrick Beurard-Valdoye ces trente-cinq dernières années.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2022/03/02/note-de-lecture-
palabre-avec-les-arbres-patrick-beurard-valdoye/
Si l'on envisageait un instant l'immense cycle des « Exils » de
Patrick Beurard-Valdoye comme une succession de salles vivantes et vibrantes dans un musée poétique imaginaire (on vous parle des trois dernières en date parmi les sept existant actuellement – «
le narré des îles Schwitters » (2007), «
Gadjo-Migrandt » (2013) et «
Flache d'Europe aimants garde-fous » (2019) – sur ce même blog), ce court et dense «
Palabre avec les arbres », publié chez
José Corti en novembre 2021, en serait peut-être bien le guide subtil et presque malicieux.
En 19
poèmes, chacun allant de une à quelques pages, tous inscrits sous le signe de l'arbre au singulier ou au pluriel, tremble, oliviers, banyan, pommier, pinède, peuplier, chênaie, figuier ou saule solitaire, entre autres, on retrouve et explore par d'autres facettes, d'autres inscriptions ou d'autres crevasses terribles certains des lieux et des personnages les plus emblématiques jusqu'ici de ce formidable travail poétique au long cours, oeuvre herculéenne de connexion intelligente et sensible, par l'histoire, l'art et la résonance profonde dans notre présent, des migrations, des fuites, des refuges et des exils. On retrouvera ainsi, par exemple, auprès de leurs arbres,
Walter Benjamin (et Dani Karavan avec son mémorial) à Port-Bou (et on songera
alors naturellement, en parallèle, au beau travail de
Sébastien Rongier),
Aby Warburg à Hambourg (et qui mieux que lui en effet, avant la montée en puissance de ses hallucinations, comme le rappelait
Carlo Ginzburg, peut incarner l'approche indiciaire pratiquée aussi en
poésie par
Patrick Beurard-Valdoye),
Antonin Artaud et sa tombe mal connue au cimetière Saint-Pierre de Marseille (incise dont l'éclat vif se rehausse encore d'une dédicace à
Florence Pazzottu),
Carl Gustav Jung à Küsnacht (la poétesse et voisine
Hilda Doolittle se tenant logiquement à proximité), Étienne de Lusignan à Nicosie et à Limassol, préservant de son mieux des arbres le plus souvent métaphoriques et scripturaux,
Rainer Maria Rilke à Duino – ou plutôt à Lipica, 25 kilomètres plus loin -, ou encore, naturellement,
Kurt Schwitters à Ambleside, merzant une nouvelle construction, et
Paul Celan et
Ingeborg Bachmann, en correspondances mystérieuses sous certain paulownia solitaire de la place de la Contrescarpe.
Comme chez la
Françoise Morvan de « Sur champ de sable » («
Assomption », «
Buée », «
Brumaire » et «
Vigile de décembre ») ou comme chez le
Lambert Schlechter du « Murmure du monde » («
Une mite sous la semelle du Titien » ou « Je n'irai plus jamais à Feodossia », par exemple), et comme ce n'est généralement pas le cas (ou
alors de manière subtilement dissimulée aux détours des brassages de langues et de lieux) dans les grandes installations du cycle des « Exils », des éléments biographiques directs, réels ou transmutés, se glissent dans le flot d'évocation, par certains marronniers ou par certain grand-père fantôme, affirmant le profond mélange de personnel et d'universel qui est à l'oeuvre dans le cycle des « Exils », confirmé avec fougue et malice dans ce bréviaire végétal et songeur qu'est «
Palabre avec les arbres », se révélant ainsi comme la plus belle des portes d'entrée dans l'univers cosmopolite, mouvant et salvateur de
Patrick Beurard-Valdoye.
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