«
Entendez-vous dans les montagnes... », le glas mémoriel.
Les mots annonciateurs d'une vérité mise à nue, immanquablement par
Maïssa Bey, algérienne qui vit à Sidi Bel Abbes. Son texte foudroie tel l'éclair les atrocités d'une guerre coloniale. Les souffrances, les gestes précis, au scalpel ; froids, sans aucun état d'âme pour le torturé. Son propre père assassiné. « Ils ont tué ton père ! … La guerre d'Algérie a commencé dans un cri. Des Ennemis ? Des Français ? Mais alors comment identifier l'ennemi quand mes meilleures amies de l'école s'appelaient Nicole, Brigitte, Malika et Annie ? »
Discriminations et humiliations pour Maïssa, elle , une fille de fellaga. L'ubiquité brouillée par le rejet plus fort que la haine. Elle cède sa vie à Marie,
Entendez-vous dans les montagnes, porte-parole qui revient sur ses terres natales.
Dans le wagon, le huis-clos est une narration. « Un homme vient d'entrer. Il jette à peine un regard sur elle. Il ne la salue pas. »
Elle ferme les yeux et écoute l'italique qui trouble la trame, soldats français, l'idiosyncrasie d'une guerre, dont certains si jeune ne savaient pas pour les villages brûlés, les tortures, les assassinats, les attentas et l'ultime sursaut d'un peuple colonisé et oppressé. Elle observe l'homme près d'elle, pragmatique et froid. Une femme arrive subrepticement dans leur wagon. Habitée de faux-semblants, d'aprioris et de la parole cachée des siens. Ne pas dire ce qui fût.
« Comment c'est là-bas ?… Comment peut-elle être sûre que ce sont des arabes ? » en imaginant une bagarre dans le train.
Les conséquences d'une guerre sur les rails. Les paysages changent, s'assombrissent pictural des rémanences. L'homme, docteur côté ville qui connaît si bien l'Algérie et pour cause. Marie se recroqueville et pressent cet homme acteur des tortures. C'est suggéré, effleuré, et pourtant les ombres sournoises persistent. le socle des silences si prégnants, jusqu'au paroxysme d'une parole en advenir. Elle désigne la jeune fille :
« Vous devez le savoir ce que c'est, non? Expliquez-lui ce qu'était la corvée d bois, expliquez-lui à elle qui ne sait rien de cette guerre, elle qui a son grand-père n'a rien raconté d'autre que ses palpitantes parties de pêche en Algérie ?
«
Entendez-vous dans les montagnes », le voyage murmure et bruit sourd que les ombres tourmentent encore à l'infini. Ce texte sublime et triste, réel, magnifiquement écrit, démonte les mécanismes implacables, désespérés car impossible à contrer. La phrase finale, crépusculaire, Marie, la femme et lui glaçant et malsain encore dans son rôle de tueur qu'on ne peut quitter des yeux.
Ce récit dont l'inaugural « Un long cri stridant » publié dans le Monde en 2022 est le tracé de vie de Maïssa, écrivaine de la mémoire. Persistante engagée aux dires. Ce livre est le témoin, l'exactitude d'une guerre entre deux amies, deux voisins devenus ennemis. C'est cela qui est terrible. Ici dans cet écrin des résurgences, il y a la résistance du mot. Magistral et inoubliable. Publié par les majeures Éditions de L'Aube. Au doux prix de 10,90 €.