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EAN : 9791030400656
64 pages
Allia (08/01/2016)
4.33/5   18 notes
Résumé :
On fait une esquisse pour saisir rapidement une idée. Ne sont retenus que les traits essentiels, qui permettront de la retrouver aisément, de la reconsidérer ou de la suggérer à d'autres. En cinquante esquisses, l'auteur éclaire le moment historique actuel, la crise dans laquelle nous sommes et le moyen pour tenter d'en sortir : la critique ne suffit plus, il faut des idées neuves, en particulier une façon juste de se représenter l'être humain et ses besoins. Avec l... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
ESQUISSES POUR UN AUTRE MONDE SOUHAITABLE.

Comment résumer, sans en trahir le créateur, sans risque d'en rajouter mais sans résumer tant que l'on pourrait à force passer à côté de l'essentiel de ce que Jean-François Billeter tâche de faire passer à son lecteur dan ces si enrichissantes "Esquisses" ? L'enjeu est bien plus important qu'il y parait car la pensée de Billeter, bien loin d'être frivole ou simplement plaisante à l'esprit, pose rien moins que la volonté de voir l'humanité se sortir du guêpier - doublé, selon l'auteur, mais nous ne sommes pas loin de penser identiquement, d'une voie sans issue autre que strictement mortifère - dans laquelle elle est s'est fourrée depuis un peu plus de deux cents ans, pour aller vite, depuis la fameuse révolution industrielle. Que l'auteur estime d'ailleurs bien plus sociale que strictement technologique, les rapports de force et la mise en fonction mathématiques aussi pratique que vide de sens de l'usage des dépossédés par les possédants étant la première et principale des conséquences de ce changement de paradigme inauguré vers l'extrême fin du 18ème siècle britannique et qui a essaimé partout en Europe d'abord, dans le monde depuis.

Ce formalisme des "Esquisses", qui ne sera pas sans rappeler, aussi peu incidemment que possible, les Pensées de Blaise Pascal par la proximité du format - philosophe auquel Billeter se réfère par ailleurs à de nombreuses reprises - l'incite à concentrer sa pensée, à la rendre aussi claire et pure que possible, sans se retrouver écartelé par l'incroyable des thématiques qu'elles contiennent, auxquelles un ouvrage en deux volumes de cinq cent pages ne suffirait pas ! Billeter souhaite ramasser ses réflexions, en donner les idées forces, ne pas se laisser trahir par ce langage qu'il connait si bien, en tant que professionnel si l'on peut dire, par sa connaissance intime de plusieurs d'entre eux, que ce soit le français, l'allemand, le latin ou le chinois, qui fit sa réputation internationale du temps où il fut universitaire genevois.

En bon penseur qui sait que ses réflexions ne surgissent pas que de ses observations, de ses interrogations, de ses éventuelles certitudes (conquises de haute lutte sur le terrain de l'existence), Jean-François Billeter se situe de lui-même dans une certaine lignée intellectuelle. Nous avons déjà évoqué Blaise Pascal quant à la forme et certaines réflexions sur l'homme ; un autre grand penseur du XVIIème siècle, néerlandais celui-ci, mais s'exprimant cependant surtout en latin, sert bien souvent de point de départ réflexif au sinologue suisse : c'est Spinoza, tant annonciateur du grand mouvement dit des Lumières. Nombreux autres intellectuels et philosophe seront convoqués dans ces quelques cent pages lumineuses, incroyables de lucidité, denses, complexes, essentielles. Parmi ceux-là : Descartes, Sébastien Roch Nicolas de Chamfort, Emmanuel Kant, Mme de Staël, Lichtenberg (auquel l'auteur a consacré une éclairante monographie), Machiavel, Wittgenstein et quelques autres mais sans excès, le propos n'étant pas de reconstruire une histoire de la philosophie moderne, mais de tenter d'apporter des solutions, des directions, des réponses pour aujourd'hui.

Nombreux sont les constats réalisés ici par l'auteur : l'impasse de notre actuelle civilisation - impasse qui comprend le risque accru de la destruction même de notre planète -, les grâces et les dangers du langage, le capitalisme, son fonctionnalisme, ses tumeurs de type totalitaire, ce que liberté devrait VRAIMENT signifier, l'Europe, ce que devrait être son possible rôle fondamental, l'universalisme, le retour plus que jamais urgent à ce qui fondait la philosophie des Lumières - avant qu'elles fut dévoyée et réduite au "raisonnable" d'une part et au "rationnel" de l'autre lesquels ne sont que de faux substituts, trompeurs, à la "raison" - qui se situent entre le «ose savoir» d'Emmanuel Kant et cette définition plus subtile de Lichtenberg : «Les Lumières consistent à avoir, dans tous les états de la société, des notions justes de nos besoins essentiels.» En des temps de superficialité exacerbée et de tout possible, n'importe où et à n'importe quel moment, mais sans forcément avoir le moindre pourquoi en réserve, voilà qui détone profondément, et nous rapproche étonnamment d'une pensée très écologique, si l'on s'en tient à l'étymologie.

Ces Esquisses, publiées une première fois en janvier 2016 chez les très précieuses et intelligentes éditions Allia, a connu depuis deux rééditions. La plus récentes refondant l'ensemble, sans en déformer le propos mais le rendant sans doute encore plus vif, insérant des intitulés à ces suites d'esquisses, les chapitrant en deux grands sous-ensembles, les réorganisant selon une logique plus fine. Remaniant, ici ou là, des textes qui disconvenaient à leur créateur.

En revanche, la première édition proposait, en son ultime cinquantième esquisse, une sorte d'excellent état des lieux de la pensée développée dans l'ouvrage qui la précédait, accompagnée de l'espoir, infime sans doute, que ces réflexions trouveraient ici ou là motifs à action et à bouleversement d'Un paradigme (autre titre, essentiel, de l'oeuvre de Jean-François Billeter) contemporain qui nous emmènerait, inexorablement, vers le pire, du moins pour l'humanité, notre belle planète en ayant vu bien d'autres avant nous, nul doute qu'elle saura s'en remettre, dut-elle y passer quelques centaines de millénaires. Voici, en conclusion, cette Esquisse 50 telle qu'elle était alors. Que dire, sinon que cet ouvrage est fulgurant, profond, terrible et vital dans un même temps. Qu'il peut se lire d'une seule traite et se relire dans toute la lenteur de ce qu'il prône par ailleurs : l'arrêt (une notion assez proche, il nous a semblé, de l'otium des latins mais pas si éloigné non plus de la méthode de pensée chinoise classique, Tchouang-Tseu en tête, ce qui n'étonnera pas le lecteur habituel de l'oeuvre de J-F Billeter). Prendre son temps. Laisser la pensée vagabonder avant que de la contraindre. Tout ce que nous parvenons de moins en moins à réaliser, sans doute...

Or donc, en guise de conclusion à cette chronique, qui mieux que Billeter pour résumer la pensée de Billeter, n'est-ce pas ?

Esquisse 50 de la première édition : «J'ai essayé de montrer de quel ordre est la crise dans laquelle nous sommes. J'ai cru pouvoir montrer que sa cause lointaine est dans l'invention du langage. Je crois avoir montré qu'aujourd'hui elle est sa cause première en chacun de nous du fait que nous sommes des êtres de langage. Mais parce que le langage nous donne le pouvoir de dire, nous avons en nous la cause du mal et son remède.

Tu as peut-être été dérouté, cher lecteur, de me voir embrasser dans ces quelques esquisses la tourmente qui risque de nous emporter et l'étude rigoureuse du sujet humain. Je l'ai fait pour tenter de tenir sous un même regard notre situation dramatique et ce que nous sommes, en plaçant au centre le sujet que chacun constitue pour lui-même et qui est le lieu où il peut agir, ou laisser naître l'action.

Je considère que la clé est dans la connaissance philosophique du sujet, c'est à dire dans la connaissance que tout sujet peut acquérir de sa propre activité, par son observation et son perfectionnement. Je considère qu'il est permis de concevoir une civilisation fondée sur une pédagogie qui, dès les premiers pas et dans toutes ses étapes, aurait pour fin cette civilisation même et pour contenu cette connaissance du sujet par lui-même.

Ces idées ont-elles la moindre chance d'avoir un effet ? J'en doute, mais je ne désespère pas tout à fait, et c'est pourquoi je prend la peine de les publier. Si elles n'en ont pas, les quelques personnes qui auront pensé comme moi connaîtront au moins la satisfaction d'avoir compris ou d'avoir cru comprendre, avant la fin, par où l'aventure humaine a échoué.

Addenda : le travail de la pensée est solitaire, mais les idées auxquelles il mène doivent ensuite se communiquer. Elles ont peu de valeur si elles restent le bien d'un seul. L'esquisse m'a semblé une forme propice à ce passage nécessaire, par sa brièveté et son inachèvement.»

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Jean-François Billeter part d'un constat : nous avons méprisé la raison des lumières... pour laisser les possédants en déformer le sens.... Et il nous incite à observer toutes sortes de choses dans toutes nos activités! Une chose que réclamait déjà Maria Montessori pour tous les enfants, pour qu'adolescents ils sachent trouver leur place dans la vie, une chose que revendique Temple Grandin pour les enfants autistes, dès le plus jeune âge... et ce qui est troublant, c'est que tant de gens en occident fasse le même constat : la négation de la raison en occident, du pouvoir qu'elle nous procure à nous rendre heureux et utiles, et par là trouver notre place dans la société... et il ne s'agit pas ici seulement d'anticapitalisme, car Billeter critique aussi le système communisme... alors que ni Maria Montessori ni Temple Grandin ne critiquent ni l'un ni l'autre... elles dénoncent seulement ce qui peut faire que quelque soit le système, on résout les problèmes en vivant heureux... et le pire c'est le manque de publicité accordés à ces gens qui semblent pourtant si bien s'accorder en prenant le problème par un bout qui leur est personnel : Jean François Billeter : sa connaissance de la philosophie occidentale et de la Pensée Chinoise, Maria Montessori : l'éducation de tous les enfants du monde quelque soit leur culture, en s'appuyant sur l'intégration des handicapés par l'éducation! et pour Temple Grandin, l'intégration des autismes par une éducation qui leur est adaptés, pour qu'ils puissent remplir des rôles spécifiques à leurs capacités dans la société... là o les autres ont besoin de coopérer avec eux... et quelques soit le bout par lequel on prend les problèmes actuels... ils faut bien l'admettre le remède est le seul : des activités adaptés à chacun avec des pauses pour observer ce qui permet d'améliorer tout système par une culture non pas hautement spécialisé, mais varié en expériences personnels...
Et si Maria Montessori nous parle du pouvoir absorbant des enfants, Temple Grandin nous parle des différentes formes de penser et de l'intérêt complémentaire de la pensée visuel.... Billeter nous parle de la pause mal comprise en occident, cet arrêt d'activité qui nous fait voir comment régler un à un chaque problème, comment faire surgir le Euréka... ce qu'à comprit la Chine depuis bien longtemps à force de jongler avec l'invisible par pragmatisme et non par démonstration.... Encore une fois un petit livre dense.... qu'il faut prendre le temps de lire quitte à faire des pauses justement quand les idées se rouillent....
Alors oui, pour bien comprendre non seulement on lira tous les grands maîtres du bouddhisme, du taoïsme, du confucianisme et autres philosophies orientales, mais on se plongera aussi, notamment dans les livres de Jean François Billeter, mais aussi de Maria Montessori et de Temple Grandin pour avoir une vision plus large du sujet et enfin mettre en pratique.... et vite c'est important!
Maria Montessori : commencer par l'Enfant, de l'adolescent à l'enfant, mais vraiment tout lire... y compris l'enseignement de la géométrie ( Psychogéométrie)
Temple Grandin : Ma vie d'autiste, l'interprète des animaux, Penser en imager, mais aussi ses interventions et les quelques interventions de sa mère sur You Tube!
Jean François Billeter : tout ce qui vous tombe sous la main mais plus particulièrement : Une Révolution de la pensée, Esquisses, L'Art d'enseigner le Chinois, le propre du Sujet, Héraclite le sujet....
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J'ai dégusté ce livre lentement; il m'a touchée, tant je m'y suis retrouvée. La simplicité et la justesse de l'écriture rendent accessibles ces esquisses qui s'enracinent dans la vie personnelle sociale et politique. Remarquable, comme l'étaient "Paradigmes" ainsi que les ouvrages sur Tchouang-Tseu. Merci à l'auteur."
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critiques presse (2)
NonFiction
09 janvier 2023
Depuis quelques décennies, le sinologue et philosophe Jean François Billeter poursuit son œuvre singulière aux éditions Allia. Chaque nouveau livre est l’occasion de développer et préciser sa pensée, via des renvois constants à ses précédents opus, ou, dans le cas présent avec Bonnard, Giacometti, P., de l’illustrer à l’aune de la création artistique et du récit biblique.
Lire la critique sur le site : NonFiction
Telerama
24 février 2016
Selon le philosophe et sinologue, pour observer et créer, il convient de se rendre disponible au monde. Sans craindre de se confronter à l'inconnu.
Lire la critique sur le site : Telerama
Citations et extraits (18) Voir plus Ajouter une citation
Cette rationalité nouvelle a rendu possible un renversement qui s'est produit en Angleterre, puis ailleurs en Europe. L'organisation du commerce était devenue si étendue et puissante qu'elle a imposé à la société sa propre logique, qui est celle du calcul, autrement dit de la pure fonction. Elle l'a imposée par une révolution que l'on dit industrielle, mais qui est surtout sociale. Les possédants ont créé par la violence une classe de dépossédés contraints de vendre leur travail contre un salaire au moyen duquel ils devaient ensuite acheter leur moyen de subsistance. L'existence des dépossédés a été soumise au calcul des possédants - dont l'existence s'est elle-même trouvée soumise au calcul. Tout devait être quantifié pour que tout fût soit acheté, soit vendu avec profit. Ce nouveau système, qui s'est ensuite étendu de l'Europe au monde entier, a créé un monde vide de sens - car la fonction ne crée pas de sens. Elle ne connait pas d'autre fin que son fonctionnement. Toutes les tentatives qui ont été faites pour donner un sens à ce système vide de sens ont engendré des idéologies monstrueuses et provoqué des catastrophes. Tels ont été les XIXè et XXè siècles.
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Les états-majors de la finance et de l'économie actuelles obéissent à la loi de l'infini parce qu'ils s'en tiennent à l'idée que ce qui fonctionne doit fonctionner et que ce qui prolifère doit proliférer. Leur pensée se limite à cela - si l'on peut appeler pensée ce qui n'est qu'un automatisme intériorisé. Ils agissent comme le cancer. Ils sont persuadés que le malade sera sauvé quand ils l'auront définitivement privé de ce qui lui reste de défenses immunitaires et n'opposera plus aucune résistance à leur logique. Ils ne peuvent concevoir autre chose. Ils le peuvent d'autant moins que leur "pensée" est désormais automatisée et travaille toute seule, touchant instantanément le monde entier. C'est le stade de la métastase généralisée. Mais un tel développement a tout de même une limite : la mort du patient.
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Comment appeler cette part d'ombre et de nuit qui est la part majeure de nous même ? Je l'appelle "corps". Je donne donc à ce terme un sens nouveau. Par "corps", je désignerai dorénavant tantôt l'ensemble de l'activité dont nous sommes faits et qui comprend le phénomène de la conscience, tantôt, relativement à la conscience, l'activité qui l'engendre, la porte et la nourrit.
Cette idée de corps, de la conscience et de leur rapport diffère profondément de la conception commune actuelle. Elle exige un travail d'observation et de réinterprétation de notre activité que certains accompliront sans peine, d'autres plus difficilement. Elle implique un nouveau rapport à soi - et au monde, puisque notre perception du monde se produit au sein de notre activité.
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Le bouleversement s'est produit quand, au début de l'époque contemporaine, les possédants ont soumis la société entière à la loi du calcul et du profit : ils l'ont soumise de ce fait à la loi de l'infini. La loi de l'infini, la voici : une activité qui se résume à faire fonctionner un système n'a pas de fin, dans les deux sens du terme : elle n'a ni terme, ni but. Elle condamne à l'infini celui qui s'y livre.
Cet infini a deux formes : la répétition et la prolifération.
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La civilisation engendrera un art de vivre au cœur duquel se cultivera l'art du langage, non par quelques-uns pour se distinguer, mais par tous.

J'observe quotidiennement une évolution qui va dans le sens opposé. Le langage dépérit parce qu'il est rongé par le jargon simpliste des affaires, de la gestion et de l'informatique et par les dialogues indigents et mal traduits des séries télévisées américaines. Plus profondément, le langage régresse parce qu'il est soumis de plus en plus à la loi du fonctionnement et tend à ne plus être qu'un adjuvant de systèmes qui, idéalement, devraient se passer de lui pour bien fonctionner.
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