Le 18 septembre 1968 les forces de l'ordre mexicaines envahissent l'universite autonome (l'UNAM) dans la capitale Mexico et evacuent tous ses occupants, professeurs et etudiants. Une jeune fille se cache dans les w.c. du dernier etage et restera cachee la pendant treize jours.
Bolano s'empare de cette histoire et fait de la jeune fille l'heroine de ce roman. Il la nomme Auxilio. Auxilio en espagnol veut dire aide, secours. Et si on y ajoute un point d'exclamation, auxilio!, cela devient au secours! Ce sera donc une heroine qui au fil des pages passera du role de la bonne samaritaine a celui de la lanceuse d'alerte pour finir en celui de pleureuse de tragedie.
Auxilio nous livre un monologue ou elle mele present passe et futur, action, pensees et reves. Un monologue qui commence par conter, au sortir de sa cachette, son quotidien, ses petits travaux pour survivre, ses rencontres avec nombre de poetes et d'artistes, toute une galerie, de vrais noms d'espagnols exiles comme Leon Felipe, des mexicains que le lecteur doit deviner (“le petit gros qui travaillait au ministere de l'Interieur a attendre que le gouvernement mexicain lui accorde une ambassade ou un consulat quelconque” est a l'evidence
Octavio Paz), et des jeunes inventes ou deguises sous de faux noms que nous avions deja rencontre dans “
Les detectives sauvages", comme Arturo Belano (l'alter ego de
Bolano). Pour ces derniers elle sera “la mere de la poesie mexicaine".
Ce monologue s'engage graduellement dans une certaine irrealite pour se hisser vers la fin jusqu'a des descriptions de paysages et de tableaux humains fantasmagoriques, de visions oniriques qui – tout lecteur le comprend aisement bien que cela ne soit en aucun cas explicite – commemorent le massacre de centaines d'etudiants dans la place de Tlatelolco en octobre 1968, et pleurent leur sacrifice.
Bolano ecrit 30 ans apres le massacre, mais pour lui “hacer memoria es hacer resistencia", faire memoire c'est faire resistance. Et il eleve sa lamentation, depassant le cas particulier du massacre de Tlatelolco, sur tout un collectif, forme par tous les jeunes latino-americains victimes de guerres et de dictatures, toute une generation sacrifiee: “Je les ai vus. J'etais trop loin pour distinguer leurs visages. Mais je les ai vus. Je ne sais pas si c'etaient des jeunes de chair et d'os ou si c'etaient des fantomes. Mais je les ai vus. […] Ils marchaient vers l'abime. Je pense que je l'ai su des que je les ai vus. Ombre ou masse d'enfants, ils marchaient inexorablement vers l'abime. […] Ils chantaient. Les enfants, les jeunes chantaient et se dirigeaient vers l'abime. […] Et je les ai entendus chanter, je les entends encore chanter, maintenant que je ne suis plus dans la vallee, ils chantent tout bas, un murmure presque inaudible, les enfants les plus beaux de l'Amerique latine, les enfants mal nourris et les bien nourris, ceux qui ont tout eu et ceux qui n'ont rien eu, quelle jolie chanson sort de leurs levres, comme ils etaient jolis, quelle beaute, meme s'ils marchaient cote a cote vers la mort, je les ai entendus chanter. […] Tout ce que j'ai pu faire fut de me mettre debout, tremblante, et d'ecouter jusqu'au dernier soupir leur chant, d'ecouter toujours leur chant, car meme si l'abime les a avales, le chant est reste suspendu dans l'air de la vallee, dans le brouillard de la vallee qui, au crepuscule, montait vers les flancs et les escarpements de la montagne. […] Une chanson a peine audible, un chant de guerre et d'amour, parce que les enfants partaient sans doute a la guerre mais ils le faisaient evoquant les gestes dramatiques et souverains de l'amour. […] Et meme si le chant que j'entendais parlait de guerre, des hauts faits heroïques d'une generation entiere de jeunes Latino-Americains sacrifies, j'ai su que par-dessus tout ce chant parlait de la bravoure et des miroirs, du desir et du plaisir. Et ce chant, c'est notre amulette”.
C'est un livre court. Comme un rajout aux “Detectives sauvages", dont il reprend des personnages, des lieux. Une oeuvre mineure? Peut-on parler d'oeuvres mineures chez
Bolano?