"Un bateau, ça devient vite une succursale de l'enfer.J'allais bientôt découvrir à quel point c'était vrai" confie le narrateur de ce récit d'épouvante.
Ce jeune commis d' apothicaire ("ridicule et méchant" expérimentant ses sirops sur des animaux), cet orphelin d'un père aux neurones détruits par les émanations chimiques de son usine et les spectacles sadiques entrevus dans un théâtre d'automates dont les tueries firent scandale dans le passé; ne rêve que de fuir sa ville natale portuaire.
Mais n'est-ce pas fuir un quotidien angoissant pour une horreur plus grande encore? le "navire monstrueux", sur lequel il s'embarque est dit hanté. Les épaves convoitées dans cette chasse au trésor (à l'aide de substances chimiques expérimentales) de l'équipage recèlent des secrets démoniaques, surtout l'une,
L'épave (d'où le titre).....celle des "écorcheurs"!!!
J'avoue préférer du
Brussolo moins sanglant, style thriller moyenâgeux (ex:
Le Manoir des sortilèges,
L'Armure de vengeance..), mais il faut reconnaitre, pour qui aime le fantastique, que
Brussolo navigue avec brio sur les vagues de la folie.Il manie le suspense dans
L'épave et sait susciter l'intérêt du lecteur déjà amateur d'histoires de pirates ou de fantômes. Il oppose les forces du bien et du mal (démoniaques avec exorcisme à l'appui).Il remue les peurs ancestrales de chacun: comme ici la phobie des araignées (ou l'émasculation chez les hommes, ou la possession avec perte d'identité, Il mélange l'imaginaire au réel (on se dirait dans un tableau surréaliste de
Dali où les montres côtoient la mort): les automates sont-ils vivants? Il brosse le portrait d'un personnage central fort crédible: crédule, à l'imaginaire nourri de légendes et de récits de pirates, fragile psychologiquement, traumatisé par un père s'adonnant à la vivisection, tenaillé par le démon de la curiosité.
Du grand art!
Quand un être bascule-t-il dans l'hallucination? s'interroge
Brussolo. Quand se laisse-t-il entrainer par des pulsions bestiales et pourquoi?
Sous le couvert d'un conte fantastique se déroulant sur un "bateau maudit" comme dans
Avis de tempête,
Brussolo dénonce aussi la cupidité humaine, sa cruauté, la vivisection,les expériences humaines inhumaines, la pollution chimique entrainant des dégradations psychiques et des malformations génétiques.
Avec toujours cette écriture imagée (ex: l'escalier est "une blessure de salpêtre ouverte dans la chair de la rocaille") et cette pâte inimitable, le maître du suspense dont
le chien de minuit, et moult autres ouvrages ont été primés, devient maître de l'angoisse, mais une ambiance de théâtre avec décors en carton pâte qui fait frissonner le lecteur sans toutefois le violenter comme un
Stephen King!