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EAN : 9782081421936
650 pages
Flammarion (01/11/2017)
4.5/5   2 notes
Résumé :
Madame du Deffand, la figure la plus énigmatique du XVIIIe siècle français... Qui est donc cette femme qui a tenu la dragée haute à Voltaire ? D où lui vient cette fantastique autorité ? Comment, sans avoir publié une ligne, sans avoir porté l un des grands noms de France, sans avoir joué le moindre rôle politique ou diplomatique, sans avoir même disposé d autres revenus qu une maigre pension, sans autre attrait ni savoir que ce qu on appelait alors « l esprit », co... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Un ami m'a offert voici quelques années la correspondance de Madame du Deffand avec Voltaire que j'ai beaucoup aimée. Voici quelques semaines, une amie fb a attiré mon attention sur un ouvrage de Benedetta Craveri consacré aux libertins et dont, me renseignant, j'ai découvert qu'elle avait également publié un essai intitulé « Madame du Deffand et son monde ». Ce dernier ouvrage est une réussite.

Née Marie de Vichy et sans fortune, la jeune femme épouse en 1718 son cousin, le marquis du Deffand de la Lande. Fait peu fréquent à l'époque, l'homme est amoureux de sa belle et intelligente épouse. Malheureusement, celle-ci le trouve tragiquement ennuyeux. Il est vrais qu'elle fait montre d'un beau tempérament au parfum de débauche qui la mène, un court moment dans le lit du brillant mais libidineux Régent. Susceptible et légitimement froissé, le Marquis se retire sur ses terres. Une séparation judiciaire consacre cet éloignement. Madame du Deffand respire et accède à une indépendance qu'elle n'abandonnera plus jamais.

Mais ce n'est pas tout ça : il faut se refaire une réputation. Alors, à partir de 1730, Madame du Deffand ouvre la seconde partie de sa vie : celle des salons. Elle devient une habituée de la cour de Sceaux, un petit monde qui gravite autour de la tyrannique duchesse du Maine qui, après avoir rêvé être reine de France, vit là un exil doré. Les lieux sont fréquentés par de grands noms tels Voltaire et Fontenelle et par d'autres, célèbres à l'époque mais que l'on a oublié comme Crébillon. Elle y noue des amitiés durables avec des piliers de salon comme le Président Hénault qui lui sera toujours attaché et qui est la quintessence même de l'homme du monde, « merveilleusement artificiel et fondamentalement insaisissable » . Elle se lie également avec l'énigmatique Formont, un proche de Voltaire ainsi qu'avec le très distingué comte de Pont-de-Veyle. Un trait commun distingue ces hommes raffinés faisant d'eux des virtuoses de la mondanité de ce temps: « le renoncement à leur personnalité là où elle pourrait entrer en conflit avec les exigences du milieu dans lequel ils se trouvent ». En somme, à cette époque, notre salonnière fait ses armes avant que ne commence en 1747 sa période faste : celle de Saint Joseph. Cette année-là, Madame du Deffand occupe, à Paris, dans le couvent de la rue Saint Joseph, les appartements de sa fondatrice, Madame de Montespan. Ce salon devient rapidement une institution, le lieu de rencontre de la haute aristocratie et des gens de lettres ou de savants comme D'Alembert.

Sa santé déclinant, presque aveugle Madame du Deffand appelle à ses côtés une jeune nièce, brillante et promises à un bel avenir : Julie de Lespinasse. La jeune femme devient la véritable attraction du salon. Une brouille s'en suit : Julie fonde son propre salon ; elle est suivie de nombreux fidèles. le déclin s'annonce pour Madame du Deffand. Pourtant la vie lui réserve une surprise de taille : en 1765, à près de 70 ans elle rencontre Horace Walpole, aristocrate anglais de 20 ans son cadet. Un étrange amour éclaire autant qu'il assombrit les dernières années de cette femme de tête : un amour sans réelle réciprocité vivifié de marques de sincère affection et terni de rebuffades parfois brutales. Madame du Deffand meurt en 1780 au terme d'une agonie d'une dizaine de jours durant laquelle, chaque soir ,elle met un point d'honneur à recevoir.

Le livre de Benedetta Craveri est captivant de bout en bout. Alternant récit biographique et extraits de lettre, il nous fait partager la vie insolite de cette femme qui a coutume de dire que son « plus grand désespoir est d'être née ». Sans cesse sujette aux vapeurs, cet autre nom de la « dépression », dormant le jour, vivant la nuit, Madame du Deffant se multiplie dans une sarabande de soupers et de réceptions venant bien à propos pour repousser , chez cette solitaire qui déteste être seule, le sentiment de l'extrême vanité de toutes choseset le spectre effrayant de l'ennui.

L'esprit vif, multipliant les bons mots, parfois cruelle, Madame du Deffand aime le mouvement de la conversation mais redoute la fixité de l'oeuvre écrite : aussi n'a-t-elle « rien » écrit, si ce n'est ces centaines de lettres qui sont une autre manière de prolonger la conversation. Comme Madame de Sévigné, la marquise du Deffand a l'art, de saisir son correspondant et de ne plus le lâcher. Comme l'a joliment exprimé Mona Ozouf, « son récit court la poste ». Ainsi par exemple parlant de son oncle : «L'archevêque de Toulouse avait un grand-père, ce grand père était mon oncle, cet oncle était un sot et ce sot m'aimait beaucoup ». Difficile de faire mieux…

Sa correspondance avec Voltaire puis avec Walpole retient particulièrement l'attention.

En Voltaire, elle a trouvé un alter ego, un frère en scepticisme, même si, chez ce dernier, ce scepticisme est nourri d'une forme d'optimisme et surtout d'un élan vital qui lui donne un sens . Voltaire est d'ailleurs souvent effrayé par le pessimisme profond de sa correspondante. Il tente sinon de la corriger, du moins de la rassurer, de la distraire de cette fascination du néant. « Ce n'est pas que le néant n'ait du bon, lui écrit-il, mais je crois qu'il est impossible de l'aimer véritablement malgré ses bonne qualités ». Comme Voltaire, Madame du Deffand s'est déprise des fables du christianisme mais, à la différence de Voltaire, cela ne suppose nullement qu'elle s'en estime davantage éclairée et encore moins consolée… Parfois, le ton des lettres se fait plus précieux, prenant l'allure d'une joute manquant ici ou là de naturel. Néanmoins, au fil des échanges perce un véritable attachement, une forme d'amitié un peu distante mais nourrie d'une profonde considération l'un pour l'autre. Cette légère distance n'est sans doute pas étrangère au fait qu'à l'époque, les lettres sont écrites avec la perspective d'être lues et montrées à un public choisi. Sans doute se mêle-t-il aussi dans cette amitié un intérêt bien compris qui en altère la spontanéité sans pour autant en offusquer la sincérité. Par sa proximité avec Madame du Deffand, Voltaire se ménage un accès bien commode aux grands aristocrates de l'époque tandis que sa correspondante doit une partie du retentissant succès de son salon à la caution intellectuelle du grand homme.

Cet intérêt bien compris se retrouve aussi dans la relation avec Horace Walpole, mais cette fois de manière asymétrique, d'où une suite d'échanges où l'inquiétude puis la frustration alternent avec une exaltation d'une naïveté touchante. Marie du Deffand, quasiment aveugle est tombée sous le charme de cet aristocrate délicat, au léger accent et dont une imperceptible lenteur à trouver le mot juste dans cette langue pour lui étrangère, souligne encore la douceur de la voix. Il est impressionné par cette femme de santé fragile mais d'une incroyable énergie. Il écrit des tombereaux de lettres à de multiples correspondants, s'étant mis en tête de les réunir en un recueil qui constituerait en creux un portrait du siècle et plus encore une célébration de sa propre gloire. Dans cette optique, l'homme craint plus que tout le ridicule ; d'où les remontrances souvent injustes qu'il inflige à sa respectable amie coupable à ses yeux d'enfantillages, de sensibleries qui ne sont plus de saisons.

Meurtrie et curieusement soumise à celui qu'elle appelle son « tuteur », Madame du Deffand anime jusqu'à l'extrême fin ce salon qui est sa raison d'être mais aussi le plus sûr révélateur d'un malaise qui la poursuit depuis sa jeunesse et qui, dans ses lettres fait étrangement songer à l'Etranger de Camus : « J'admirais hier au soir la nombreuse compagnie qui était chez moi : hommes et femmes me paraissaient des machines à ressorts qui allaient, venaient, parlaient, riaient, sans penser, sans réfléchir, sans sentir : chacun jouait son rôle par habitude.(…)Je pensais que je n'avais parfaitement bien connu personne et que je n'en avais pas été connue non plus et que peut-être, je ne me connaissais pas moi-même. »

Ce beau livre de Benedetta Craveri ainsi que la lecture de la correspondance avec Voltaire puis avec Walpole m'ont ému. J'ai le sentiment, par-delà les époques et les existences passées, de m'être fait une nouvelle amie littéraire qui, sur les rayons de ma bibliothèque voisine maintenant avec Montaigne qu'elle a si bien compris, comme en témoigne cette lettre à Walpole : «Montaigne, (…) on y trouve tout ce qu'on a jamais pensé; et nul style n'est plus énergique ; il n'enseigne rien parce qu'il ne décide de rien ;c'est l'opposé du dogmatisme : il est vain et tous les hommes ne le sont-ils pas ?Et ceux qui paraissent modestes ne sont-ils pas doublement vains ? le je et le moi sont à chaque ligne ; mais quelles sont les connaissances qu'on peut avoir, si ce n'est par le je et le moi ? Allez, allez, mon tuteur, c'est le seul bon philosophe et le seul bon métaphysicien qu'il y ait jamais eu".
Style direct et nerveux, lucidité,profondeur de l'analyse sous les couleurs plaisantes de la légèreté feinte, tout Madame du Deffand est là.
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