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sur 4350 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Flaubert se joue de son héros. Au moment où Frédéric peut mourir dans un duel, le combat est avorté. Au moment où il croit être ruiné, un héritage lui tombe dessus. Au moment où son amour prend forme, il cherche ailleurs.
Les idéaux amoureux, politique, artistique et social ne sont pas détruits par la ruine, la mort ou la misère mais par l'ennui et le désoeuvrement. Flaubert personnifie le mal du siècle.

L'histoire est écrite avec un style implacable: des envolées lyriques de plusieurs lignes s'effondrent en une phrase, des pans de vie entiers sont résumés avec des ellipses de quelques mots. Et puis il y a Paris, dépeint avec le regard du narrateur: un regard de sensations, de ressentis qui distingue Flaubert d'un Hugo romantique, d'un Zola naturaliste ou d'un Balzac réaliste. Il n'appartient à aucune école. Il est moderne avant tous les autres.

À plusieurs reprises, on pénètre les états d'âme du héros. Quand il voit la révolution, on ne se bat plus. “Les blessés qui tombaient, les morts étendus n'avaient pas l'air de vrais blessés, de vrais morts. Il lui semblait assister à un spectacle.” le héros est passif, désengagé, pathétique. Il croyait aspirer à un idéal mais ne gardera de son amour qu'une mèche de cheveux et de ses meilleurs souvenirs une virée chez les courtisanes. Son détachement leur rendrait presque attachant.

Chaque épisode de l'Éducation Sentimentale écrit sur le besoin d'exister sans toujours y voir de sens et Flaubert annonce le nouveau roman, le roman sans le romanesque et le rend universel.
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Je n'aurai pas l'outrecuidance de critiquer ce chef d'oeuvre, tant il est riche et célèbre, beaucoup d'autres et pas des moindres l'ont fait avant moi. Je me contenterai de rappeler qu'il conte l'histoire d'un jeune provincial de 18 ans, Frédéric MOREAU, qui vient faire ses études à Paris dans une période pour le moins troublée. Il fait ainsi l'apprentissage du monde, auprès de M et Mme ARNOUX, de ROSANNETTE, de M et Mme DAMBREUSE, de ses amis DUSSARDIER, HUSSONNET, DESLAURIERS, et tant d'autres fréquentations.
Langue éblouissante, personnage magnifiquement campés, analyse des évènements politiques, tout y est.
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L'Éducation sentimentale
Gustave Flaubert (1821-1880)
Au temps des gilets rouges : un classique incontournable.
Ce roman de Gustave Flaubert paru en 1869 et que l'auteur a mis cinq ans à écrire, fait partie des oeuvres incontournables de la littérature française, ces oeuvres qui De Balzac à Stendhal vous en imposent par leurs richesses et les émotions qu'elles suscitent. Après Madame Bovary et Salammbô, je relis cette oeuvre qui tout en étant moins connue que la première et moins ostentatoire et luxuriante que la seconde, n'en est pas moins subtile par le pouvoir de suggestion qu'elle recèle.
Paris septembre 1840, quai Saint Bernard, sur le vapeur à aubes « Ville de Montereau » : Frédéric Moreau 18 ans, bachelier, est de retour pour les vacances vers Nogent sur Seine où vit sa famille, avant de revenir faire son droit à Paris.
Il croise d'abord un certain Jacques Arnoux qui rapidement s'avérera être un personnage hâbleur, vulgaire et malicieux, marchand de tableaux, puis sa femme dont il ne peut détacher ses regards, ébloui par sa beauté, accompagnée de la petite Marthe.
Arrivé chez sa mère, il ne songe plus qu'à revoir la famille Arnoux, et en particulier Marie.…
Avec son ami de collège Charles Deslauriers, ils s'exaltent mutuellement, tous deux rêvant d'amours de princesses dans des boudoirs de satin, ou de fulgurantes orgies avec des courtisanes illustres. Ils se retrouvent à Paris. Frédéric a vite fait de ne plus aller aux cours régulièrement et sombre dans le désoeuvrement. L'esprit occupé par Marie Arnoux, il cherche à la rencontrer. Désespéré de ne la point voir, il reprend ses cours.
Enfin le jour vient où Jacques Arnoux invite Frédéric à dîner chez lui. Il est ébloui par Marie :
« Il regardait attentivement les effilés de sa coiffure, caressant par le bout son épaule nue ; et il n'en détachait pas ses yeux… »
S'instaurent alors les dîners du jeudi au cours desquels Frédéric ne parle guère, se contentant de contempler Marie. Il songe au bonheur que cela serait de vivre avec elle, mais il est incapable d'action, s'accusant de lâcheté, tournant dans son désir comme un prisonnier dans son cachot. Il aime Marie sans espoir de retour. Animé d'une trop grande réserve, pusillanime et timoré, il ne réussit pas à exprimer sa passion, se contentant de rêver.
Pour être plus proche de la maison Arnoux, il prend des cours de peinture avec Pellerin, un ami du groupe, peintre de son état. Frédéric découvre rapidement qu'Arnoux a de nombreuses maîtresses.
Par la suite, Frédéric choisit de sortir avec une des maîtresses de Jacques, une certaine Rosanette, appelée la Maréchale par ses amis. Il estime avoir le droit de n'être pas vertueux avec la maîtresse de son ami puisqu'il l'a toujours été avec Marie. D'autant plus que Rosanette est une femme facile qui fait naître le désir chez Frédéric dès qu'il la voit :
« Elle mordait dans une grenade, le coude posé sur la table ; les bougies du candélabre devant elle tremblaient au vent ; cette lumière blanche pénétrait sa peau de tons nacrés, mettait du rose à ses paupières ; la rougeur du fruit se confondait avec la pourpre de ses lèvres, ses narines minces battaient ; et toute sa personne avait quelque chose d'insolent, d'ivre et de noyé qui exaspérait Frédéric, et pourtant lui jetait au coeur des désirs fous. »
Peu à peu Frédéric mène une vie misérable, allant de l'une à l'autre tout en devenant le parasite de la maison Arnoux.
Il s'entiche de Louise Roque, son ancienne voisine qu'il a connu adolescente. Marie qui suspecte la chose est désespérée. Alors Frédéric craignant de la perdre, se déclare enfin à Marie :
« Ils s'imaginaient une vie exclusivement amoureuse, assez féconde pour remplir les plus vastes solitudes, excédant toutes joies, défiant toutes les misères, où les heures auraient disparu dans un continuel épanchement d'eux-mêmes, et qui aurait fait quelque chose de resplendissant et d'élevé comme la palpitation des étoiles… Frédéric tremblait de perdre par un mot tout ce qu'il croyait avoir gagné…Bientôt il y eut dans leurs dialogues de grands intervalles de silence. Quelquefois, une sorte de pudeur sexuelle les faisait rougir l'un devant l'autre. »
Survient la Révolution de 1848 avec son cortège de violences (350 morts) et surtout les revendications des femmes. C'est la fin de la Monarchie de Juillet qui en 1830 au terme des Trois Glorieuses de juillet avait mis fin à la Seconde Restauration et au règne de Charles X pour installer la maison d'Orléans au pouvoir en la personne de Louis Philippe.
Guizot le président du Conseil est balayé et Louis Philippe le roi doit fuir. La Seconde République est proclamée et Louis Napoléon Bonaparte élu Président des Français. Plus tard en juillet on assiste à des émeutes sanglantes à Paris qui font 5000 morts. Plus tard encore, en1852, Louis Napoléon Bonaparte au terme d'un coup d'état sera proclamé empereur des français sous le nom de Napoléon III.
Ce roman, sur fond historique, est le roman des amours dévoyées de Frédéric qui courtisa tout à la fois Marie Arnoux pour le prestige, Rosanette pour la sensualité facile, Louise pour la dot considérable, et Madame Dambreuse, femme de banquier pour ses relations, sa noblesse, sa richesse, sa dévotion, sa pudeur dans la dépravation pensait-il, afin d'accéder dans le monde supérieur des adultères patriciens et des hautes intrigues.
Frédéric est persuadé que pour plaire aux femmes, il faut étaler une insouciance de bouffon ou des fureurs de tragédie. Frédéric est un prédateur qui vit de mensonges dont il se divertit. Laquelle de toutes ces femmes l'aura pour elle seule ? Pourvu de toutes les ambitions, désireux de posséder gloire, richesse et amour, va-t-il être ramené au niveau commun par la vie, les circonstances et sa propre faiblesse ? Installé dans le désoeuvrement de son intelligence et l'inertie de son coeur, saura-t-il vivre autrement qu'en petit bourgeois rentier ?
En vérité on n'a pas l'impression que Frédéric nourrisse un dessein d'envergure et soit porté par un grand idéal. Se voulant artiste, tant en musique qu'en peinture ou littérature, désireux de réussir en politique, il restera un velléitaire s'en remettant aux circonstances qui pourraient lui être favorables, avide de grande passion, sensible aux grands clichés romantiques malgré sa fréquentation de Deslauriers, son meilleur ami, un jeune avocat à l'esprit pratique et ayant les pieds bien sur terre. Un ami qui jouera un double jeu tout au long de l'histoire. D'autres personnages républicains socialistes gravitent autour de Frédéric, Dussardier le commis de boutique généreux mais aux idées courtes, Sénécal un futur Saint Just.
Ce roman est aussi une peinture minutieuse de la société des années précédant la révolution de février 1848 qui mit fin à la Monarchie de Juillet et chassa du trône Louis Philippe. C'est également une analyse détaillée des forces politiques en présence à cette époque. Flaubert met en scène des personnages aux destinées parallèles qui aboutiront en 1848 à une faillite morale, intellectuelle et surtout politique qui expliquent que Louis Napoléon, fils de Louis Bonaparte et de Hortense de Beauharnais, neveu de Napoléon Ier, sera l'unique Président de la Seconde République, le premier chef d'état français élu au suffrage universel masculin, puis deviendra empereur des Français quatre ans plus tard pour être le dernier monarque du pays jusqu'en septembre 1870.
Il faut savoir que Flaubert a assisté aux événements politiques dont il parle dans ce roman ; les événements qu'il décrit, il les a vécus sur le terrain. Il est connu qu'il existe peu de documents aussi précis sur la période évoquée : Flaubert a fait oeuvre d'historien et d'archiviste qu'il a su allier à son don d'observation pour faire un roman inoubliable dont l'impartialité et l'objectivité dans sa peinture de la vie politique et des ses conséquences est à noter.
On a pu dire qu'avec ce chef d'oeuvre, Flaubert a ouvert la voie à Zola, Proust et Maupassant en France, à Joyce, Kafka et Faulkner à l'étranger.
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Comme pour chaque livre, la seule question qui subsite une fois la lecture achevée est de savoir s'il m'a suffisamment plu, interpellé, questionné ou émerveillé pour que je souhaite me replonger un jour dedans et parcourir une nouvelle fois ses pages. La réponse est oui, à mon sens c'est un chef d'oeuvre qui mérite d'être lu et relu, étudié, disséqué. Je recommande vivement sa lecture à toutes et tous.
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En apparence, c'est un banal trajet en bateau, descendant la Seine depuis les contreforts de l'Aube jusqu'à Paris. En réalité se nouent là deux coeurs et deux destins. Frédéric Moreau et Marie Arnoux entremêlent, sur le pont de La-Ville-de-Montereau, leurs vies pour plus de trente ans. Nous sommes en 1840, et Frédéric Moreau quitte son Nogent natal pour commencer des études de droit à Paris. Bénéficiant d'une jolie pension qui lui vient de sa mère, Frédéric y retrouve Deslauriers, son ami d'enfance, moins argenté mais intellectuellement plus brillant. S'ouvrent bientôt les portes d'une bonne société à laquelle Frédéric, par ses origines familiales, semble promis. Fréquentant le couple Arnoux, la famille Dambreuse et d'autres esprits conservateurs ou bien révoltés, tels Hussonnet, Cisy, Martinon ou Dussardier, Frédéric traverse onze ans de vie politique et sociale du milieu du dix-neuvième siècle, de la monarchie de Juillet à l'irruption du Second Empire, en passant par la deuxième République. Roman très largement incompris et violemment rejeté lors de sa parution en 1869, L'éducation sentimentale concentre, dans le personnage de Frédéric Moreau, tout à la fois l'esprit d'un auteur - Gustave Flaubert - d'une génération et d'une époque. le roman constitue aussi une révolution littéraire, préfigurant les oeuvres du vingtième siècle, marqué par le pessimisme et la médiocrité des personnages du roman. On peut alors lire le titre, remarquable par sa pudeur, son équilibre, l'invite qu'il constitue, comme une annonce de la fin des illusions, qui est une manière d'éducation, de formation à la vie et au monde.

Le dossier documentaire et les nombreuses notes de bas de page fournies dans l'édition du Livre de Poche démontrent bien, en premier lieu, le travail titanesque de Flaubert pour écrire son roman. Celui-ci est imbriqué au plus profond de la réalité, de laquelle il prend tout, effaçant ainsi la plus ténue des frontières entre le roman et la réalité. Il en va ainsi des événements politiques, de la durée et des modalités des trajets pour rallier Fontainebleau depuis Paris, des meilleurs exemples de peinture mettant en scène des enfants. Par sa propre expérience ou par l'aide de ses amis écrivains, Flaubert ne veut pas écrire une oeuvre de sa seule imagination ; puisqu'il faut décrire une génération et une époque, que le livre en soit le reflet exact, alors rien ne peut être laissé à l'approximation d'un souvenir, au petit bonheur d'une probabilité. Flaubert met aussi sa propre expérience personnelle, son vécu, ses idées dans ce roman. Emma, c'est moi, dit-il pour Madame Bovary ; Frédéric, c'est un peu lui aussi. Par leurs origines nogentaises et donc par leur caractère provincial, d'abord, par leurs idées politiques, par certaines de leurs actions (le fait d'avoir assisté, en spectateur, aux événements de 1848) enfin, Frédéric et Gustave se ressemblent. Cette proximité du réel, pour l'époque, étonne, et suscite les rejets, au motif que les choses par trop normales ne doivent pas être sujets de roman. de la même façon, c'est cette fidélité au réel qui justifie l'absence de pics dramaturgiques au sein de l'oeuvre. Les grandes secousses sont celles de l'Histoire, et encore ; les événements de 1848 sont vus par un oeil extérieur, celui de Frédéric, qui a l'art de se tenir en dehors de tout danger, celui de Flaubert, qui relate, tel un historien ou tel un peintre, les faits tels qu'ils se sont passés.

Frédéric Moreau est alors autant un personnage qu'un prétexte. Son parcours évoque celui des hommes de sa génération, de sa classe sociale. Moreau, c'est Flaubert, et les hommes tels que Flaubert, et cette moitié de dix-neuvième siècle agitée par les revendications politiques, héritière de la Révolution, de l'Empire et de la Restauration. Cette façon qu'a Flaubert de restituer le monde par ces descriptions qui caractérisent le roman (jusqu'à susciter le mépris d'un écrivain tel que Barbey d'Aurevilly) n'ont pas qu'un but esthétique (bien que celui-ci ne doive pas être sous-estimé). Les années 1840 reprennent vie par les tissus des robes, le mobilier des demeures aristocratiques ou des chambres ouvrières. Là encore, Flaubert fait oeuvre d'historien : pour raconter la mésaventure financière de Moreau, qui perd plusieurs dizaines de milliers de francs à la suite d'une opération mal jugée, l'auteur prend ses informations auprès de ses amis, demande quelle action a fait un bond spectaculaire. Mais l'époque, évidemment, est restituée par les débats politiques et les événements qui conduisirent d'abord à la chute de Louis-Philippe, en 1848, puis à celle de la deuxième République, avec le coup d'État du futur Napoléon III en 1852. Lors des discussions avec les Hussonnet, Sénécal, Regimbart ou Deslauriers, toutes les affaires du temps ressurgissent : scandales politiques, débats, déplorations. Heureux le lecteur contemporain qui s'en remet aux notes de bas de page, tant les évènements décrits s'adressent d'abord au lecteur contemporain de Flaubert. Cet attachement à la description de l'actualité de ces années font deux choses : il ancre, lui aussi, le récit dans le réel (on pourrait d'ailleurs dire que seul le nom de Frédéric Moreau est fictionnel ; ni son parcours, ni ses opinions, ni ses amitiés ne le sont vraiment). Il dit aussi beaucoup de la personnalité de Frédéric, et finalement de l'époque, qui sur toutes choses a une opinion, des idées nobles que le beau discours sert à défendre, mais qui, parce que le sujet du roman n'est pas dans ces disputes politiques, montre aussi un détachement quant à ces idées. Moreau est spectateur de son temps, il n'en est pas acteur. Ce n'est pas le cas de ses amis : tous peuvent, à un moment, subir leur époque, et certains savent en tirer parti. Deslauriers, l'ami proche, rêve d'abord belliqueusement tout en donnant des cours particuliers ; ses désirs de fondation de journal meurent à cause de l'inaction de Frédéric, mais il parvient à trouver une place, d'abord au service de la République, et du Second Empire enfin. Hussonnet, qui partage un temps les désirs journalistiques de Deslauriers, accède lui aussi à un poste de pouvoir, tout comme Martinon, qui fait d'abord un beau mariage avec la fille Dambreuse avant d'accéder à la Préfecture. Sénécal, évidemment, symbolise encore mieux cette sinuosité des parcours que l'époque oblige. Homme d'idée qui embrasse avec véhémence le socialisme, Sénécal n'a pour lui que sa pauvreté, qui le met en-dessous des autres. Contremaître dans la fabrique de faïence des Arnoux, il est l'archétype de l'idéologue, pourvu de rage mais point de sentiments. Son opposition caractérielle avec Dussardier est manifeste : Dussardier, homme du peuple, bon et généreux par nature (ainsi l'épisode des quatre mille francs, ou encore celui des cigares que lui apportent Moreau et Hussonnet), est tué par ce même Sénécal, devenu homme de main de l'Empire. le parcours étonne. Sénécal semble être aussi en opposition avec Frédéric, qui voit tout en spectateur, quand Sénécal éprouve les événements jusque dans sa chair : ainsi les clubs dans lesquels les idées et les hommes se déchirent, ainsi la prison sur les quais de Seine, inhumaine, que connaît l'homme juste après les évènements de 1848. Voici donc ce que furent les hommes et l'époque, nous dit Flaubert : des idéalistes et des arrivistes se déchirant pour un peuple bon, et finalement victime, des aristocrates et des bourgeois mêlés dans le luxe de leurs demeures et le scandale de leurs conduites, des systèmes politiques accouchés de violence sous couvert d'idéaux politiques.

Il ne faut cependant pas se tromper. L'éducation du titre fait référence à un parcours personnel. C'est donc bien en suivant le personnage de Frédéric Moreau que l'on trouvera le sens de ce roman. Éducation au sens du roman d'apprentissage, dans la tradition romantique allemande, le roman de Flaubert l'est. Car Frédéric, arrivant à Paris, est bien un jeune homme plein d'illusions (les études de droit, la vie avec son compère Deslauriers ...), et lorsque nous le quittons, en 1867, il a déjà accompli une partie de sa vie, faite de voyages et d'amours insipides. Entre temps, les onze années que couvre le récit effectif (mettons de côté l'ellipse de quinze ans qui suit le coup d'État) nous font suivre Frédéric dans ce nouveau monde, si différent de son Nogent natal. Dès le début, ce parcours dans la vie parisienne est marqué par la volonté de retrouver Mme Arnoux, dont le mari fait commerce d'oeuvres d'art. Cette quête amoureuse rend tout secondaire pour Frédéric, à commencer par ses études de droit, qu'il achève à grand peine. Tel un adolescent saisi par les premiers émois de l'amour, Frédéric cherche, par tous moyens, à rencontrer et à passer du temps avec Mme Arnoux. Il se fait l'intime de Jacques Arnoux, dont il entrevoit déjà les penchants pour les mécanismes frauduleux. Peu à peu, ce milieu l'intègre, et Frédéric fréquente encore la prestigieuse maison Dambreuse, dont la puissance financière permet d'assurer un train de vie semblable à ses grandes heures nobiliaires. Les portes qui s'ouvrent à Frédéric sont autant des opportunités que l'on pourrait qualifier de professionnelles - ainsi la participation proposée par Dambreuse dans les mines de houille - que des manières d'éduquer son sentiment. Ainsi Frédéric, tout en vouant une adoration à Mme Arnoux - passion purement sentimentale -, entretient-il des relations, d'abord avec Rosanette, dite la Maréchale, maîtresse de Jacques Arnoux puis d'un vieillard richissime nommé Oury, ensuite avec Mme Dambreuse, avec laquelle un mariage est prêt d'être conclu après la mort de M. Dambreuse. Ces amours - qui n'ont pas le caractère passionnel - relèvent de la convention sociale. Ces femmes - la populaire Rosanette, l'austère Mme Dambreuse - entrent aussi en opposition avec la pureté morale de Marie Arnoux, élevée d'autant plus que l'ensemble des relations de Frédéric s'abaissent. Pour Frédéric, ces amours sont insatisfaisantes. Elles servent à donner le change, d'un point de vue social, à cacher aussi l'amour, inconvenant socialement, que Frédéric porte à Mme Arnoux ; instruments aussi qui servent à piquer la jalousie de Marie Arnoux, elles exaspèrent Frédéric autant qu'elles en font un homme du monde. de façon générale, le parcours de Frédéric est émaillé d'échecs. L'amour qu'il porte à Marie paralyse tout, empêche tout. Pareil à un aboulique, Frédéric Moreau manque toutes les occasions qui lui sont offertes, s'égare au dernier moment et demeure ainsi en marge de tout : des affaires économiques (il loupe ainsi les opportunités offertes par Dambreuse), de la vie politique (son incapacité à aller à Nogent pour consolider sa candidature à la députation le condamne), des alliances matrimoniales que les intrigues de sa mère ou les siennes propres lui promettent (ainsi du mariage avec Louise Roque, intéressant pour la fortune promise et attirant pour la proximité affective née dans sa deuxième phase nogentaise, mais dégradant par les origines familiales de Louise, simple fille d'intendant). L'éducation d'un jeune homme passerait donc par la désillusion et l'échec. L'idée, clamée et revendiquée, ne débouche jamais sur l'action, comme dans les clubs de 1848. Sans doute est-ce aussi ce pessimisme quant aux destinées humaines, augmenté de ce que ce Frédéric Moreau n'est en rien un héros, mais plutôt un jeune homme velléitaire et, faut-il utiliset le mot, par trop sentimental, qui condamna ce roman aux yeux de la critique. "Ils l'avaient manquée [leur vie] tous les deux, celui qui avait rêvé l'amour, celui qui avait rêvé le pouvoir.", écrit Flaubert à la fin du roman pour décrire, dans ce qui apparaît comme un épilogue au roman, les destinées de Frédéric et de Deslauriers. Illusions perdues, pense-t-on. Mais de tous les personnages, c'est bien Frédéric Moreau qui demeure le plus lamentable. Même ses adieux avec Marie Arnoux sont empreints de cette distance courtoise qui fait des aveux de l'amour la plus grande des audaces, la plus impensable des folies.

La narration de la médiocrité généralisée est cependant portée par un style d'une esthétique constante. L'éducation sentimentale est d'abord un art de la description, dont la première, celle des paysages fluviaux que traverse La-Ville-de-Montereau, rend à merveille l'ambiance de ces bateaux qui transportaient grands bourgeois et classes populaires. L'oeil de Flaubert décrit minutieusement son siècle et son monde : les grands raouts aristocratico-bourgeois, les tavernes simples, les intérieurs des hôtels particuliers ou des chambres sous toit ... Se servant de sa mémoire personnelle - ainsi l'un des menus décrits est-il celui qu'il dégusta lui-même -, Flaubert donne à son roman une consistance extraordinaire par le rendu des ambiances, des couleurs, des senteurs. Flaubert écrit comme un peintre, imagine des tableaux complets dans lesquels ses personnages évoluent. Pour les lecteurs contemporains que nous sommes, la plongée dans cette moitié du dix-neuvième siècle opère autant avec les descriptions des lieux et des choses qu'avec le rappel des nombreux faits d'actualité qui scandalisent la société. Cependant, cette irruption constante du réel dans le roman a aussi pour objet d'appuyer le réalisme assumé du roman, lequel est ancré dans l'histoire récente du pays, et ne cherche guère à offrir au lecteur quelque élan lyrique ou moral. En cela Flaubert s'oppose au romantisme, dont Frédéric serait un personnage archétypal, lui dont les élans du coeur conditionnent les choix de vie. Avec L'éducation sentimentale, le roman semble prendre la vie à bras le corps, dans laquelle les hommes d'action - comme le sont Hussonnet, Arnoux, Rosanette ou Deslauriers - se débattent contre le courant de l'Histoire tandis que les âmes pures - tels Frédéric ou Marie Arnoux - sont emportées par lui, y perdant là toute chance d'amour ou de prospérité. Si les premiers vivent probablement avec quelques remords, les seconds, à l'image de la scène finale, mourront sans doute avec des regrets.
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Lu une première fois pendant les années lycées (?), j'en avais un souvenir assez flou. Relu presque 20 ans (!) plus tard, j'y trouve un plaisir assez fou.
Même si de nos jours Frédéric n'a décidément rien de séduisant, cela n'impacte en rien la belle écriture de Flaubert. J'en veux encore, peut-être relire Mme Bovary ..
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Dans ce volume, Gustave Flaubert revient sur le parcours sentimental de Frédéric. Ce jeune homme porte un amour démesuré et intense pour Madame Arnoux. Véritable madone, cette femme mariée inaccessible et mystérieuse ne cesse de le fasciner.

Lorsque Frédéric l'aperçoit pour la première fois sur le ponton d'un navire, il est foudroyé par cette rencontre. Installé à Paris pour ses études, il cherche désespérément à la revoir et finit par devenir ami avec son mari, Monsieur Arnoux. Ce marchand d'art incarne les vicissitudes de la petite bourgeoisie entre affaires douteuses et infidélités.

Grâce à cette relation avec son époux, il se lit durablement à la famille. Pourtant, l'impossibilité de sa relation avec Madame Arnoux vient essouffler cet amour de jeunesse. de nouvelles rencontres féminines arriveront-elles à briser une relation fantasmée ?

Double masculin de Madame Bovary, Frédéric par sa candeur romantique nous transporte dans sa relation avec la figure angélique et vertueuse de Madame Arnoux. Porté par une plume aussi éblouissante que moderne, ce roman nous expose, à travers le regard de Frédéric, un amour romantique mais aussi les basculements politiques de toute une époque.

Je vous invite à dévorer ce grand classique de la littérature d'une beauté incandescente.
Lien : https://memoiresdelivres.wor..
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C'est un roman qui traverse entre autres les évènements de 1848. Au début du livre Frédéric Moreau a 18 ans et vient de passer son bac. Il va passer ses vacances chez sa mère qui a beaucoup d'espoirs en lui. Il rencontre Madame Arnoux, femme d'un homme d'affaires douteux. Sa vie d'adulte va tourner autour d'elle. On fait la connaissance aussi de son ami de promotion Deslauriers. Les deux jeunes hommes sont ambitieux. Frédéric va poursuivre sa vie à Paris. Il y rencontre un couple de bourgeois les Dambreuse. Il fait la conquête de Madame mais s'en détourne rapidement. En réalité au fur et à mesure de l'histoire on s'aperçoit que Frédéric mène une vie médiocre. Rien ne lui réussit véritablement. Frédéric rate l'opportunité de se lier à Madame Arnoux et finit par se consoler dans les bras d'une autre, Rosanette qui est en même temps la maîtresse d'Arnoux et de Cisy... Un moment là mère de Frédéric lui fait miroiter un mariage avec l'héritière d'un riche bourgeois Louise, mais il préfère d'autres ambitions. La Révolution éclate. Au final, l'histoire racontée signe l'impuissance de Frédéric à établir quoique ce soit de solide dans le monde...
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Un texte sur l'aspect nihiliste de Flaubert :
Y a-t-il écrivain plus nihiliste que Flaubert ? Même Céline avait Bébert ou Molly qui éclairaient d'une faible lumière le voyage. Cioran, peut-être, pourrait rivaliser avec la noirceur du vieil ours atrabilaire De Croisset… On chercherait en vain une lumière qui donnerait un sens aux chemins de croix ou aux jeux de massacre dans lesquels sont jetés les personnages de Madame Bovary, de salammbô ou de L'Education sentimentale : des martyrs sans sanctification, des révolutionnaires sans grand soir, des ambitieux sans réussite, des amoureux sans amour. Pas d'amour pour sauver Emma ou ce cocu sentimental de Charles, moqué, floué, foulé aux pieds par la Terre entière dès le collège ; pas d'échappatoire pour Frédéric et son ami Deslauriers, amers, déçus, battus à la fin de L'Education ; pas de révolution pour Dussardier, le naïf idéaliste tué par son ancien compagnon Sénécal ; pas de résurrection pour Mathô, mais un supplice christique bien sanglant ; rien, nada. Sur les cadavres des naïfs, des sots et des faibles grimpent les goules froides — les Sénécal, les Homais — pour accéder au trône des monstres, des imbéciles et des salauds. Flaubert dévore ses personnages comme le Moloch de salammbô engloutit les victimes sacrificielles qu'on lui enfourne dans la gueule. (suite sur le lien)
Lien : https://julienphilippe4.wixs..
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« Il voyagea.
Il connut la mélancolie des paquebots, les froids réveils sous la tente, l'étourdissement des paysages et des ruines, l'amertume des sympathies interrompues.
Il revint.
Il fréquenta le monde, et il eut d'autres amours encore. Mais le souvenir continuel du premier les lui rendait insipides ; et puis la véhémence du désir, la fleur même de la sensation était perdue. Ses ambitions d'esprit avaient également diminué. Des années passèrent ; et il supportait le désoeuvrement de son intelligence et l'inertie de son coeur. »

Voilà, vous êtes convaincus!
Je pourrais me contenter de cet extrait, on est d'accord?! Parce qu'il résume à merveille tout ce qui fait l'immense talent de Flaubert : l'écriture d'abord, concentrée, précise, et belle, évocatrice et souvent lyrique.

Il y a l'ironie aussi et la prise de distance par rapport à ses contemporains, ce constat amer des années écoulées vainement et de l'inutilité des espoirs jamais concrétisés.

Ce constat, c'est Frédéric Moreau, son personnage principal, qui l'incarne : il se berce de douces illusions de réussites, de rêves d'amour idéal, avec Mme Arnoux notamment, mais au final, il ne fait rien, l'action lui demeure étrangère.
C'est le roman de l'échec donc : qu'il soit amoureux, intellectuel ou politique, parce que les personnages de Flaubert ont toutes les peines du monde à sortir des plaisirs faciles,de leurs petits calculs mesquins pour réaliser de grandes et nobles choses.
Flaubert n'était pas vraiment optimiste sur la nature humaine, on s'ennuie aux côtés de Frédéric, on a envie de le secouer pour qu'enfin il agisse, son indolence est horripilante, mais rien n'y fait,il passe sa vie à la manquer.

Tout est génial dans ce roman: l'incroyable galerie de personnages, la chronique des bouleversements politiques de la France entre 1840 et 1851, le duo Mme Arnoux la raisonnable/Rosanette la courtisane, de « l'apparition » de l'amour sur le navire des premières pages, à l'amitié de Frédéric et de Deslauriers qui conclue le roman, j'ai tout aimé!

Un immense chef d'oeuvre que je suis tellement heureuse d'avoir découvert, enfin !
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