Premier livre que je lis de ce
Prix Nobel...et apparemment je ne suis pas le seul !
Un jeune couple Asle et Alida et leur enfant quittent leur village pour s'installer non loin de la bourgade de Bjorgun. En fait, ils fuient car Asle est un assassin. Ils changent de nom pour se faire appeler Olav et Asta. Olav va quitter sa femme pour aller au bourg lui acheter un beau bracelet. Là, après quelques brèves rencontres, il est reconnu, dénoncé et arrêté. Il finira quelque temps plus tard sur le gibet, au bout d'une corde.
Voilà la trame. Elle est bien mince. Une tragique histoire d'amour dans la Norvège rurale.
● Visiblement ce qui intéresse Fosse ce n'est pas tant le fond que la forme...et là on est servi.
Serait-il un émule de
Flaubert qui rêvait de « faire un livre sur rien...ou le sujet serait presque invisible si cela se peut. » On est en plein dedans. Tous ses efforts se concentrent sur l'écriture, sur le style, faisant fi de l'intrigue. Ainsi par le seul prestige de la langue, ce rien devient une oeuvre d'art. Il illustre aussi parfaitement le credo du Mexicain
Rulfo : « A l'écrivain, il faut lui laisser le monde des rêves, non de la réalité. » Bref trouver d'autres voies, d'autres moyens pour dire le monde.
● Dans ce livre le récit progresse le plus souvent dans l'oralité, sans aucune pause, dans une langue dépouillée, privilégiant les non-dits, incorporant dialogues et monologues, sans ruptures de ton, sans points, sans majuscules ou presque (
Mathieu Belezi a dû apprécier !), passant dans une même phrase du présent au passé (p82), jouant avec les temps comme avec les lieux.
● C'est la répétition, l'anaphore, la redite -le rabâchage allais-je dire- qui caractérisent son style. C'est un procédé ancien -repris abondamment par Péguy- que nous retrouvons dans les chansons, les variations musicales, l'Ancien Testament, et plus encore dans les litanies d'Ėglise...comme une prière.
Mais là où Peguy, grâce à ce procédé littéraire - que
Gide lui a tant reproché - et en jouant avec les sons faisait jaillir souvent une admirable poésie toute empreinte de musicalité – sa fameuse petite musique – je n'ai pas ressenti la même chose chez Fosse, du moins dans une autre langue que la sienne. Cependant, chez lui, cette technique est loin de perdre toute sa vertu, notamment celle de faire pénétrer le lecteur dans un monde onirique, et de créer un rythme susceptible de l'envoûter ... ou de le faire fuir.
● Pour cette question de musicalité ,et à laquelle il semble si attaché d'après ses déclarations, je ne suis pas sûr que le français puisse rendre toutes les sonorités de la langue des fjords. Ces fjords qui miroitent et qu'il dépeint dès le début et à plusieurs reprises et de la même façon, comme s'ils étaient inséparables de son identité.
● Olav a tué, alors, comme dans les Ecritures, celui qui a tué sera tué à son tour car qui « frappe par l'épée périra par l'épée. » Lui ne pourra échapper à son tragique destin et sera pendu. Mais aucun pathos, tout se passe comme si Olav était dans un rêve, comme si sa conscience était éteinte et qu'il n'était pas acteur de son destin. Mais l'histoire d'amour va continuer de façon poétique – avec un final que la Marie N'Diaye de Trois femmes puissantes devrait adorer- tous deux vont « s'envoler par dessus le fjord miroitant et bleu » et s'enfoncer, inséparables, dans le ciel bleu se tenant par la main. Et le lecteur est subjugué par tant de beauté ! Waouh !
Comme quoi le tragique peut être aboli et magnifié grâce au talent d'un
Prix Nobel de littérature.
Chacun appréciera.
● Pour ma part je suis content d'avoir découvert cet auteur -l'anti Ernaux par excellence - mais, ne voyant pas trop où il a voulu aller, si ce n'est faire une littérature innovante, je n'éprouve pas l'envie d'aller plus avant dans son oeuvre romanesque et lire toute sa trilogie ; son théâtre peut-être : plutôt l'écouter que le lire mais encore faudrait-il que ce soit dans son norvégien vernaculaire.