Les HugoHenri Gourdin
Si vous voulez tout savoir sur la famille Hugo, du patriarche tutélaire Victor à son épouse Adèle, ses cinq enfants, ses deux petits-enfants, ses arrière-petits-enfants, les familles alliées à la sienne par mariage, lisez
Les Hugo de
Henri Gourdin.
Que dis-je à partir de Victor ? Non! A partir de ses ancêtres, tous laboureurs lorrains, de son grand-père,
Joseph Hugo, devenu menuisier après avoir quitté la campagne, un homme qui a dix neuf enfants de deux femmes différentes ! le quinzième fils du menuisier n'est autre que le père de Victor, Joseph-Léopold-Sigisberg Hugo qui s'est engagé dans l'armée à l'âge de 15 ans et est élevé au grade de général d'Empire.
Le livre se compose donc de longs chapitres dont chacun est consacré à un membre du clan. Dans la famille Hugo, donnez-moi la mère Sophie Trébuchet, le frère Eugène atteint de folie, Léopold, le premier fils, très tôt disparu, mort à l'âge de trois mois, vite remplacé par Léopoldine, la fille aînée, le fils Charles puis François-Victor et Adèle et ainsi de suite.
Cette biographie a donc le mérite d'être précise et complète mais présente pourtant un défaut si on lit les chapitres d'affilé, celui d'être souvent répétitif parce que les faits se recoupent, ce qui est parfois un peu fastidieux.
L'héritage des générations Hugo
Henri Gourdin a une thèse affirmée en écrivant cette biographie : il veut passer la vie de
Victor Hugo au crible de la psychogénéaologie, science qui explique au fil des générations l'incidence des ancêtres sur la formation de l'individu, son comportement, sa représentation, ses vices et ses vertus, ses points forts et ses peurs. Il relève ainsi tout au long de son analyse, les points communs qui existent entre les générations, les comportements récurrents et en fait le bilan : « une fidélité dans l'infidélité sur le plan conjugal, un amalgame amant-parrain, la renaissance de l'enfant-mort, un tendance à la domination du mâle. » mais ces traits prépondérants auraient tendance tendance à s'estomper après la troisième génération.
Pour donner un exemple : Victor ne se séparera jamais d'Adèle ni de sa maîtresse
Juliette Drouet , de même que son père épousera sa maîtresse après la mort de Sophie. Et de même que Lahorie, l'amant de Sophie fut choisi comme parrain (il est peut-être son père biologique), Victor choisit pour parrain de sa seconde fille, son ami
Sainte-Beuve dont il connaît la liaison avec Adèle. Et l'on retrouve cette caractéristique sous des formes différentes aussi bien chez son fils Charles que son petit-fils Georges et à un degré moindre son arrière-petit fils Jean.
Victor Hugo, un falsificateur, un tyran domestique
Le biographe a aussi un but, celui de révéler au monde ce qu'occultent les autres biographes qui suivent docilement -dit-il- la légende fabriquée par le poète, celle d'un mari, d'un père, d'un grand-père parfait alors qu'il multiplie les infidélités, séquestre sa maîtresse en titre, exige la soumission de son épouse et de ses enfants et les sacrifie à ses ambitions et à l'éclat de son nom. Image parfaite d'un héros qui a tout abandonné pour l'exil alors que son départ lui permet grâce à la popularité qu'il en tire de vendre à des sommes fabuleuses son livre
Les misérables ; mythe d'un homme proche du peuple mais qui, pair de France, brigue les honneurs et aime l'argent. Gourdin veut démontrer que la vie de Hugo est fondée sur le mensonge, la vision idéalisée qu'il donne de lui-même, de son père, de sa vie de famille …
Il a décrypté, en effet, toutes les falsifications apportées par
Victor Hugo pour valoriser son nom et sa lignée. Pour ne citer qu'un exemple, le poète dont les ancêtres sont laboureurs et menuisier, se fait appeler vicomte, titre accordé par Joseph
Bonaparte à son père en même temps que le grade de général lors des guerres napoléonienne en Espagne : comte Hugo de Cogolludo y Sigüenza. le nom sonne bien mais ces distinctions seront invalidées très vite par Napoléon.
Victor Hugo apparaît comme une sorte de monstre névrosé, hanté par ses fantômes, dévoré d'ambitions, avide de reconnaissance, n'aimant que lui-même, asservissant tous ceux ou celles qui dépendent de lui, véritable tyran insensible ou indifférent aux souffrances de ses enfants à qui il ne laisse aucune liberté de même qu'à ses petits-enfants, se servant d'eux pour sa gloire, allant jusqu'à traiter sa petite-fille Jeanne de « matériau littéraire »
Comment lire après cela la poésie inspirée par ses enfants, ces vers dédiés A ma fille Adèle :
Tout enfant, tu dormais près de moi, rose et fraîche,
Comme un petit Jésus assoupi dans sa crèche ;
Ton pur sommeil était si calme et si charmant
Que tu n'entendais pas l'oiseau chanter dans l'ombre.
.. sans penser à ce qu'il a fait subir à Adèle, maintenue dans le culte morbide de son aînée disparue, déboussolée par les séances occultes de Jersey, tables tournantes pendant lesquelles le fantôme de Léopoldine échappait à la tombe. Une Adèle prisonnière de l'exil de son père et qui sombre dans la dépression à Guernesey, dont les talents de musicienne et de compositrice sont étouffés, une Adèle que Hugo déclare morte quand elle s'enfuit pour suivre un amoureux qui ne veut pas d'elle. Il interdit à sa mère et à ses frères d'aller la voir.
Henri Gourdin accuse Hugo de l'avoir enfermée dans une institution psychiatrique à son retour alors qu'elle n'était pas folle. Difficile à croire ? Non ! C'est ce qu'a fait
Paul Claudel pour sa soeur Camille. C'était le sort, au XIX et au début du XX siècle des femmes qui affirmaient leur volonté contre leur père, leur frère ou leur mari et se voulaient indépendantes. Et l'on sait que le cas d'enfermement de femmes pour aliénation dans des asiles n'était pas rare ! le fait même qu'elles ne soient pas dociles et qu'elles veuillent sortir du rang qui leur était dévolu était déjà considéré comme une anormalité. La misogynie était violente à cette époque et la femme avait le statut de mineure placée sous la tutelle du père puis du mari.
Mon avis sur cette biographie
L'on ne peut nier à l'auteur la parfaite connaissance de tout ce qui fait la vie de
Victor Hugo dans ses moindres détails même les plus intimes. Il a épluché toutes les
correspondances entretenues par Hugo, sa famille, ses proches, qui, tous, ont le don, la passion, la manie de l'écriture. Des milliers et des milliers de lettres. Il connaît tous les témoignages des amis ou ennemis du grand homme, des écrivains contemporains, des hommes politiques, des journalistes, d'Adèle, de
Juliette Drouet. Jamais, la vie d'un écrivain n'a été aussi documentée, aussi commentée. Il a même, grâce au carnets de notes de l'intéressé, la liste de ses nombreuses maîtresses jusqu'aux petites servantes qu'il dévoyait et payait dans la maison de sa femme, des bordels qu'il fréquentait, toute une foule de détails sordides dont l'homme si parfaitement épris de sa famille, du moins selon l'image qu'il voulait en donner, ne sort pas grandi. Toute une vie bâtie sur le mensonge.
Cependant, je n'ai pas été convaincue par les analyses psychanalytiques auxquelles le biographe se livre : une explication franchement rocambolesque de la mort de Léopold, le premier fils de Hugo notamment ou, encore, une remise en question par le biais de la psychanalyse de l'amour de
Victor Hugo pour sa fille Léopoldine. Si H. Gourdin reconnaît que Hugo n'a jamais été incestueux, il sonde l'inconscient du poète et en déduit que cet amour n'était pas normal. Il me semble que les faits sont assez explicites, que les torts de Hugo envers ses enfants, son égoïsme, sa tyrannie, sont assez évidents sans en rajouter encore en le psychanalysant !
Pour finir, je dois ajouter aussi que j'ai été un peu surprise par la haine que
Henri Gourdin porte à son personnage. Certes le mari, le père, le grand-père Hugo est odieux, mais peut-être pas beaucoup plus, hélas, que la plupart des Pater familias de son époque et de sa classe sociale. Certes l'homme politique a changé souvent de camp et est plein de contradictions mais son courage est réel quoi qu'en dise le biographe, ses romans et ses
poésies qui témoignent du sort des pauvres, qui stigmatisent le pouvoir des puissants, ses écrits, ses interventions à la Chambre, sa célébrité mondiale, son aura, ont changé les mentalités, ont fait avancer les idées progressistes. Les causes qu'il a défendues sont belles : contre la peine de mort, contre le travail des enfants, la paupérisation des ouvriers, la tyrannie, la domination de l'église, pour la construction de l'Europe…
Pourtant le biographe critique même ce qu'il a de meilleur en Hugo en l'accusant d'être « sans programme », le décrivant comme un rêveur bavard et verbeux !
« Mais c'était un pair, un député, un sénateur-poète, défendant une société idéale sortie de son imagination, accaparant la tribune pour de longs exposés de projets utopiques » .
Car la répulsion que
Henri Gourdin éprouve pour l'homme Hugo semble s'étendre à son oeuvre et à tout ce qu'il a fait !.
Bien sûr, il reconnaît son talent et lui concède quelques mérites, mais l'on s'aperçoit que c'est pour les minimiser plus tard :
« Il fut certainement un père et un grand-père déplorable, un pervers narcissique avant la lettre, un vieillard sénile…. Il fut aussi, la légende sur ce point tangente la vérité, un opposant résolu à la peine de mort et à la dictature de Napoléon II, un romancier innovant, un poète de haut vol, un chroniqueur d'élite. »
Ouf! Tout de même ! Cependant, précise-t-il, si
Victor Hugo s'est opposé au coup d'état de 1851, il n'a couru aucun véritable danger. Napoléon II n'aurait pas été assez stupide « pour aller s'encombrer d'un héraut du peuple mort sous ses balles. » et d'ailleurs : « l'exil est ce qui pouvait arriver de mieux à
Victor Hugo à ce point de sa carrière politique et littéraire. »
Enfin, si
Victor Hugo est si célèbre, ajoute-t-il, ce n'est pas pour « l'importance de son oeuvre » , «
Balzac est beaucoup plus fort » mais parce qu'il a su « se forger et entretenir une légende par une stratégie de communication qui fut une des premières et une des plus avisées de l'histoire. » de même
Les Misérables est une oeuvre « ingénieuse » mais si elle connaît un tel succès dans le monde entier et a inspiré autant d'adaptations au théâtre et au cinéma jusqu'à nos jours, c'est parce qu'elle a bénéficié de « l'habileté commerciale de son auteur. »
Libre à lui de préférer
Balzac mais s'il y a habileté commerciale de la part de Hugo, il faut reconnaître que celle-ci a la vie longue jusqu'au XXI sème siècle !
H Gourdin pose même la question de la « dépanthéonisation » du grand écrivain !
« Victor au Panthéon, est-ce irréversible?
Sachant ce qu'il saura à la fin de ce livre, le lecteur pourra se demander si le vécu de
Victor Hugo justifie de le montrer en exemple aux générations montantes… »
Décidément,
Henri Gourdin me semble dépasser la mesure !
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