Nageur de rivière (The river swimmer)2013
Jim Harrison
deux courts
romans
traduit de l'anglais (Etats-Unis) par
Brice Matthieussent, 2014
Flammarion, 257p
Après avoir vu le film de
François Busnel,
Seule la terre est éternelle, qui présente
Jim Harrison aux portes de la mort, j'ai eu envie de me (re)plonger dans l'oeuvre de cet écrivain dont j'avais lu Aventures d'un gourmet vagabond. J'avais moyennenment apprécié le livre.
En revanche, j'ai beaucoup apprécié
Nageur de rivière, et j'avais l'impression de réentendre ce que dit Harrison dans le film-documentaire de
Busnel.
Les personnages principaux des deux courts
romans ou longues nouvelles, bref des novelas, sont séparés par l'âge mais se ressemblent par leur quête du bonheur ou plus exactement de réalisation d'eux-mêmes. Tous deux sont aux prises avec l'argent qui autorise tout, et l'injustice économique et la cupidité qui est la vertu première de la culture américaine.
Clive, 60 ans, protagoniste de la novela Au pays du sans-pareil, n'a pas réussi en tant que peintre, taxé de peintre décoratif alors qu'il fait de l'abstrait, et s'est reconverti comme expert en oeuvres d'art, conférencier, historien de l'art. Il a une jolie plume. Il est présentement en congé à la suite d'une altercation avec le groupe Les Têtes de l'Art, dont la meneuse a jeté un pot de peinture jaune (les peintres n'aiment pas la couleur jaune) sur son costume préféré. Ce congé tombe à pic ; sa soeur Margaret va faire un tour d'Europe et il doit soigner sa vieille mère qui n'y voit plus très bien et dont le hobby est la contemplation des oiseaux. C'est le retour au pays de l'enfance, le
Nord-Michigan, et les souvenirs surgissent, notamment celui de son premier amour.
Thad, le héros de la novela qui donne son titre au livre, est un ado, pas encore 18 ans, qui ne vit que pour nager dans tous les fleuves possibles. Il trouve sa liberté dans la nage et son bonheur dans la fascination qu'il éprouve pour les bébés aquatiques, d'étranges créatures aquatiques qui d'après une légende indienne se développent à partir de l'âme des nourrissons défunts, et qui sont un véritable miracle pour Thad ; du reste ils lui permettront de nager quand, après un accident, Thad sera immobilisé dans un plâtre. le jeune Thad a un corps parfait.
Dans ces novelas, on retrouve les thèmes que chérit Harrison, la nature, avec ici un focus porté sur les oiseaux et les fleuves, et un rappel de la pêche à la mouche dont la grâce et la paix inhérentes semblent attirer les écrivains, la gastronomie (Le Midwest est une région délaissée par la révolution gastronomique), le sexe, les femmes, la lecture. Thad et Clive, dont le peintre préféré est Caravage, sont deux grands lecteurs. l'éducation : quelques hommages sont rendus à des professeurs, le mystère qu'il faut explorer puisque 90 milliards de galaxies existent.
Les protagonistes sont très attachants, tout comme la mère de Clive qui y voit peu mais enregistre tout, et notamment que son fils est heureux quand il peint, et qu'il ne l'est pas dans son rôle de professeur. Et s'il est heureux, c'est parce que Clive a perdu l'importance d'être soi-même dans un monde qui le regarde. Seule la pureté d'intention sauve son âme pitoyable.
Au pays du sans-pareil est un roman très drôle : la relation entre le fils et la mère qui le reprend quand il confond un roselin familier d'un jaune très vif et une paruline à croupion jaune ; un plat de lasagnes est plus appétissant que les cuisses d'une fille ; Harrison relève les détails comiques : Tessa, l'ex-épouse de Clive, d'une riche famille épiscopalienne, adore dire des gros mots ; un type qui fait du jogging s'arrête pour manger deux hots-dogs au chou et fumer sous prétexte de se détendre.
Les deux novelas sont également riches d'informations : on apprend que les daims souffrent d'arthrose et pour se soigner mangent des pousses de saules ; essayer d'enseigner la créativité est la pire arnaque de notre époque ; si un écrivain n'a rien de particulier à dire, qu'importe qu'il ait un style exquis ?
Victoria de
Knut Hamsun est sûrement un livre à lire.
Ces agréables moments passés avec Harrison m'invitent à les poursuivre.