Usagi, le lapin du kamikaze dans
Pacifique (1) a certainement ouvert la voie à cet éloge du lapin de
Stéphanie Hochet. On la connaissait ailurophile, mais pas seulement !
L'auteure, s'étant nourrie d'une ample bibliographie indiquée en fin de l'essai, glisse en ouverture trois citations dont la première de
Howard Zinn fait mouche : « Tant que les lapins n'auront pas d'historiens, l'histoire sera racontée par les chasseurs. »
Stéphanie Hochet se fait donc la porte-parole des oreillards .Elle avoue avoir été déconcertée par les réactions des personnes à qui elle dévoilait le thème de ce livre. Mais ayant un Jeannot comme colocataire , elle a su s'intéresser à ses congénères et s'interroge sur le mépris dont ils sont entourés.
Elle explique comment elle en est venue à adopter un lapin…
Il y a eu le regretté Ragondin qui l'avait fascinée et conquise , semblable à une « pelote de laine grise ». Elle a été bouleversée par le poème que son ami écrivain
Jérôme Attal, lui a dédié dans un but lénifiant.
Puis elle a libéré Pilepoil de ses conditions peu enviables de huis clos. Une compagnie salutaire qui s'est avérée « un bain de jouvence », confie-t-elle tout en soulignant la différence entre lapin et lièvre. L'animal chassé est devenu domestique comme on le retrouve représenté sur des vases grecs. L'autrice retrace l'origine du petit fouisseur passé d'abord par la péninsule Ibérique, l'Italie, le pourtour méditerranéen.
Un détour par le Musée Cluny permet de débusquer les lapins blancs présents dans les différents tableaux de la Dame à la licorne, animal destiné aux nobles entre le VIII ème et XIII ème siècle, période où seul le seigneur avait le droit de chasser, mais les dames de sa cour pouvaient tester leur adresse en tirant à l'arc sur les lapins. La pureté virginale est évoquée avec un tableau du Titien .
On les retrouve pour Pâques, apportant les chocolats ( tradition germanique).
Rejoignons le musée de Vienne qui conserve la célèbre aquarelle le lièvre de Dürer. Un tableau qui questionne l'écrivaine ou encore celui d'Ajaccio qui possède des natures mortes du flamand David de Coninck, mettant en scène des léporidés que
Stéphanie Hochet décrit avec minutie.
La littérature fait également la part belle à ce mammifère. Souvenez-vous de vos livres jeunesse, du lapin blanc d'Alice de
Lewis Caroll.
L'écrivaine nous incite à lire
Watership Down de
Richard Adams, qu'elle considère comme « une épopée à la gloire des Jeannots », qui « donne à voir l'intelligence de la communauté des oreillards », « une communauté hiérarchisée rappelant la société humaine ».
Elle décrypte d'ailleurs ce roman de manière remarquable. A nous de découvrir son « idiome lapinesque ».
Simultanément, elle distille, non seulement des références littéraires (
Maurice Genevoix,
Giono,
La Fontaine., Lanzmann...) mais aussi cinématographiques ( Roger Rabbit), ou relatives à des dessins animés. On croise Luce Lapin ,journaliste engagée dans la défense des êtres vivants à poils ou à plumes. Des pistes à explorer pour le lecteur curieux.
Vous serez peut-être étonnés de cet engouement au Japon pour « les cafés à lapins », comme on connaît en France celui pour « les bars à chats ». Quoi de plus délicieux que de caresser « ces mignonnes boules de poils » ! Pas étonnant que tout jeune Japonais sait « qu'un léporidé vit sur la lune» et que « la créature lunaire fabrique des mochis » à déguster pour la fête de la pleine lune, « Tsukimi ». Deux villes japonaises( Tottori et Nagoya) livrent un culte fétichiste à l'animal.
Les lolitas nippones arborent « les accessoires à son effigie » ! Se complaisent-elles dans le monde de l'enfance ? Faut-il y voir un malaise, la peur d'entrer sur le marché du travail ?
Ces oreillards ont largement investi « la mythologie japonaise ».Ils sont même devenus l'attraction d'une petite île japonaise ( Okunoshima) où les voitures sont interdites pour le bonheur des touristes pour qui « il est si rare d'être la cible d'un gang de yakuza (2) herbivores à fourrure » !
Si « en Occident, les lapins sont représentés comme des êtres craintifs, insolents et rapides », au pays du Soleil Levant , ils incarnent les « voyous ou les combattants ».
Ces léporidés sont entourés d'une connotation érotique, « sont assimilés aux symboles lunaires et sont perçus comme l'image de la joie de vivre ».
Par ailleurs très fertiles, les conins (3) sont associés à la sexualité, il suffit de regarder le logo de Playboy ou de convoquer des expressions comme « un chaud lapin ».
Il est souligné dans des livres leur « tempérament pour la cabriole, la fréquence de leurs accouplements », ce qui a forgé le mot : «lapinisme » pour des humains.
« Les Grecs, eux, les ont associés à Artémis, déesse de la chasse, et aux quatre coins du monde, ils sont assimilés aux symboles lunaires ».
Les Anglais, qui ont milité pour la cause animale dès le XVIII ème siècle, ne sont pas en reste , surtout à l'approche de
Noël, avec le célèbre Peter Rabbit de
Beatrix Potter qui se décline en maints objets.
L'autrice ,très engagée pour le bien-être animal,végétarienne, enrichit nos connaissances sur les lagomorphes, les léporidés, décline le mot lapin en diverses langues ( rabbit,bunny, usagi) , passe même par le grec et le latin pour l'étymologie…et le réhabilite, mais rappelle aux enfants que ce ne sont pas des peluches vivantes. Elle livre un plaidoyer convaincant afin de cesser de « reléguer le lapin à un animal de seconde zone ».
Elle déplore ce fléau de la myxomatose qui a décimé Jeannot ,« la canaille aux longues oreilles » et « souhaite revoir les garennes dans nos campagnes ».
Par cet essai,
Stéphanie Hochet nous prouve que cette bestiole n'est pas si « insignifiante », qu'elle a d'ailleurs inspiré maints auteurs et cinéastes. Elle nous offre une bibliographie conséquente , et alléchante ! Elle a réussi à nous faire remarquer des lapins partout, même dans la mode. Qui va craquer pour un vrai lapin( « dont la frimousse répond aux critères du kawaii, mignon » ) ou pour un T.shirt , voire des chaussettes à l'effigie d'un bunny, à
Noël ?
(1)
Pacifique de
Stéphanie Hochet, éditions Rivages.
Grand prix littéraire de l'
Aéro-Club de France , automne 2021.
(2) Yakuza : membre d'un groupe de crime organisé.
(3 conin ou connin : lapin en vieux français. Terme que l'on retrouve chez
Apollinaire.