Encore un livre hybride, mi roman historique, mi non-fiction. Décidément c'est la série.
« Que s'est-il passé dans la vie de
William Shakespeare entre 1585 et 1592, de ses vingt et un à vingt-huit ans ? Personne ne le sait. Ce sont ces « années perdues » que
Stéphanie Hochet se plaît ici à imaginer ». Ce pitch ne pouvait que violemment m'attirer, même si je m'attends désormais à tout de la part de Stéphanie Hocher, ayant lu
Pacifique.
Et le récit imaginé par l'auteure aime à se laisser croire. Elle imagine le dramaturge régenté par un désir insatiable de faire une carrière théâtrale, et profiter de la venue à Stratford-upon-Avon d'une troupe de comédiens à laquelle il manque un acteur, pour partir avec elle. La joie permanente de
William, nullement amenuisée par les risques de peste, les villages branlant traversés et les dangers de la bruyante Londres, est prégnante. Il aime sa nouvelle vie. Il aime sexuellement sans préoccupation de genre. Il apprend le métier d'acteur, écrit de magnifiques poèmes et commence à gribouiller son
Henry VI. le texte brille de lumineuses allusions à ses oeuvres futures, le poète voyant un monde de fées autour de sa fille, imaginant deux armées se fracassant l'une sur l'autre ou imaginant déjà le lierre qui permet à l'amoureux d'atteindre le balcon de la belle.
Stéphanie Hochet donne aussi voix à Anne, la pauvre épouse abandonnée à Stratford, et il est difficile de pardonner ce choix au dramaturge, malgré l'énorme poids de son oeuvre sur l'autre plateau de la balance.
L'Angleterre de la fin du XVIe siècle qui nous est montrée est dépourvue de fastes et de luxe royaux. Elle est sale, voleuse, violente, saoule, mais assurément pleine de vie… et de mort. Dans ce contexte les comédiens sont présentés ainsi : « Ces renégats de la vie honorable sont le sel de la terre. Méprisés par les notables qui leur prêtent mille et un vices, poursuivis par des lois les accusant de vagabondage, ils sont les artistes dévoués aux imaginations foisonnantes, le miroir des personnalités vertueuses ou vicieuses ». Ils sont donc honnis, mais indispensables.
William va en rencontrer deux exemplaires hauts en couleur : l'inquiétant acteur Richard
Burbage et l'inquiet auteur
Christopher Marlowe.
Mais voilà. L'auteure ne nous permet pas de nous oublier dans son récit. Elle nous en sort en permanence, soit pour faire un commentaire sur un choix ou une « licence littéraire », soit pour rapprocher sa propre existence de celle du dramaturge. Les débuts de la vie de
Stéphanie Hochet n'ont pas été très joyeux, l'ambiance familiale empoisonnée. Durant le récit, l'auteure fait interagir
William et elle-même, recherchant similarités et explications croisées, au point qu'on se demande quelle vie influence vraiment l'autre. Je me disais prêt à tout avec Hochet ; ce n'était pas assez vrai. Elle joue avec le style et casse les codes convenus, probablement à la grande joie des critiques littéraires.
Ce que je ne comprends pas, c'est qu'elle nous dit que, étant jeune, elle s'immergeait dans les aventures de ses livres même en présence d'autres personnes. Et là, elle nous refuse ce plaisir en nous extrayant elle-même de son récit pour nous ramener à sa réalité.
Enfin, malgré cet agacement régulier, il faut dire que la lecture est très fluide et que les paragraphes se répondent bien. C'est finalement à chaque lecteur d'accepter le contrat.
J'ai lu ce livre avec Fifrildi et c'est toujours un plaisir d'échanger nos impressions. Merci à elle bizzz. Je n'ai plus qu'à lire une pièce de
Shakespeare pour poursuivre l'aventure.
Bientôt.