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sur 1067 notes
Quel livre ! Que de richesses en ces lignes et quel courage. Sans doute en fallut-il beaucoup pour tout déconstruire. Pour aller contre son temps et à contre-courant des appartenances. Pour ne pas feindre mais bien pour se garder, en intégrité, d'aller par l'avant à l'encontre, mais vers soi-même. Ne faut-il pas désapprendre pour mieux créer ? S'immerger dans l'eau gelée d'un lac, en ressortir purifié, quand nous malmène un langage intérieur qui crie d'évidence, aux normes arrêtées, désolantes à l'instinct. Pour avoir tout tenté n'avoir rien fait, que contenir un entre-soi à son corps défendant. Tandis que s'en aller renaître ! Passer le gué, d'opprobre en probité. Alors, il faut de la force pour se dresser à tout rompre, du rituel à l'emprise, de l'amitié au désaveu. Et puisque le temps nous est compté, de braver les esprits pour revenir aux sources ou dépérir, à moins qu'un mode ancestral nous ait rivé, condamné moitié pensé déjà jusqu'à sa propre reddition.
Alors, c'est triste et gai à la fois puisque c'est drôle. Ce Des Esseintes qui nous attache, qui nous relie entre ses murs et dans sa tête, si bien pourvu d'élans épars, si cultivé, en peinture, en littérature, en musique… Il nous y perd et nous nous y prêtons tant l'écriture est belle. Il nous bouscule et nous nous échappons de rythmes linéaires au sortir du commun.
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Un véritable monument de littérature et d'érudition.
Ce roman n'a pas d'intrigue. C'est le portrait de des Esseintes.
Portrait très complet, précis, raffiné d'un décadent de la fin du XIXème siècle.
Des Esseintes est le tableau vivant du mal-être, de l'ennui, de l'angoisse.
Après une vie sociale vouée à la recherche de son plaisir, sans aucune moralité, perverse, vouée à un ego surdimensionné, il se réfugie dans la solitude dans sa maison de Fontenay.
Sa recherche de sensations nouvelles et rares le mène à tous les extrêmes.
Avec un raffinement touchant à la perfection, il explore de nombreux domaines : l'aménagement intérieur, la décoration, la peinture, la lecture, la musique, la botanique…..
La description des tableaux de Gustave Moreau et d'Odilon Redon, par exemple, est éblouissante.
Mais la solitude le mènera à tous les cauchemars, à toutes les névroses, et le retour à la société, qu'il contemple avec cynisme, semble bien difficile à envisager.
Le langage employé par Huysmans est remarquable. Il manie la langue française avec excellence, les mots sont beaux, précis, rares (d'où le recours au dictionnaire fréquent). Je n'ai pas souvenir d'avoir lu de si belles lignes.
J'ai mis longtemps à lire ce livre, par petits morceaux quotidiennement savourés. le lire d'une traite aurait peut-être pu mener à l'indigestion par abus de richesse et de puissance.
Outre la culture littéraire, picturale, musicale…. il y a des moments délicieux qui donnent le sourire aux lèvres.
Un détail amusant : des Esseintes invente « l'orgue à bouche », qui n'est rien d'autre que « le pianocktail » de Boris Vian
J'ai passé grâce à Joris Karl Huysmans un grand moment littéraire que je ne suis pas prête d'oublier.
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J'ai longtemps hésité à rédiger une critique de ce livre qui a été une de mes lectures favorites pendant de longues années. Difficile d'écrire son ressenti lorsqu'il y a trop d'émotions ! Mais je vais essayer de dire en quoi ce livre me trouble ! Loin de m'identifier à Des Esseintes en tant qu'aristocrate dégénéré, c'est sa volonté de se retirer du monde qui me séduit et que j'envie. Cette possibilité de s'enfermer au milieu de ce qui lui est le plus cher, le plus précieux, artistiquement parlant, s'enivrant de la beauté de ses oeuvres d'art. Bien sûr, il est complètement névrosé, rejeton dégénéré d'une lignée familiale a bout de course et sa pathologie est à l'origine de son mode de vie. C'est d'ailleurs, en partie, ce que Huysmans dénonce. Mais qu'importe, il saisit la moindre subtilité d'une oeuvre, en apprécie ce qui en constitue l'originalité. Refusant la médiocrité du monde extérieur - à cet égard, son projet de voyage à Londres, s'achevant dans une taverne des environs de la gare Saint Lazare, est édifiant - il ne recherche que le beau, la perfection. Je sais que ce retrait volontaire le mène à une mort certaine, comme l'alertera son médecin, mais Des Esseintes est un esthète. On passera sur la perversité de sa relation passée avec ce jeune garçon dont il fera un voyou.
Concernant la forme, maintenant, Huysmans écrit un livre riche, d'un vocabulaire rare, précis, dont la description du monde de son personnage est d'une préciosité comme seuls, les auteurs du tournant du siècle savaient le faire. La description d'un monde décadent, finissant, témoin d'un changement d'époque où l'industrialisation règnera dorénavant en maître. Je pense entre autre à Jean Lorrain et à Rachilde. En peinture, à Klimt ou Moreau.
"A rebours" constituera toujours moi un refuge, une régression assumée , face à la vulgarité d'un monde qui est maintenant devenue la norme, acceptée par tous.
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C'est très bien écrit. Mais j'ai détesté. Voilà, c'est dit. le mec il s'ennuie, ben il m'a gravement ennuyée aussi... C'est de la masturbation intellectuelle du genre qui me GAVE GRAVE !

Une grosse déception.
Après un début assez sympa (le style est impeccable, c'est vrai), je ne m'attendais pas à avoir des avis (négatif, il n'apprécie que les écrits de ses amis ou presque, ahaha la bonne blague) sur l'ensemble des écrivains (dont je connais pas la moitié) précédant Huysmans pendant 3/4 du bouquin, entrecoupés de scènes barbantes sur la bouffe ou les délires (Le coup de la tortue, non mais...) de ce type que rien ne semble contenter jamais au bout du compte.

Je suis pas la dernière en cynisme, en général ça me parle, mais là, ben que dalle, ça m'a rien dit et amusée moins encore.
Sa sensibilité, je la cherche encore... de mon point de vue c'est juste un gros blasé antipathique et dédaigneux qui se croit supérieur à tout le monde et qui a la chance d'avoir du fric pour pouvoir se gargariser de sa soit-disant supériorité. Mais en quoi se goberger de considérations philosophiques et intellos qui tournent en rond (proche de la folie, en fait), le rend-il si supérieur ou si sensible ? Qu'il aille se battre pour bouffer, et on en reparle, de sa supériorité... Bref, ennui total = mauvaise note.

Edit : remarques en passant : une grande culture n'est pas synonyme de grande intelligence, mais de bonne mémoire, c'est tout. Et une grande intelligence ne nécessite pas forcément une grande culture. Pour moi, tourner en rond sur des considérations philosophiques parce qu'on ne trouve rien d'autre à faire de sa vie, c'est pas de l'intelligence, mais de la stupidité.
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Aux soirées de Médan, Zola tique. Comment peut-on écrire un roman pareil quand on se dit naturaliste. Huysmans aurait-il trahi la cause? Réponse: oui et il assume. Car il étouffe dans la routine qui s'installe dans cette école littéraire: "situer des personnages réels dans des milieux exacts", "c'est une école condamnée à se rabâcher, en piétinant sur place".

Et en effet, "A rebours"est un anti-roman. Il destabilise avec un lexique incroyable, un choix de mots étonnants pour toutes les fulgurances et les maux qui transitent dans un héros névrosé aux contours assez flous.

On l'aime parfois pour sa provocation dans ses goûts littéraires (on jette Hugo, on prend Verlaine), son érudition, son esthétisme- une prose de haut vol- et la lente descente de son héros dans la maladie mentale. Mais on le conchie souvent car c'est aussi un roman bavard, sans dialogue et sans relief narratif. Sans doute parce que Huysmans veut susciter des réactions.

Et il y a ce nom: Floressas des Esseintes. Floressas, un nom floral qui indique la principale source d'inspiration de l'auteur: "Les Fleurs du mal" de Charles Baudelaire. Horticulture, peinture, littérature et débauche. Tout est dit pour cet auteur finalement pas si catholique.
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"À Rebours" : encore une preuve, s'il en fallait, que pour ce qui est du destin d'un livre, mieux vaut celui de «long-seller» se bonifiant avec le temps que celui de «best-seller» d'un jour..!!
Huysmans, d'ailleurs, avait lui-même eu le sentiment, au moment où il l'écrivait, que le sien «ferait un four» et ne serait apprécié que par «une dizaine de lecteurs». (Un peu plus, tout de même, mais en rien comparable, en effet, à l'immense succès d'une littérature réaliste et naturaliste occupant largement le devant de la scène éditoriale en 1884, année de sa publication.)

Il est vrai que totalement à contre-pied du roman alors en vogue, en rupture de ban avec les canons littéraires et les valeurs progressistes et scientistes prédominantes en ce dernier quart du XIXe, à rebours aussi des attentes de ses meilleurs comparses, tel son grand ami Zola par exemple, ainsi que de ses propres lecteurs, habitués jusque-là à être abreuvés par l'écrivain à la source d'un réalisme consensuel, Huysmans lançait avec ce livre volontairement provoquant, transgressif et saugrenu, un véritable pavé dans la mare, un «aérolithe tombé du ciel» selon ses mots ! Un «OVNI littéraire», dirions-nous aujourd'hui.
S'il fut malgré tout accueilli par ses contemporains comme un authentique «hapax», admiré par ses compères, majoritairement salué par la critique pour l'audace et l'originalité du propos, sans pour autant bénéficier, donc, d'un franc succès auprès du public, avec le temps, l'ouvrage gagnerait de plus en plus de lecteurs, finissant par accéder au statut d'un des évangiles sacrés du «dandysme esthétique » et de l'esprit de «décadence», considérés comme une posture, un art de vivre et un style à part entière.

Témoin de la première heure également du culte qui serait voué au cours du XXe siècle à la «singularité» idiosyncratique, y compris sur le plan de la création artistique, «À Rebours» ne cessera en effet, en dehors des circuits de la production culturelle mainstream, par une sorte de capillarité discrète, de s'infiltrer, de séduire et d'influencer de plus en plus de lecteurs et d'artistes, depuis Oscar Wilde, qui s'en était inspiré ouvertement pour son célèbre «Portrait de Dorian Gray», jusqu'à Serge Gainsbourg, dont, semble-t-il, c'était le livre de chevet, en passant par le mouvement « décadentiste » de la fin du siècle dont il fut également l'un des principaux instigateurs.
Redécouvert par le grand public notamment à partir de années 1960/70, Huysmans aurait été étonné de constater que ses toutes premières estimations en termes de lectorat potentiel se seraient vu ainsi exponentiellement accroître, et que son livre, un siècle plus tard, tel un inoxydable Dorian Gray, n'aurait pas pris la moindre ride!!

Oeuvre d'esthète et de brillant critique d'art, à la fois synthèse de mouvements et d'auteurs plus ou moins en marge de la culture officielle, surgis durant la deuxième moitié du XIXe, avant-gardistes au moment de sa parution ou réservés toujours à un public d'initiés, ou bien entourés d'une réputation sulfureuse, tel Baudelaire (dont l'imaginaire, l'esprit et les motifs – visiblement sources principales d'inspiration, et pour l'auteur et pour son personnage- y seront omniprésents), représentés entre autres par Stéphane Mallarmé ou Tristan Corbière, Gustave Moreau ou Odilon Redon, Aloysius Bertrand ou Paul Verlaine, le roman développera, parallèlement, une thèse insolite et parfaitement anachronique accordant une place privilégiée à la notion de «décadence» dans le renouveau de la langue littéraire et de la création en général.
«À Rebours» se révèlera d'autre part être une fiction inventive, pittoresque et souvent comique, autour d'un personnage devenu emblématique, Des Esseintes , futur archétype moderne du dandy esthète et névropathe, égoïste et amoral, élitiste, misanthrope et intraitable.

Les aventures de Des Esseintes en quête de cette thébaïde où, en fin de compte, tout un chacun, n'est-ce pas, aura probablement songé au moins une fois dans sa vie à trouver refuge contre «l'incessant déluge de la sottise humaine», auront en revanche pour décor des contrées essentiellement intérieures, se déroulant la plupart du temps dans le quiétisme et la dans la plus grande immobilité, située à quelques encablures de Paris, à Fontenay plus précisément, où cet ermite d'une nouvelle catégorie déciderait de se retirer du monde au tout début du roman.

Dépourvu d'une vraie intrigue, rédigé avec une liberté de ton bluffante, ayant pour seul et unique credo l'envie d'aller à contresens de ce qui est communément admis, « À Rebours » est à classer sans aucun doute parmi les précurseurs de «l'anti-roman» du XXe siècle, genre qui atteindrait son apogée avec la notion contemporaine de «déconstruction» véhiculée par les courants postmodernistes.

Roman à (anti)thèse aussi, l'ouvrage semble se soustraire en même temps à toute tentative simple de réduction. Conservateur, anti-progressiste, mais aussi subversif et avant-gardiste, exalté et baroque, quoique sous certains aspects incisif et lucide, à la fois drolatique et profond, Huysmans s'avère seul maître à bord et, feinte sur feinte, mène la barque de son récit là où il veut bien la conduire. Et le lecteur par le bout du nez !! Toujours à contre-pied, par rapport aussi aux attentes et aux impressions que ce dernier essaie tant bien que mal d'assembler, la richesse et la qualité de la plume éblouiront et parfois assommeront par une érudition exigeante et superfétatoire; les excès, le «mysticisme dépravé et artistement pervers» vers lequel le personnage se sent irrésistiblement attiré, ou encore les penchants trop prononcés de celui-ci vis-à-vis «des idées au goût blet et les styles faisandés», amuseront et agaceront à tour de rôle son lecteur. Huysmans réussit diablement, par ailleurs, aussi bien à le mettre à grande distance de son anti-héros, qu'à lui faire à d'autres moments adhérer pleinement à son discours ! Et enfin, en mêlant les pistes à l'aide notamment d'un style indirect libre qu'il maniera avec beaucoup de dextérité, à se cacher à ses yeux ou, au contraire, à lui donner l'impression que l'auteur se faufile en douce derrière son improbable créature.

Chacun de ses seize chapitres de l'ouvrage est travaillé comme une pièce à part du décor en miniature du grand théâtre baroque du monde que Des Esseintes essaie de mettre en oeuvre, à sa seule fin et jouissance, dans l'espace aménagé rigoureusement selon ses plans de la maison de Fontenay.
De l'horticulture à la parfumerie, de «l'orgue à bouche» lui permettant de composer des symphonies gustatives, jusqu'aux caprices décoratifs qui lui feront glacer d'or et incruster de pierreries la cuirasse de sa tortue, il ne s'agira tant pour lui d'y jouer un rôle de spectateur privilégié du spectacle du monde, mais bien plus d'usurper celui du grand Architecte, et de recréer une scène artificielle construite exclusivement selon ses désirs et caprices, gardée sous son stricte contrôle, faite à son image et ressemblance.

Ne serait-ce pas là, d'ailleurs, que résiderait une des clés permettant d'accéder au sens caché derrière les foucades en apparence farfelues et arbitraires de son dandysme ?

S'il est vrai, comme le résumait bien cette formule succincte (énoncée par qui déjà..?), qu'au XVIIIe l'on avait réussi à supprimer les prérogatives du Roi, qu'au XIXe le même destin serait réservé à Dieu, avant qu'au XXe siècle l'on s'attaque en définitive à l'Homme lui-même, ne pourrait-on dès alors envisager ce «dandysme esthétisant» comme préfigurant en quelque sorte l'une de ces tentatives désespérées de lutter contre le sentiment d'absurde de l'existence qui verraient le jour et occuperaient progressivement l'esprit du XXe siècle, constituant l'un de ses défis majeurs ?

Malade, certes, mais aussi «acteur» dans le sens camusien du terme, hésitant entre l'imitation de Schopenhauer, son maitre absolu à penser, et celle du Christ, nourrie insidieusement par le paradis perdu de sa foi et par une solide éducation religieuse, ainsi que, d'autre part, par une forte angoisse de mort à l'origine de ses symptômes névrotiques, c'est par ses vains efforts de pouvoir vivre en autarcie, par son besoin de «franchir les limites de la pensée», par ses pathétiques élucubrations baudelairiennes autour d'une «extase par le bas» comme forme plutôt d'émancipation spirituelle que de débauche purement sensuelle, c'est en tant que démiurge pleutre, maladroit et risible, que Des Esseintes finit par toucher, voire susciter de l'empathie chez le lecteur.

«À Rebours» annoncerait-il ainsi, à un autre niveau et à grands renforts de métaphores, l'une des principales chimères des temps modernes : l'obsession à se singulariser face à la standardisation et à la mécanisation, à l'importance croissante accordée aux progrès techniques - au détriment des savoirs et croyances transmis de génération en génération-, face à la massification érigée au rang d'idéal «égalitaire» promu par nos démocraties modernes, devant ce que son personnage, reprenant encore une fois à son compte Baudelaire, dénonçait comme un nivellement par le bas - «médiocratie» des temps nouveaux.

"C'était aussi" - vitupérait-il déjà en 1884!- «le grand bagne de l'Amérique transporté sur notre continent, l'immense, la profonde, l'incommensurable goujaterie du financier et du parvenu, rayonnant, tel qu'un abject soleil, sur la ville idolâtre qui éjaculait, à plat ventre, d'impurs cantiques devant le tabernacle impie des banques».
Tout un programme!

À l'image de ces bonbons violets inventés par le célèbre confiseur parisien «Siraudin» que Des Esseintes affectionnait particulièrement, «À Rebours» serait en définitive une lecture au goût subtilement trouble et évocateur, entre le sucré et le givré, le praliné et le vinaigré.
Une friandise exquise à déguster avant tout par les amateurs de parfums composés, au bouquet inhabituel et équivoque, et en même temps curieusement familier - mais aussi, pourquoi pas, qui pourrait plaire tout autant à ceux en manque d'une certaine richesse de saveurs de la langue à déguster, aujourd'hui malheureusement en déperdition, et que celle de Huysman, absolument magnifique, saurait à mon avis parfaitement combler !


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J'ai plutôt apprécié l'A Rebours de Huysmans, pas tant pour l'érudition dont fait preuve l'auteur, au travers de son personnage de Des Esseintes, féru d'art, mais plutôt pour l'ambiance qui se dégage de cette écriture à la "désespérance teintée d'humour et volontiers provocatrice". Brandi dès sa parution comme l'expression même du mouvement décadent fin de siècle, cet ouvrage s'inspire clairement de la noirceur morbide de Poe ou Badelaire, m'a beaucoup rappelé La Confession d'un enfant du siècle de musset, et surtout Oscar Wilde. On y retrouve aussi sans doute le cynisme d'un Céline et les chants glauques de Lautréamont..
Les réflexions philosophiques pascaliennes se mêlent au pessimisme de Schopenhauer au travers de l'anti-héros Des Esseintes, dont l'expérience sans lendemain est à peu près le seul ressort du roman, qui reste immobile, immanent... et c'est aussi ce qui en fait la force.
Bref, un roman à ne pas lire durant les longues nuits mornes d'automne -déprime garantie-, mais remarquable. Bien que n'ayant rien lu de Houellebecq, je peux comprendre qu'il rende hommage à Huysmans. Loin d'être dépourvu de passion, l'anti-héros Des Esseintes la vit au contraire pleinement, dans un sens christique, développant une recherche éffrenée, désespéré, du beau et du plaisir artificiel, qui ne peut prendre fin que dans la mort... ou dans le refuge religieux... choix que fera plus tard Huysmans.
Qu'on ne s'y trompe pas, donc, cette lecture -alors qu'il ne se passe à peu près rien- n'a rien d'ennuyeuse : l'esprit torturé et la grande culture -les deux sont-ils liés ?- de Huysmans interpellent et attachent le lecteur. Pour autant, j'avoue avoir poursuivi l'observation de la tortue couverte de joyaux et s'effondrant sous son poids de Des Esseintes par celle, nettement plus légère, de la valse lente des tortues de Katherine Pancol...


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Boire jusqu'à la lie la potion de l'esthétissime et du décadentissime des Esseintes donne le sentiment paradoxal d'une nausée délicieuse que l'esprit tend à rejeter tout en ayant encore soif.
Gageons que le parfum fétide et capiteux de ces pages de littérature sublimes m'attirera de nouveau pour une nouvelle dégustation à petites gorgées, à défaut de trouver dans la littérature contemporaine un équivalent moderne à ce noir bijou fin de siècle, jetant des feux d'art et de culture avec autant d'incandescence.
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Esthète confiné
A Rebours est une curiosité littéraire, un "aérolithe" qui me faisait de l'oeil depuis des lustres. Je m'attendais à une oeuvre érudite et fastidieuse. Je n'ai pas été déçue.
Le duc Jean des Esseintes est un dandy dépressif, blasé, fatigué par sa vie mondaine et ses débauches. Il décide de s'isoler dans une maison de la banlieue parisienne. Ses épreuves physiques et morales d'esthète confiné seront ses seules aventures.
Pour lui, "la nature a fait son temps, l'a définitivement lassé par la dégoûtante uniformité de ses paysages et de ses ciels". (Il faut entendre aussi par là que l'auteur est lassé du naturalisme à la Zola ). Il s'agit donc de remplacer la nature par l'artifice ( à la Baudelaire). Des Esseintes s'entoure d'une décoration luxueuse, agressive et bizarre à la Gustave Moreau, collectionne les objets rares ou sacrés, les parfums envoûtants, les fleurs artificielles, fait incruster de pierreries la carapace d'une tortue, se donne des symphonies de liqueurs, s'épuise à chercher de nouveaux excitants, se torture l'âme et le corps jusqu'à l'hallucination. Il est quand même bien frappé...masochiste, misanthrope, misogyne, hypocondriaque. Il étouffe et m'étouffe le confiné volontaire !
Des Esseintes est seul mais en perpétuelle représentation, pour nous lecteurs. Mais son numéro, amusant quelquefois m'a lassée. Certes, il tient des propos intéressants sur Baudelaire, Verlaine ou Mallarmé mais Il faut se farcir un catalogue de digressions sur les écrivains latins de la décadence, sur les mystiques chrétiens oubliés, sur les objets liturgiques...
Mais qu'il se retire dans une cellule monastique ! Et qu'on ouvre les fenêtres !

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Le mouvement naturel conduisant de la virginité culturelle à sa plus grande imprégnation par le biais des oeuvres littéraires, musicales et picturales –en passant par la découverte des cercles mondains, des voyages et de la pluralité religieuse- devrait normalement être celui d'un gain de plaisir et d'ouverture spirituelle. Mais, se conduisant loin de toutes les normes, Des Esseintes chemine A rebours et cette culture, qu'il choisit d'augmenter en lui tous les jours, ne lui procure qu'un gain de sophistication dégénérée, qu'un mépris sans cesse plus grand pour ses semblables, qu'un ennui désespéré et une langueur suicidaire.


Une tentative d'explication psychanalytique est parfois ébauchée par J. K. Huysmans. le passé du personnage est évoqué comme élément déclencheur de tous ses maux futurs. Enfance morne et triste, sans amour ; alors que la dislocation des couples modernes est aujourd'hui souvent critiquée, ici leur union par-delà les haines et le mépris est plus farouchement dénoncée. Evidemment, cette prédisposition n'explique pas tout. Que serait-elle devenue si elle n'avait pas trouvé, à l'extérieur de la cellule familiale, le soutien de la culture ? Des Esseintes interagit avec elle comme un goujat avec les femmes : il choisit un de ses aspects –littérature, peinture, musique…-, s'emballe pour les délices qu'il imagine pouvoir se procurer par son biais, consomme tout en peu de temps, jusqu'au dégoût qui l'amène enfin à rejeter en bloc et avec mépris ce qu'il venait de porter aux nues. Cependant, ces histoires d'amours culturels ne laissent pas Des Esseintes indemnes. Qui est finalement triomphant ? La culture, qui n'a pas besoin de cet homme pour vivre et continuer d'avoir ses adeptes ? Ou Des Esseintes, qui perd à la fois l'espoir, la curiosité et se rapproche à chaque fois davantage du moment où il n'aura plus rien à rejeter ?


Avec cette destruction de l'édifice culturel qui semble réjouir le personnage, le lecteur pourra aussi trouver son plaisir. La littérature de boulevard, la déchéance du latin jusqu'au français médiéval, les oeuvres populaires…sont laminées par les descriptions implacables d'un personnage qui semble trouver son raffinement suprême dans le contraste qu'il définit entre l'usage d'une prose sophistiquée et les desseins d'annihilation qu'il lui impose.


« Les jardiniers apportèrent encore de nouvelles variétés ; elles affectaient, cette fois, une apparence de peau factice sillonnée de fausses veines ; et, la plupart, comme rongées par des syphilis et des lèpres, tendaient des chairs livides, marbrées de roséoles, damassées de dartres ; d'autres avaient le ton rose vif des cicatrices qui se ferment ou la teinte brune des croûtes qui se forment ; d'autres étaient bouillonnées par des cautères ; soulevées par des brûlures ; d'autres encore, montraient des épidermes poilus, creusés par des ulcères et repoussés par des chancres ; quelques-unes, enfin, paraissaient couvertes de pansements, plaquées d'axonge noire mercurielle, d'onguents verts de belladone, piquées de grains de poussière, par les micas jaunes de la poudre d'iodoforme. »


Le plaisir d'une telle lecture provient essentiellement de la dose de dérision qu'il est possible d'insuffler au roman ; cependant, si on essaie de vivre au même niveau d'observation que Des Esseintes, aucune ironie n'est permise. de drôle et amusant, A rebours devient alors désespéré et revanchard. le personnage lasse, ses cris d'orfraie deviennent insignifiants. On aurait envie d'un personnage plus consistant, qui cesserait de s'illusionner en prenant la culture comme prétexte, et en ne revendiquant rien d'autre comme source de ses malheurs et de son incapacité à vivre.


Culture = barbarie ? Oui, quand elle est utilisée à mauvais escient, comme n'importe quoi d'autre d'ailleurs. Mais quelles prédispositions dans l'individu le forcent contre son gré à la pervertir et à en faire l'objet de sa propre destruction ? J. K. Huysmans préfère ne pas répondre directement à cette question, ce qui permettra au lecteur désirant de se faire sa propre opinion sur le sujet. de quoi est donc constitué l'essentiel d'A rebours ? de petites rancoeurs d'abord amusantes, mais qui deviennent très rapidement lassantes et qu'on se surprend à survoler dans la dernière partie du livre, s'arrêtant seulement sur quelques beaux passages écrits dans une prose somptueuse. On finit par devenir semblable à Des Esseintes, ou presque : l'indifférence ne risque pas de se transformer en mépris virulent, et l'oeuvre d'annihilation cessera sitôt le livre refermé. Plus précisément, J. K. Huysmans nous permet de comprendre son personnage en nous plongeant dans une expérience d'ennui culturel local, qui se conclut en même temps que la lecture d'A rebours.

Lien : http://colimasson.over-blog...
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